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« Mettre en concurrence le 3919, c’est prendre le risque de faire vaciller un réseau national d’associations de terrain et de leurs partenaires »

Alors que les violences à l’encontre des femmes sont officiellement au cœur des préoccupations du gouvernement, ce dernier voudrait mettre en concurrence la gestion du 3919, ce qui représente un risque majeur de voir la qualité du service proposé aux femmes victimes de violences réduite, estime dans une tribune au « Monde » un collectif de personnalités parmi lesquelles Najat Vallaud-Belkacem, Alice Zeniter, Sylvie Le Bon de Beauvoir ou Laurence Rossignol

Tribune. Strasbourg, 1973. Une jeune femme se défenestre pour échapper aux coups de son conjoint et meurt des suites de ses blessures. Une poignée de proches de la Ligue du droit des femmes se regroupent alors. Armées de colle et de rouleaux, à la nuit tombée, elles inondent la ville de posters affichant « SOS Femmes battues » ainsi qu’un numéro de téléphone. Ainsi naît l’une des premières lignes d’écoute destinées aux femmes victimes de violences domestiques.

Partout sur le territoire français, d’autres permanences téléphoniques de fortune voient le jour, associées à des actions concrètes. A Marseille, au moment où un époux violent descend au café, un camion vient exfiltrer une femme et ses trois enfants. Au Plessis-Robinson, on squatte un château jusqu’à obtenir des places d’hébergement pour les victimes. A Paris, on milite pour la reconnaissance du viol conjugal (sans savoir qu’il faudra attendre encore quinze ans…). En 1986, le Collectif féministe contre le viol (CFCV) ouvre la ligne Viols Femmes Info. En 1989, première campagne nationale sur les violences conjugales en lien avec le réseau Solidarité Femmes qui gère un premier numéro d’écoute puis crée en 1992 la ligne d’écoute Violences Conjugales Femmes Info qui deviendra le 3919

Cette histoire militante coule dans les veines du 3919, aujourd’hui porté par un réseau de 73 associations de terrain présentes sur l’ensemble du territoire français : la Fédération nationale solidarité femmes, qui est de plus appuyée par douze associations nationales et leurs réseaux respectifs. Une trentaine d’écoutantes professionnelles viennent recueillir la parole d’environ 2 000 victimes chaque semaine (et même 7 000 appels hebdomadaires pendant le premier confinement), lors d’entretiens d’écoute qui durent en moyenne vingt minutes.

Reconnaissance puis confiscation du 3919

Les violences faites aux femmes ont été inscrites comme grande cause du quinquennat. Le président de la République a rendu visite à l’équipe de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) et du 3919 lors du lancement de la consultation du Grenelle des violences conjugales le 3 septembre 2019 (3-9-19), médiatisant largement ce numéro, ouvert de 9 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 18 heures les week-ends et jours fériés.

A l’issue du Grenelle, le gouvernement a répondu positivement à la demande de la FNSF d’ouvrir ce service 24h/24. Seulement, les modalités, elles, pèchent : le gouvernement a décidé d’imposer la mise en concurrence du 3919 par un marché public, une décision qui pourrait aboutir tôt ou tard à confier le 3919 à un opérateur plus soucieux de la rentabilité économique que de la qualité du service rendu aux femmes.

La lutte contre les violences et pour la protection des femmes ne peut pas obéir à une logique de marché : il s’agit de l’intérêt général, et la mesure de son impact ne peut pas se contenter, comme c’est désormais l’usage dans les marchés publics, d’être quantitative. Dans cette logique, cela pourrait conduire à réduire le temps d’écoute.

Le 3919 n’appartient pas au gouvernement

Or, l’écoute est le premier jalon de la relation de confiance entre le réseau de la FNSF et chaque femme qui a le courage de les appeler. Quiconque s’est intéressé à la question de l’emprise comprendra qu’il faut parcourir un long chemin pour sortir de la violence et que la qualité de l’accompagnement est ainsi cruciale. « Normer » ce temps et le soumettre à une logique de rendement n’aurait aucun sens.

Après des années de travail patient, le 3919 fonctionne grâce à un maillage associatif très dense sur l’ensemble du territoire. Mettre en concurrence le 3919, c’est prendre le risque de faire vaciller un réseau national d’associations de terrain et de leurs partenaires, capables de prendre en charge les femmes qui appellent, que ce soit pour un accompagnement à l’hébergement ou un soutien psychologique, juridique et social…

De plus, le 3919 n’appartient pas au gouvernement : c’est la FNSF qui l’a créé et porté depuis trente ans. C’est un projet associatif, en partie financé par des fonds privés, porté par des personnes très engagées. Il nous semble parfaitement abusif que le gouvernement veuille en disposer de la sorte.

Pour quelle valeur ajoutée ?

Ouvrir ce marché aujourd’hui crée un précédent dangereux : quand bien même la Fédération nationale solidarité femmes pourrait décrocher ce premier marché, quid de la fois suivante ? Sera-t-il confié à un opérateur bon marché, au fort rendement, mais sans la moindre valeur ajoutée, liée à un engagement essentiel pour les droits des femmes ?

Nous enjoignons donc au gouvernement français de renoncer à ce projet de marché public, et demandons à ce que la FNSF reçoive une subvention complémentaire pour le passage du 3919, 24h/24 en 2021.

En signant cette tribune, nous voulons exprimer notre soutien aux centaines de milliers de femmes victimes de violences et à leurs enfants. Nous comptons sur le gouvernement pour entendre cet appel.

La liste des signataires : Maïté Albagly, ancienne déléguée générale de la FNSF ; Rebecca Amsellem, économiste et militante féministe ; Michèle André, ancienne secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1998-1991) ; Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert ; Lauren Bastide, journaliste ; Catherine Beaunez, dessinatrice et autrice ; Odile Belinga, avocate ; Pascale Boistard, ancienne secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes (2014-2016) ; Anne Bouillon, avocate ; Carmen Castillo, cinéaste ; Hélène Cixous, écrivaine et dramaturge ; Caroline De Haas, collectif #noustoutes ; Marie-Dominique de Suremain, ancienne déléguée générale de la FNSF ; Edouard Durand, coprésident de la commission violences du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Eric Fassin, sociologue, université Paris-VIII ; Julie Gayet, comédienne et productrice ; Christelle Hamel, chercheuse ; Natacha Henry, écrivaine féministe ; Danièle Kapel-Marcovici, PDG du groupe RAJA et présidente de la fondation RAJA ; Jean-Louis Laville, chercheur et professeur au CNAM ; Sylvie Le Bon de Beauvoir, professeure de philosophie et éditrice ; Valérie Létard, ancienne secrétaire d’Etat chargée de la solidarité (2007-2009) et vice-présidente du Sénat ; Noël Mamère, ancien journaliste et homme politique ; Patricia Mercader, professeure émérite ; Ariane Mnouchkine, metteuse en scène ; Viviane Monnier, ancienne déléguée générale de la FNSF ; Janine Mossuz-Lavau, politologue et sociologue ; Michelle Perrot, historienne, professeure émérite ; Pascal Picq, paléoanthropologue, Collège de France ; Nicole Questiaux, ministre de la solidarité nationale entre 1981 et 1982 ; Laurence Rossignol, ancienne ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes (2016-2017) et vice-présidente du Sénat ; Ernestine Ronai, coprésidente de la commission violences du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Suzy Rojtman, militante féministe ; Moira Sauvage, journaliste et essayiste ; Isabelle Steyer, avocate ; Nadine Trintignant, réalisatrice et écrivaine ; Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des droits des femmes (2012-2014) ; Fatima Zénati, chargée de mission à l’égalité femmes-hommes à l’université Paris-VIII ; Alice Zeniter, écrivaine.


Cette tribune a été publiée par Le Monde.


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