« Tous ensemble, tous ensemble ! Ouais, ouais ! » Non, non, vous n’y êtes pas du tout, il ne s’agit pas de l’enregistrement sonore d’un cortège syndical, mais du cri de ralliement des éditorialistes en tout genre. Dans la presse, à la radio, à la télévision, sur les dessins en une des journaux, ils sont là, unis contre la menace bolchevique.
Sentencieux, malhonnêtes, débitants au kilomètre, fausses évidences et vraies forfaitures, ils ont entamé « leur » bataille du rail. Nantis de salaires à cinq chiffres, ils pérorent sur les avantages exorbitants des cheminots. Tout juste aura-t-on évité la fameuse « prime charbon » disparue en 1974, et encore. Les raisons de la grève ? Aucune ! Mais alors, pourquoi une telle mobilisation ? Pourquoi un front syndical uni face à la réforme gouvernementale ? Nul ne le saura.
Unanimité et entre-soi
Mielleux et serviles avec les représentants du pouvoir, les voilà intraitables, arrogants, les laissant à peine s’exprimer lorsqu’ils sont confrontés à des personnalités favorables à la mobilisation sociale. Parfois, il faut le reconnaître, c’est plus simple : ils devisent entre eux, déversant leur bile à qui mieux mieux pendant des heures. On atteint alors, l’acmé du naufrage journalistique.
Une telle unanimité, un tel dédain devant la mobilisation des salariés n’est pas sans rappeler les meilleures heures du Traité sur la Constitution européenne : comme une faille dans l’espace-temps, nous voilà ramenés en 2005 – une cure de jouvence, en somme. D’ailleurs, pour beaucoup, ce sont les mêmes, inamovibles dans la défense du système en place. Si la séquence électorale du printemps 2017 a vu s’exprimer un profond dégagisme à l’égard du personnel politique, la fine fleur de la médiacratie, ne relevant pas du suffrage universel est, elle, restée fidèle au poste. Certains sont là depuis si longtemps qu’ils bavent un peu à l’antenne – et pas que de rage, c’en est presque gênant.
Entré à l’ORTF en 1961, Jean-Pierre Elkabbach, bientôt quatre-vingt-un printemps, est un sujet de thèse sur la servilité face au pouvoir à lui tout seul. Il y a peu, François de Closets, quatre-vingt-cinq ans, inlassable thuriféraire du libéralisme débridé avait portes ouvertes pour dénoncer les odieux grévistes « preneurs d’otages », le terme consacré. Des propos qui lui ont valu d’être proprement ramassé par le syndicaliste de Sud Rail présent sur le plateau, rescapé de l’attentat du Bataclan.
Domesticité médiatique
Les néoconservateurs de Valeurs Actuelles ont leur rond de serviette à peu près partout. Tout juste revenu d’un stage commando organisé par le Tea Party américain, vous aurez tout loisir de supporter un Éric Brunet en boucle, jusqu’à la nausée. Si un gréviste n’est pas tout à fait un agent de Daech, on exagère à peine.
Avec le service public, on n’est guère mieux loti, à se demander s’il ne faudrait pas arrêter de payer la redevance. S’il n’est plus besoin de présenter les prouesses de Laurent Delahousse, membre de la cellule communication de l’Élysée déguisé en journaliste de France 2, le cas de France Inter ne vaut pas mieux. Une petite comparaison entre l’interview d’Élisabeth Borne, le 15 mars 2018 sur la matinale de la radio publique, et celle de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, sur la même tranche horaire le 2 avril est édifiante.
Pour un panel plus complet, on se reportera utilement au livre Les Éditocrates, ouvrage écrit par Sébastien Fontenelle, Mona Chollet, Olivier Cyran et Laurence De Cock aux éditions La Découverte. « Une gare c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien », déclarait Emmanuel Macron le 29 juin 2017. On pourrait ajouter que dans une rédaction, pour bien réussir, il faut une bonne propension à se comporter comme un laquais.
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