Éducation. AVS, des salariés maltraités, l’inclusion des élèves menacée

Les accompagnants d’élèves en situation de handicap sont là pour créer du lien. « C’est un crève- cSur, quand on a réussi à faire progresser un écolier et qu’on nous dit : 0x201CMaintenant vous allez ailleurs0x201D    », confie l’un d’entre eux. Jean-Pierre Sageot/Signatures

Les accompagnants d’élèves en situation de handicap sont là pour créer du lien. « C’est un crève- cSur, quand on a réussi à faire progresser un écolier et qu’on nous dit : 0x201CMaintenant vous allez ailleurs0x201D », confie l’un d’entre eux. Jean-Pierre Sageot/Signatures

Pourtant indispensables à la scolarisation des enfants porteurs de handicap, les auxiliaires de vie scolaire sont sous-payés, peu reconnus et quasiment sans formation. Paroles de travailleurs pauvres en souffrance.

Précaires, mal payés, mal formés, isolés, parfois en butte au mépris du corps enseignant… Les difficultés de ces accompagnants entravent souvent leurs missions. « Si on ne travaille pas dans de bonnes conditions, ça se ressent sur les élèves », confie Nolwenn Coulon, une syndiquée SUD qui officie dans la région de Brest, handicapée elle-même et mère d’une fille épileptique. « Ces emplois, nous les avons revalorisés puisque ce ne sont plus des emplois aidés mais des contrats, avec des salaires de 1 350 euros mensuels », assure le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, interrogé par France Bleu Normandie.

Une affirmation qui fait bondir les intéressés. « Le ministre dit que c’est un métier attractif, mais en réalité, le salaire annoncé correspond à un temps plein, ce qui est très rare. La majorité des salariés, souvent des femmes, payées à mi-temps, gagnent tout juste 600 à 700 euros par mois », rappelle Yvon-Yvan Barabinot, animateur des collectifs d’Accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), à la CGT éduc’ ation. Sébastien Monié, lui, a eu de la chance. Après deux ans en emploi aidé, il a pu changer de statut et passer à 80 %. Avec ses 980 euros mensuels, l’homme, qui travaille près de Toulouse, ne se plaint (même) pas. « Je n’ai pas d’enfants, alors avoir un toit sur ma tête, ça me suffit », dit-il. Mais pour ses collègues, presque tous à 60 %, joindre les deux bouts relève du casse-tête. « Ces salaires sont largement en dessous du seuil de pauvreté. On ne peut pas vivre avec ça ! » tranche Véronique Sombret, une AESH du Lot-et-Garonne.

Un turn-over, dont les premières victimes sont les enfants

D’autant que le statut est précaire. La loi de 2005 a rendu obligatoire l’inclusion scolaire des enfants porteurs de handicap, mais sans y mettre les moyens. Résultat, tous les ­accompagnants ont été recrutés comme auxiliaires de vie scolaire (AVS), en emplois aidés. Le ministre se vante aujourd’hui de les avoir transformés, en majorité, en « emplois robustes ». En réalité, ce remplacement progressif était prévu par une loi de 2014, créant le statut d’AESH. Cette année, le nombre de ces derniers atteint 45 600 (en équivalents temps plein), dépassant pour la première fois celui des emplois aidés (29 000). Mais cette nouvelle terminologie ne remet pas en cause la précarité. II faut renouveler ces AESH pendant six ans pour espérer, sans garantie, les transformer en CDI. « Et même là, ce n’est pas la panacée : ce sont des CDI pour être mal payés à vie ! » souligne Nolwenn Coulon.

« En comptant tout, je travaille au moins 42 heures par semaine »

Autre problème : des retards de paiement, croissants. Avec l’augmentation constante du nombre d’élèves handicapés scolarisés, la multiplication des statuts et des employeurs, les fonctionnaires qui gèrent le système sont dépassés, et la machine s’enraye. Comme en Haute-Garonne où certains attendaient encore, fin octobre, leur salaire de septembre. Cette instabilité entraîne un important turn-over, dont les premières victimes sont les enfants. « Cela crée des ruptures d’accompagnement », confirme Emmanuel Jacob, chargé d’éducation et de scolarisation à l’Unapei, première fédération d’associations de défense des personnes handicapées mentales.

En l’absence de statut de la fonction publique, les contrats sont par ailleurs annualisés, avec un certain flou sur les horaires à effectuer, qui varient d’une académie à l’autre. Résultat, pour « rembourser » les heures de vacances, les AESH sont payés moins d’heures qu’ils ne travaillent. Quand on ne leur réclame pas de réaliser des missions non prévues : accueil, surveillance des études, courses pour la fête de Noël… « Certains chefs d’établissement abusent », observe Aurélie Chassaign, elle aussi AESH dans le Lot-et-Garonne, affiliée à la CGT. Pour offrir plus de temps pleins et répondre aux demandes des familles, le ministre de l’Éducation nationale prévoit l’extension du travail des AESH aux activités périscolaires. Un projet pas forcément favorable aux enfants, qui ont besoin de différencier les temps scolaires des autres, estiment les collectifs d’AESH. Surtout, cet accroissement des heures de présence risque de se faire au détriment du travail de préparation. « On est payés au Smic horaire, mais ça ne prend pas en compte le travail invisible, comme certaines formations ou les réunions pédagogiques avec les enseignants. En comptant tout ça, je travaille au moins 42 heures par semaine », détaille Sébastien Monié, syndiqué à la FSU.

« Le plus dur, c’est le manque de reconnaissance. On a souvent l’impression d’être des pièces rapportées dans les établissements », regrette Aurélie Chassaign, qui raconte s’être vu « refuser l’accès en salle des professeurs ». Beaucoup d’AESH observent une certaine distance, voire un mépris de la part de collègues enseignants mieux formés et mieux rémunérés. « Il ne devrait pas y avoir de rapport hiérarchique, mais il y en a un », note Nolwenn Coulon. Pas formés sur les questions de handicap, les enseignants peinent parfois à comprendre le sens du travail des AESH. Une situation que les classes surchargées ne fait qu’empirer. Sébastien Monié raconte ainsi comment il a dû expliquer à une institutrice, qui lui demandait de laisser son élève faire son évaluation seul, que cela revenait à vouloir interroger un élève myope sans ses lunettes. « Rendre l’école accessible est difficile quand l’institution fonctionne avec l’idée que tout le monde doit aller au même rythme. Il faudrait réfléchir à une école qui s’adapte aux élèves », plaide Emmanuel Jacob, de l’Unapei.

Les conditions de travail sont un frein à un soutien efficace des enfants accompagnés. « Le problème, c’est qu’on est parachutés avec des élèves dont on ne sait rien, et dont les enseignants ne savent rien non plus. Au collège, certains ne sont même pas au courant qu’il va y avoir une AVS dans leur classe », ­explique Véronique Sombret, elle aussi à la CGT. En principe, l’AESH doit avoir la fiche réalisée par la Maison départementale du handicap. Mais ce n’est pas toujours le cas et celle-ci n’indique que le nombre d’heures durant lesquelles l’enfant doit être accompagné. Pas son trouble, ni la façon d’y faire face. L’accompagnant doit donc passer un temps important à découvrir l’enfant, pour comprendre quels sont ses besoins. Un problème aggravé par l’isolement. « L’inspection d’académie nous interdit d’échanger avec les parents, en dehors de la présence d’un professeur ou du directeur », pointe Aurélie Chassaign. Une règle qui limite l’échange d’expériences et la mise en place d’approches communes et adaptées. « On a l’impression d’être livrés à nous-mêmes », résume l’AESH.

Et ballottés entre les enfants. À l’origine, la règle était qu’il ne fallait pas rester plus de deux ans auprès d’un élève, pour éviter de créer des liens affectifs trop forts. Le principe s’est depuis assoupli, notamment parce que certains enfants comme les autistes ont au contraire besoin d’une grande stabilité. Reste que beaucoup d’AESH continuent d’être trimbalés d’un enfant à l’autre. Malgré cinq ans dans le métier, Véronique Sombret n’est jamais restée plus d’un an avec le même enfant : « Pour nous, c’est un crève-cœur. Quand on a réussi à bien travailler avec un gamin, à créer du lien et à l’aider à progresser, et qu’on nous dit “maintenant vous allez ailleurs”, c’est déroutant. Et encore plus pour l’enfant. »

Une journée de formation sur l’autisme, obtenue de haute lutte

Un phénomène accentué par le développement des accompagnements mutualisés, plusieurs enfants étant suivis par un seul AESH. « Sur le papier, l’idée n’est pas mauvaise si on a affaire à des handicaps différents et complémentaires. Mais, quand ce n’est pas le cas, c’est forcément au détriment d’un des enfants », explique ­Sébastien Monié. Utilisée de façon de plus en plus systématique, cette mutualisation semble surtout destinée à faire des économies, dans un contexte où le nombre d’enfants handicapés accompagnés est passé de 100 000 en 2006 à 175 000 aujourd’hui. Pour les AESH, cela veut dire jongler avec quatre ou cinq enfants, parfois sur plusieurs établissements…

Le pire est le manque de formation. Le gouvernement se vante d’avoir, en juillet, fixé celle-ci à 60 heures au minimum pour ceux qui ne disposent pas d’un diplôme d’aide à la personne. Mais, dans le même temps, pour répondre à la demande, il a assoupli les conditions pour devenir AESH, faisant passer de deux ans à neuf mois l’expérience nécessaire pour obtenir le titre. La qualité de la formation est d’autre part contestée par les agents, qui évoquent une simple série d’explications sur chaque handicap, sans le moindre conseil concret. « C’est une matinée de PowerPoint sur l’autisme. On est au niveau Wikipédia ! » s’insurge Nolwenn Coulon. Pour compenser, certains se renseignent sur Internet ou achètent des livres. Avec ses collègues du Lot-et-Garonne, Aurélie Chassaign, elle, a obtenu de haute lutte une journée entière de formation sur l’autisme. Une petite victoire dans un désastre ambiant, parfois synonyme de souffrance. « En ce moment, j’accompagne une petite fille en maternelle, et je ne sais pas comment l’aborder, raconte Véronique ­Sombret. Je me sens en échec. »

« Savoir que j’amène un élève à se construire me plaît »

Pourtant, leur métier, ils l’aiment. Tous évoquent le contact avec les enfants, le bonheur de les voir progresser, l’impression de faire un métier indispensable. « Savoir que j’amène des enfants à se construire et à devenir des citoyens autonomes, ça me plaît. Quand je rentre chez moi, je suis épuisé, mais j’ai la banane », confie Sébastien Monié. La ­frustration reste un sentiment récurrent. « On nous demande d’être professionnels, mais on ne nous en donne pas les moyens », résume Véronique Sombret.

Aujourd’hui, alors que le ministère doit ­organiser à la fin du mois une concertation nationale sur les accompagnants, la riposte commence à s’organiser : manifestations, grèves, échanges sur des sites Internet dédiés, lancements de collectifs… « Le passage en CDI permet à certains de se mobiliser. Ils se disent : “Je ne peux pas être traité comme ça toute ma carrière” », constate Yvon-Yvan Barabinot. Mais le soulèvement n’est pas encore massif. « Les collègues n’osent pas revendiquer le peu de droits qu’ils ont, de peur de voir leurs contrats pas renouvelés. Beaucoup sont des femmes seules avec des enfants, qui craignent de se syndiquer ou de faire grève. La parole est étouffée », estime Nolwenn Coulon. L’enjeu est de construire une mobilisation nationale. La CGT y travaille : il y a deux semaines, la centrale a réuni dans ce but une trentaine de collectifs. Beaucoup évoquent aussi la possibilité d’un regroupement intersyndical. Comme le rappelle Sébastien Monié, « notre moteur, c’est la qualité de notre travail, pour être efficaces avec les gamins ».

En lien d’un clic

– rapport de la Cour des comptes sur l’éducation prioritaire

Camille Bauer

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