Permettez-moi aujourd’hui un certain nombre de banalités. Le premier besoin des humains sont alimentaires et si la nourriture arrive souvent dans nos assiettes suite à quelques transformations industrielles (ne serait ce que le transport) sa base reste et restera agricole. D’où la notoriété française du salon de l’agriculture[1] car malgré la faible part des paysans dans nos sociétés, ils témoignent de notre consommation basique.

Marx vient se glisser dans ce propos aussi banalement que ce que je viens d’écrire.

Grâce à Justus von Liebig, qu’il a pu lire en allemand car les Anglais le traduisirent très mal et on verra pourquoi, il a compris ce fait simple : les richesses agricoles furent à la base du succès industriel de la Grande Bretagne, succès industriel qui en fera la puissance capitaliste qu’elle a été, supplantée par sa sœur des Amériques.

Il est souvent entendu que l’empire anglais est né du pillage de ses colonies sauf qu’il s’agit là d’une généralité aux multiples dangers. Le premier pillage fut d’abord celui des sols anglais ! Les nutriments de la terre ont servis à alimenter les besoins des ouvriers des villes sauf que les dits nutriments se sont vite épuisés et là arrive la question de l’écologie. Le principe écolo est simple : rendre à la Terre autant qu’on lui prend, sous peine de finir par tuer la poule aux œufs d’or. Donc comment le capitalisme anglais pouvait-il se développer si la terre anglaise ne produisait plus, vu justement son aspect industriel qui épuise vite les sols ?

Justus von Liebig en fit aisément la démonstration : les industriels pillèrent d’abord le guano du Pérou, pays pourtant loin de ses colonies ! Ainsi ont été transportés en Grande-Bretagne les nutriments indispensables à une agriculture de plus en plus gourmande. Cette source s’étant tarie, il était temps de passer au nitrate chilien qui par tonnes et par tonnes a été volé à cet autre pays loin de ses colonies. En France, autour des années 1880, les premiers phosphates échappèrent aux paysans français (qui n’en voulaient pas) pour alimenter les sols anglais. Plus ces nutriments étaient captés par la puissance capitaliste et plus elle devenait puissance capitaliste ! D’où ensuit le recourt à la chimie ! Une puissance capitaliste que Marx a décortiquée sans oublier les fondements agricoles de son infrastructure (avec cependant un certain mépris envers les paysans égoïstes).

Mais revenons au salon de l’agriculture qui témoigne chaque année à Paris, de la puissance de cette activité française évoqué par cet anglicisme médiatisé : «l’agribashing» ! Je cite au hasard :

«Face à la multiplication des arrêtés anti-pesticides et des intrusions dans les élevages, les agriculteurs français s’estiment dénigrés, déconsidérés, aussi bien par les pouvoirs publics que par les consommateurs. Avec une mobilisation d’ampleur nationale, ils ont décidé de faire entendre leur détresse, mardi 22 septembre. Aux quatre coins de la France, les tracteurs se sont mis en route pour converger vers les préfectures.»

Pour relativiser, j’ai souvent utilisé le propos d’un fils de notaire devenu maire de son chef-lieu de canton rural rappelant qu’au lycée il se faisait traiter de «plouc» au début des années 60. Démagogue en chef, il voulait ainsi se mettre dans le même sac que ses électeurs paysans.

Oui, mais il ne s’agit plus de la même chose puisqu’on serait passé d’un dénigrement sociologique, à un dénigrement écologique ! Ce qui a surtout changé c’est l’orientation de grands médias qui hier rendaient compte plus ou moins du réel, et qui aujourd’hui veulent le fabriquer. Ils ont inventé le terme d’agribashing pour interroger les paysans sur ce point, paysans qui ne peuvent qu’aller dans leur sens, et se convaincre de cette réalité ! Les paysans ne sont pas plus dénigrés que les enseignants.

Ce qui bien sûr nous ramène à Marx et Justus von Liebig.

Tout comme il est dans la nature même du capitalisme d’exploiter les hommes, il est dans sa nature d’exploiter les sols (même si cette exploitation a souvent été négligée par les forces socialistes) ! Jusqu’à cette vérité propre au monde anglo-saxon qui fait de l’agriculture une branche de l’industrie. Sauf qu’au niveau européen, pas question de subventionner l’industrie sous peine de concurrence faussée, mais il est vital de subventionner dans des proportions considérables les agriculteurs, pourtant si mal aimés nous dit-on !

Parce qu’en subventionnant l’agriculture les pouvoirs peuvent l’orienter et maintenir des prix alimentaires bas afin de permettre aux consommateurs, grâce aux économies sur la nourriture, d’acheter davantage de produits industriels. Toute aide à l’agriculture est une aide masquée à l’industrie et y compris à l’industrie… alimentaire ! La crise écologique, aussi vieille que le capitalisme, mais qui s’aggrave pas à pas depuis sa naissance, n’est rien d’autre qu’une face de la crise du dit capitalisme (crise qui est sa forme d’existence), et les paysans en sont victimes autant que ceux qui ont ingéré de l’amiante, ou ont été victimes de l’industrie pharmaceutique qui soigne le plus souvent (comme les paysans nous alimentent le plus souvent) mais qui tue aussi parfois.

Bilan : le salon de l’agriculture est le spectacle des plus grands illusionnistes !

Jean-Paul Damaggio

P.S. Le livre de Liebig, De la chimie organique appliquée à l’agriculture et à la physiologie a bénéficié dans l’édition de 1862 d’une introduction démontrant que la politique britannique était un système de spoliation bien dans la stratégie impérialiste du pays.



[1] Je ne sais s’il existe ailleurs un équivalent.