Législatives. « La ruralité n’entre pas dans le moule libéral »
Parfois sous-estimés, souvent délaissés, les territoires ruraux fourmillent d’habitants et d’élus dont les initiatives et les innovations peuvent redonner un souffle nouveau à ces campagnes oubliées de la République.
«Si on ne fait rien, on va finir par venir nous jeter des cacahuètes ! » Dans la cour de sa ferme berrichonne du Boischaut inondée par le soleil printanier, Leïla Lavandier sourit jaune : « Ce qu’on ressent, c’est que le mode de la société, majoritairement urbain, considère le rural comme un lieu de tourisme ou de loisirs. Quand on veut vivre et travailler sur ces territoires, on rentre en opposition à cette conception. » Pourtant, ce sont près de 23 millions de citoyens qui, comme cette agricultrice, vivent dans des communes rurales.
Pour souligner l’importance de l’enjeu, Magali Bessard, candidate PCF aux législatives sur la troisième circonscription du Cher, est venue accompagnée d’André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme et président du groupe PCF-Front de gauche à l’Assemblée nationale. Dans la ferme où Leïla et son mari élèvent des porcs qu’ils transforment en charcuterie et vendent en circuits courts, l’opiniâtreté et la volonté qu’ils déploient pour dynamiser leur activité rencontrent en effet des obstacles singuliers. « On nous a signalé en janvier 2016 qu’il fallait faire une analyse organoleptique de nos charcuteries (taux de gras, de sucre, etc..) qu’on vend à Paris. Chaque analyse de produit coûte 500 euros. Or, on a 24 recettes différentes de produits ! Plus le coût du changement de l’étiquette, de sa pose, etc. On a donc arrêté de vendre sur Paris. Mais, en décembre 2016, on nous a précisé que ce n’était valable que pour les entreprises qui font plus d’un million de chiffre d’affaires ! Sauf que c’était trop tard, on avait déjà perdu les marchés. » Alors, les pâtés, rillettes et autres jambons sont vendus dans les Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) du département, sur les marchés locaux et à la ferme. Un échange avec les consommateurs revendiqué d’ailleurs par le couple d’éleveurs qui veut favoriser aussi les relations entre paysans.
En effet, leur laboratoire est mis à disposition de leurs collègues qui peuvent transformer leurs viandes et ainsi conserver de la valeur ajoutée. Mais là encore, ce n’est pas un long fleuve tranquille. Car, pour transformer de la viande en charcuterie, comme c’est le cas pour les porcs, la rumeur court qu’il faudra bientôt passer un diplôme de charcutier. À quel prix ? Faudra-t-il cotiser à deux caisses de protection sociale ? Elle ajoute en prime l’obligation de payer un ramasseur de déchets de viandes, qui les valorisera largement en croquettes bio, plutôt que de pouvoir fournir directement des éleveurs de chiens. Autant de tourments qui peuvent freiner l’installation de nouveaux paysans, qui sont pourtant le cœur battant de la ruralité. « Si ma belle-famille n’était pas paysanne, on n’aurait jamais pu faire ce qu’on a fait », confie Leïla.
Des projets freinés par la disparition des services publics
Pour Magali Bessard et André Chassaigne, c’est bien la preuve qu’il faut aider l’agriculture à tenir son rôle, d’abord parce qu’elle permet de nourrir les citoyens, mais aussi parce qu’elle est depuis longtemps la solution pour maintenir des campagnes vivantes. « On n’échappera pas à des mesures fortes », prévient le député du Puy-de-Dôme, qui estime que l’Observatoire de la formation des prix et des marges ne doit pas être seulement « une radioscopie mais un outil sur lequel s’appuyer dans le cadre d’une conférence annuelle sur les prix ». Une des mesures que les parlementaires communistes décrivent dans leur proposition de loi visant à garantir les prix d’achat aux agriculteurs et qui s’accompagne de l’application d’un coefficient multiplicateur permettant de limiter strictement le taux de marge des distributeurs.
Dans cette articulation du prix à la consommation avec celui à la production, le député communiste voit une piste pour sortir l’agriculture des appétits de la finance et maintenir des paysans nombreux sur les territoires. Et dans les campagnes, les choses bougent déjà.
Alors que, même dans les rangs du syndicat majoritaire agricole que sont les FDSEA (Fédérations départementales de syndicats d’exploitants agricoles), les idées et les pratiques évoluent, de nombreuses initiatives citoyennes bousculent la donne en milieu rural. À Dun-sur-Auron, des habitants souhaitent réinstaller des maraîchers dans les marais que possède la commune. « On est en train de réaliser un diagnostic sur le territoire et on s’aperçoit que la demande en légumes bio est très forte. Rien qu’à Dun-sur-Auron, avec l’école et l’Ehpad, ce sont près de 1 000 repas par jour qui sont servis en restauration collective », explique Guy Samieri, coprésident du Mouvement d’initiatives citoyennes et d’activités maraîchères (Miam). Une idée qui s’enracine puisque ce militant avait contribué à la porter dès les élections municipales de 2014, puis aux élections départementales. « Comme on n’a pas été élu, on s’est donc organisé en association pour appuyer nos propositions auprès de la mairie », sourit-il. Résultat : des jardins partagés ont été créés et sont désormais gérés par l’association et un maraîcher vient de s’installer dans le marais. Un enthousiasme partagé par la candidate Magali Bessard : « La ruralité est riche de ces initiatives. Nous devons les encourager. » Mais s’il existe un bouillonnement d’idées et de projets citoyens en milieu rural, ces derniers sont freinés par la disparition de services publics essentiels. La candidate, également conseillère municipale de Bourges, pointe la difficulté de l’accès à la santé et la transformation sous la contrainte de bureaux de poste en agence postale communale, voire leur disparition. Elle compte agir un maximum pour stopper l’hémorragie et développer les services publics dans sa circonscription, d’autant que « ce que vivent d’abord les ruraux touche ensuite les urbains », ajoute-t-elle en évoquant la fermeture de bureaux de poste en plein cœur de Bourges.
Sans école, les communes se dessèchent
À quelques kilomètres de là, dans le Vierzonnais, on se bat aussi pour conserver un service public. Et non des moindres, puisqu’il s’agit de l’école composée d’une classe unique rassemblant tous les niveaux depuis la maternelle. Dans cette commune sans église de Dampierre-en-Graçay (244 habitants), le maire, Henri Letourneau, explique : « Quand les gens me téléphonent pour savoir s’ils vont s’installer sur la commune », ils me posent toujours la même question : « Y a-t-il une école… et l’assainissement ? » Pour cet élu qui souhaite que « le service public passe avant le service du fric », l’école c’est la vie. Mais, là aussi, cette vie est fragilisée. Ce jour-là, l’institutrice alerte sur les conditions de développement du numérique à l’école : « On ne peut pas bénéficier du financement. D’après ce qu’on nous dit, on n’aurait pas assez d’élèves en cycle 3 pour déclencher son versement », prévient-elle, en omettant pudiquement de rappeler la sourde menace de regroupement pédagogique qui pourrait fragiliser sa classe.
Il faut mettre fin à la baisse des dotations aux collectivités
Dans cette commune de Dampierre-en-Graçay, une des nombreuses que le député PCF Nicolas Sansu parcourt à pied, à vélo ou en voiture ces temps-ci ,à la rencontre des citoyens, pas question de baisser la garde. Avec ou sans numérique, le bureau du maire est déjà plein des nombreux livres qui rempliront les rayonnages de la nouvelle bibliothèque municipale qui devrait voir le jour en 2017. Cette ruralité active et optimiste, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) veut la promouvoir à travers « les États générEux de la ruralité », dont elle rendra les conclusions samedi. Son président, Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre (Indre), rappelle que la dotation globale de fonctionnement représente 62 euros par habitant en milieu rural et le double en ville. C’est notamment de ce constat que la proposition phare de ces États génerEux a émergé. Il s’agit de réviser l’article 2 de la Constitution pour que « la prise en compte de l’espace, de la superficie soit une réalité contraignante au même titre que l’égalité entre les citoyens ». Quant au problème d’accès aux soins que rencontrent les habitants des campagnes, « il se pose depuis trente ans, c’est à l’État d’assumer ! » ajoute le président. Dans ce domaine, l’AMRF propose que les études de médecine soient réformées et qu’un statut de médecin territorial soit créé. Des revendications auxquelles les parlementaires PCF sont particulièrement attentifs puisque c’est devant un Hémicycle déserté par les sénateurs LR et centristes que Cécile Cukierman a alerté, le 21 février, sur la situation des communes rurales et émis des solutions portées par le groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC). Pour la sénatrice de la Loire, il faut mettre fin à la baisse des dotations aux collectivités et rééquilibrer la DGF (dotation globale de fonctionnement) pour sortir les communes rurales du tourbillon dans lequel les ont entraînées les réformes territoriales successives. Pour y parvenir, le groupe propose de taxer les actifs financiers des entreprises. Éviter les territoires de seconde zone pour consolider l’unité de la République, c’est en ces mots que Cécile Cukierman résume la somme des actions citoyennes et politiques qui démontrent chaque jour que « la ruralité n’entre pas dans le moule libéral ».
Jeudi 16 mars, Pierre Laurent et André Chassaigne, candidat aux législatives dans la 5e circonscription du Puy-de-Dôme, rencontreront les maires ruraux de la circonscription sur les questions de ruralité à Saint-Amant-Roche-Savine. Une initiative pour « construire des politiques publiques ambitieuses dans les communes rurales », selon le PCF.
Olivier Morin
Derniers avis