Fabien Roussel : « Sur le travail, la gauche doit être bien plus forte »
À Marseille, pour le 39e congrès du PCF, Fabien Roussel, son secrétaire national, entend tirer toutes les leçons du mouvement contre la réforme des retraites et bâtir « une France libre, forte et heureuse ». Pour le député du Nord, il s’agit à la fois de renforcer son parti et l’union à gauche et de porter au pouvoir un véritable projet de transformation sociale.
C’est en plein mouvement social contre la réforme des retraites que se tient le congrès du PCF à Marseille, entre le 7 et le 10 avril. Point d’aboutissement d’une réflexion menée localement depuis des mois, le rendez-vous sera irrigué par les enseignements de cette « mobilisation historique », promet son secrétaire national, Fabien Roussel. Au menu : le lancement d’un chantier pour faire du PCF un véritable « parti populaire » et celui d’« un pacte de progrès pour une France du travail », proposé aux citoyens et à la gauche.
Emmanuel Macron et le gouvernement s’entêtent, malgré les mobilisations, à vouloir imposer le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. La crise dépasse-t-elle désormais le cadre de cette réforme à vos yeux ?
À la mobilisation contre la réforme des retraites, toujours extrêmement forte, s’est ajoutée de la colère contre l’usage du 49.3, qui a bafoué l’expression de l’Assemblée nationale sur un texte fondamental. Ça a été un moment de bascule. Une puissante exigence de démocratie s’est exprimée, et ça fait du bien. Une exigence de respect, tant des syndicats que du peuple. Non pas la foule, mais le peuple : ces citoyens qui ont des droits et les défendent. Le président de la République et le gouvernement se sont mis dans une impasse. Ils ne peuvent plus engager de grandes réformes, ils ont été obligés de reculer sur la loi immigration, sur le SNU (service national universel – NDLR) contesté par les jeunes, ils doivent annuler des déplacements… Leur situation est intenable alors que des sujets urgents sont à mettre à l’ordre du jour. À commencer par l’inflation, parce que c’est dès le 15 du mois que le salaire est mangé.
Justement, vous défendez depuis des mois la voie d’un référendum. Le référendum d’initiative partagée (RIP) vous paraît-il toujours une issue ou faut-il aller plus loin et rebattre les cartes avec une dissolution ?
Avant tout, la solution la plus rapide, la plus efficace, la plus nette, c’est le retrait. Ensuite, la négociation avec les organisations syndicales peut conduire à la suspension de la loi, voire à sa réécriture. Enfin, en cas de blocage, la seule issue pacifique et démocratique est de redonner la parole au peuple via un référendum. Et c’est ce que nous offre le RIP. Quant à la dissolution, les Français demandent à être respectés et entendus, ils ne demandent pas des élections.
En cas de nouvelles élections, demain, seriez-vous prêt à participer à une majorité et à un gouvernement de gauche avec les autres forces de la Nupes ?
Si le président de la République faisait le choix de dissoudre l’Assemblée – ce qui lui devient difficile à envisager après la veste que s’est prise sa candidate lors de l’élection législative partielle en Ariège –, nous sommes prêts à gouverner. Nous devons l’affirmer dès maintenant et offrir une alternative politique. Pas une alternance, mais un changement profond, une rupture avec les logiques libérales actuelles qui abîment notre modèle social comme la planète. Nous avons un projet, nous avons fait des meetings communs, nous avons été unis dans cette bataille qui, en plus de deux mois de lutte avec les organisations syndicales, a fait évoluer les consciences parmi les nombreux abstentionnistes ou ceux qui votaient à l’extrême droite. Sur le rapport entre capital et travail, parce que nous avons su montrer nos propositions pour financer une retraite avec la création d’emplois, l’augmentation des salaires, les cotisations sur le capital. Sur la démocratie, parce que, face aux défenseurs du libéralisme qui s’assoient dessus, nous portons le respect du Parlement, le référendum…
Nous sommes prêts à gouverner. Nous devons l’affirmer dès maintenant et offrir une alternative politique. Pas une alternance, mais un changement profond, une rupture avec les logiques libérales actuelles.
Pourtant, le RN, malgré son silence opportuniste, marque des points, selon les sondages…
Un de ces récents sondages portait sur les personnalités qui sortaient renforcées de cette crise (1). Résultat : Marine Le Pen arrive en première place. On pourrait s’arrêter à cela, mais en deuxième c’est Philippe Martinez, en troisième Laurent Berger, et en quatrième Fabien Roussel. Si ensemble nous décidions de construire une alternative, dans le respect de nos rôles respectifs, nous serions majoritaires. Sur la retraite, Marine Le Pen, c’est 62 ans, 42 annuités, la suppression des cotisations sociales, et sa seule réponse face à l’allongement de la durée de la vie c’est réduire les femmes à une fonction reproductive. C’est recycler le slogan : travail, famille, patrie. Aux antipodes de ce qui s’exprime dans les manifestations. Une rumeur affirme que l’extrême droite sortirait renforcée, c’est faux.
Vous avez rendez-vous ce week-end pour le 39e congrès du PCF à Marseille. Cette lutte sociale et politique en bouscule-t-elle l’ordre du jour ?
Un congrès est un moment d’analyse sur la situation politique, où on définit nos orientations pour l’avenir. Or, ce mouvement est historique. On n’en a pas vu de tel depuis plus de cinquante ans. Il irrigue donc toutes nos réflexions. Avec cette lutte, le Parti communiste français voit les adhésions affluer. Nous en comptons 30 % de plus depuis le début de l’année. Nous nous renforçons, nos idées progressent et les Français ont pris le goût de la lutte. Il ne manque plus que la victoire. Cette intersyndicale a montré par son unité qu’elle était puissante. Cela doit aussi nous éclairer pendant notre congrès. Elle est composée de syndicats différents dans leur approche, leur taille, leur poids, comme nous à gauche. Et pourtant, ils savent parler d’une même voix, sans homme ou femme providentiel, sans hégémonie. C’est cette union-là que nous devons construire.
Le texte de base commune que vous souteniez a obtenu 82 % lors d’un vote interne fin janvier, mais les militants ont continué à y travailler sur le plan local durant le mois de mars. Quelles questions reste-t-il à trancher ce week-end ?
Le congrès n’est pas là pour trancher, mais pour construire. C’est l’occasion de rassembler les idées, les analyses, les propositions, discutées de la cellule aux congrès départementaux. C’est une démocratie très vivante. Et le rendez-vous de Marseille va nous permettre d’entériner des choix, tant sur nos orientations que sur la modification de nos statuts. Moi, j’ai un souhait : que ce congrès lance en grand le chantier de notre renforcement. Nous avons besoin d’un Parti communiste français beaucoup plus fort et beaucoup plus influent. Nous avons besoin de redevenir un parti populaire, présent dans les quartiers, dans les banlieues, dans les villages, dans la ruralité, dans les facultés… Pour aller à la conquête de ceux qui ne votent plus, les convaincre qu’une alternative de progrès est possible, dans le cadre d’un rassemblement que nous souhaitons. Nous allons beaucoup parler de notre organisation, de sa proximité avec des cellules jusque dans les entreprises, de sa féminisation, de notre objectif de 10 000 nouvelles adhésions, des écoles de formation que nous voulons créer… Pour moi, c’est le chantier du 39e congrès. Le 38e nous a permis de retrouver notre place dans le paysage politique français, nous devons franchir une nouvelle étape et croire à la victoire.
J’ai un souhait : que ce congrès lance en grand le chantier de notre renforcement. Nous avons besoin de redevenir un parti populaire, présent dans les quartiers, dans les banlieues, dans les villages, dans la ruralité…
Vous plaidez davantage, notamment dans votre dernier livre (2), pour un « rassemblement populaire » que pour un nouvel « acte » de la Nupes. Mais vous avez appelé, le 20 mars, à construire « un pacte pour le redressement social et démocratique de la France, en vue d’une majorité et d’un gouvernement de la gauche et des écologistes ». Les formations de gauche entrent donc dans l’équation ?
Ce pacte de progrès pour une France du travail, ce pacte d’engagement, on doit le proposer aux Français, le construire avec eux et avec les forces de gauche, le partager avec les organisations syndicales. Car nous devons réussir à nous additionner et en même temps à construire notre programme commun. Et celui-ci doit être des plus ambitieux. Il ne peut pas se négocier sur un coin de table, comme cela a été le cas en juin 2022, en quelques heures. On ne part pas d’une page blanche : nous avons l’union construite en 2022 à l’issue de la présidentielle, ce que nous avons réussi à partager au Parlement ces derniers mois, l’approfondissement de nos liens entre forces de gauche, mais aussi avec les forces syndicales. On sait ce qui a marché, et ce qui a agacé.
Que ce soit entre forces de gauche à l’Assemblée ou avec le mouvement social, ces dernières semaines n’ont pas été exemptes de tensions…
Tout cela doit nous permettre d’avancer. Mais je suis optimiste, car nous avons fait beaucoup de chemin. Ce mouvement a fait émerger des visages, des noms, des personnalités, dans le monde syndical comme dans le monde politique. C’est ensemble que nous pouvons porter ce projet progressiste pour la France, dans le respect du choix des organisations syndicales. Ce pacte doit être porté demain par un collectif d’hommes et de femmes, par une équipe, par une coalition, pas par un homme seul. Et ça vaut pour Jean-Luc Mélenchon. C’est une garantie démocratique et de respect de la diversité.
Vous ne voulez pas d’une union sur « le plus petit dénominateur commun » et en même temps faire valoir les spécificités de votre formation. Les deux sont-ils conciliables ?
Oui, en étant un parti beaucoup plus organisé, beaucoup plus fort, avec beaucoup plus d’adhérents et d’élus. En portant nous-mêmes le message d’espoir, de conquête, de rassemblement. L’idée, c’est que les salariés, les Français s’en mêlent. Mais quand on fait le choix d’une coalition, on n’impose pas son programme.
Reste le piège des institutions de la Ve République et du présidentialisme…
Tant que l’on n’a pas transformé les institutions, on doit faire avec en étant présent dans le paysage politique, mais aussi lors des élections nationales pour proposer notre projet de société aux Français. Il ne s’agit pas de revenir là-dessus. Mais les élections législatives sont l’occasion de porter un projet de gouvernement dans le cadre d’une coalition rassemblant des forces politiques de gauche, au-delà de celles qui ont signé un accord en 2022. Ne soyons pas étriqués, arrêtons de nous enfermer au sein d’une alliance exclusive de quatre forces, comme si nous détenions à nous seuls la vérité.
Ce projet progressiste pour la France doit être porté demain, par un collectif d’hommes et de femmes, par une équipe, par une coalition, pas par un homme seul.
À qui s’adresse cette main tendue ? En début de semaine, il a été question de l’ex-premier ministre Bernard Cazeneuve…
Si on m’avait interrogé sur Marie-Noëlle Lienemann ou Emmanuel Maurel – également anciens du PS –, j’aurais dit la même chose. Je ne ferme aucune porte, mais il n’est pas question de renouer avec le quinquennat Hollande, l’objectif est de se mettre d’accord sur un projet, une ambition pour la France qui nous permette de sortir de ce capitalisme à bout de souffle.
Pourquoi estimez-vous que le travail doit avoir une place centrale dans le discours et le projet de la gauche ? Et comment éviter les pièges de ce débat lorsque, par exemple, Emmanuel Macron s’en saisit pour opposer les travailleurs aux bénéficiaires du RSA « qui ne travaillent jamais » ?
Ce n’est pas un piège, ce sont deux projets de société, deux mondes, deux conceptions totalement différentes de la France du travail. Nous défendons, nous, un travail qui émancipe, qui épanouit, et qui répond aux besoins du pays, aux enjeux climatiques. Pour le camp Macron, le travail est source de profit, il sert de variable d’ajustement à la rentabilité des entreprises, chômage et pauvreté à la clé. Le président de la République défend la France d’un travail rémunéré au niveau du RSA. Nous répondons : travailler moins, travailler mieux et travailler tous. C’est le sujet central sur lequel la gauche doit être beaucoup plus forte, sinon on laisse la droite et les libéraux le préempter. Quant au droit à la paresse, il a été caricaturé en imaginant que l’on pouvait faire tourner une société sans travail. Et certains le théorisent à tel point qu’ils défendent le revenu universel. Nous nous voulons être le parti du travail pour construire une France libre, forte et heureuse. C’est autour de ce triptyque que je veux construire mon projet pour la France.
Quelle place dès lors pour d’autres combats ?
C’est un projet cohérent qui ne se découpe pas en morceaux. C’est aussi par le travail que nous garantirons, via les services publics notamment, l’égalité des droits de chacun, indistinctement de son origine ou de son sexe, que nous pourrons bâtir une véritable transition écologique. C’est un projet d’ensemble qui pose les bases d’une nouvelle République sociale, écologiste, féministe, laïque.
Le président de la République défend la France d’un travail rémunéré
au niveau du RSA. Nous répondons : travailler moins, travailler mieux
et travailler tous.
Une partie du texte discuté lors de votre congrès est consacrée à « l’actualité brûlante du projet communiste ». En quoi prend-il une nouvelle vigueur dans le contexte politique et social ?
Par son exigence de démocratie. Le projet communiste se construit avec le peuple et pour le peuple. Il trouve toute son actualité dans cette grande idée : il faut que chaque salarié, chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, de taxer les dividendes. Ça, tout le monde est d’accord, même les socialistes. Et tant mieux. Mais, nous, nous voyons plus loin : nous voulons décider de comment nous produisons ces richesses et pour quoi. C’est aussi une exigence portée dans ce mouvement social : participer aux décisions. Si les salariés de Total avaient voix au chapitre, vous croyez qu’ils auraient laissé Pouyanné s’augmenter de 10 % tandis qu’eux n’ont eu que les miettes, qu’ils laisseraient l’essence augmenter à ce tarif-là ? Les salariés d’EDF auraient-ils laissé brader notre filière nucléaire et le marché européen décider des prix ? Bien sûr que non. Réapproprions-nous les choix économiques de notre pays pour retrouver notre souveraineté. Mettons en commun, décidons ensemble. Ça, c’est révolutionnaire et c’est le cœur du projet communiste.
(2) « Les Jours heureux sont devant nous », paru le 16 mars aux éditions du Cherche-Midi.
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