Lucie Castets : « Je proposerai un gouvernement resserré et une orientation claire » + Vidéo Roussel/Castets
Dans un entretien à l’Humanité, suite à sa rencontre avec Emmanuel Macron à l’Élysée , Lucie Castets défend la nécessité de faire des compromis du fait de la majorité relative. Mais sans céder sur les « priorités » insiste-t-elle. Elle répond également à la Macronie et la droite qui jouent le blocage en menaçant d’une motion de censure immédiate dans le cas d’un Gouvernement comportant des ministres issus de LFI.
Ce vendredi, la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon s’adresse aux communistes depuis leur université d’été de Montpellier.
À l’issue de sa rencontre avec le chef de l’État vendredi matin, accompagnée des dirigeants du Nouveau front populaire, Lucie Castets relève une évolution dans la posture d’Emmanuel Macron. Pas encore au point que celui-ci ne la nomme à Matignon la semaine prochaine.
Mais, dans un entretien accordé à l’Humanité au sortir du rendez-vous avec le chef de l’État, la candidate de la gauche assure être prête : elle détaille les mesures qu’elle prendra sitôt nommée et ce que sera la pratique du pouvoir de son gouvernement.
Avec les chefs de parti et les présidents de groupes parlementaires, vous avez été reçue par le président de la République. Que lui avez-vous dit pour le décider de vous nommer à Matignon ?
Je ne cherche pas à convaincre le président de me nommer à Matignon. C’est la logique des institutions qui veut que le président de la République désigne une Première ministre issue des forces politiques arrivées en tête des élections législatives. Le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête, et ce sont les organisations politiques qui le composent qui m’ont désignée pour diriger le futur gouvernement.
En 2022, il n’y avait pas de majorité absolue non plus. Le Président de la République a pourtant désigné une Première ministre dans les rangs de la force arrivée en tête. Il doit en être de même avec le Nouveau Front Populaire, après le résultat des dernières législatives. Je note avec inquiétude qu’il était prêt à nommer Jordan Bardella, même en l’absence de majorité absolue, avant le second tour, alors qu’il s’y refuse jusqu’ici pour la gauche.
J’ai dit au chef de l’état que j’étais extrêmement préoccupée par la situation du pays, et qu’il était de notre responsabilité commune de trouver un chemin pour répondre aux préoccupations des Français. Je lui ai rappelé que le résultat des élections traduisait un rejet très clair de la politique menée depuis sept ans. Enfin, quand bien même le barrage républicain a fonctionné, l’extrême droite n’est pas loin du pouvoir. Il est tout à fait légitime à considérer que notre programme ne lui plaît pas sur le plan idéologique. Il peut regretter que nous souhaitions revenir sur ses orientations politiques. En revanche, s’appuyer là-dessus pour nous empêcher de former un gouvernement revient à dévoyer la logique des institutions de la Ve République, à la fois dans leur lettre et dans leur esprit.
Il y a déjà eu des cohabitations, et elles ont bien fonctionné. Moi Première ministre, j’agirai avec tout le respect des prérogatives de chacun, en vertu de la Constitution. Sur les sujets internationaux et européens par exemple, il n’est pas question de parler d’une voix non consensuelle.
Pensez-vous l’avoir convaincu ?
Ce qui est nouveau dans la posture du président de la République, c’est qu’il semble prendre acte du fait que les Français attendent un changement dans la politique menée depuis sept ans. Il a accepté la clarification qu’il a lui-même appelée de ses vœux avec la dissolution. Mais j’ai l’impression qu’il ne prend pas acte du fonctionnement institutionnel. Il a l’air de chercher à vouloir construire lui-même ses coalitions. Ce n’est pas son rôle. Dans une démocratie parlementaire, il doit désigner un ou une Première ministre issue de la force arrivée en tête. À ce dernier, ou cette dernière, le soin de constituer un gouvernement et d’aller chercher des coalitions. Pour ma part, je fais le choix d’un gouvernement resserré avec une orientation politique
Les consultations se poursuivent en début de semaine. Si à l’issue de celles-ci vous n’êtes pas nommée à Matignon, comment réagirez-vous ? Que devra faire le NFP ?
S’il choisit de désigner quelqu’un d’une autre force politique la semaine prochaine, c’est qu’il n’a pas vraiment compris l’aspiration au changement des Français. Il ne peut être incarné que par le Nouveau front populaire. Aucune autre coalition ne s’est présentée en tant que telle devant les Français. Aucune autre n’a présenté le nom d’un possible chef de gouvernement. Aucune autre n’a un programme clair de rupture et de changement politique, à la fois crédible et ambitieuse.
Si vous êtes nommée, vous avez promis un « changement de pratiques ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
C’est déjà prendre acte que nous n’avons qu’une majorité relative. En l’absence de majorité absolue, le Parlement doit jouer un rôle encore plus grand, le travail parlementaire être au cœur de notre démocratie. C’est aussi ce que j’ai dit ce matin au Président de la République.
Il est fondamental de s’appuyer sur nos parlementaires, mais aussi sur nos élus locaux. J’en ai rencontré énormément depuis un mois, mais aussi auparavant de par mes activités professionnelles. Ils ont beaucoup d’idées, une grande capacité à innover, même s’ils manquent de moyens pour mettre en œuvre leurs compétences. Ils savent aussi chercher du consensus sur le terrain, même avec des forces politiques qui leur sont opposées. Lutter contre les déserts médicaux par exemple, ça rassemble bien au-delà des forces de gauche. Je pense que les élus locaux ont un souci sincère de la condition de leurs concitoyens. Ils doivent nous inspirer.
Lorsque j’entends davantage écouter le terrain, je pense aussi aux salariés, aux forces syndicales, aux chefs d’entreprise, aux associations, aux collectifs… La société civile a joué un rôle majeur dans la dernière campagne électorale. Elle s’est massivement mobilisée contre le RN. J’aspire à jouer un rôle de traits d’union entre les partis, mais aussi à incarner quelque chose qui les dépasse. Ils jouent un rôle fondamental dans la vie politique, mais il faut aussi reconnaître les aspirations des collectifs et des électeurs de gauche qui ne se reconnaissant pas forcément dans un parti.
Comment comptez-vous éviter une censure, comme vous la promet l’ancienne ministre Aurore Bergé ?
Je la renvoie à ses responsabilités. Aurore Bergé semble être à l’aise avec le fait de contredire la décision du Président de la République s’il est amené à me nommer. Elle a l’air de l’être aussi avec le fait de rajouter de l’instabilité à un pays qui ne demande que de la stabilité. Enfin, elle a l’air confortable avec l’idée de censurer, avec le RN, une coalition qui propose du progrès pour la vie des Français. Il est problématique que des ministres ou des proches d’Emmanuel Macron puissent tenir de tels propos.
Sur le fond, j’ai sincèrement à cœur d’améliorer la vie des Français. Nous essaierons de trouver des mesures consensuelles. Sur la santé, sur l’éducation, sur le logement, sur la sécurité, il y a beaucoup d’attentes des Français. Les élus d’autres camps que le NFP savent que les électeurs attendent ces mesures. Ils sauront prendre leurs responsabilités.
S’il faut bâtir des compromis au-delà des rangs du NFP, jusqu’où irez-vous ? Sont-ils seulement possibles compte tenu des rapports de force à l’Assemblée nationale ?
Ils existent déjà. Des parlementaires hors du NFP ont déjà déclaré vouloir travailler sur un impôt sur la fortune vert, sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, sur le fait de revenir sur les exonérations de cotisations patronales pour les hauts salaires… La question sera celle du curseur. Je ne sais pas exactement où il tombera. Si je le disais maintenant, ce serait ne pas respecter le travail parlementaire. En tant que Première ministre, je n’aurais pas à m’y immiscer. Je donnerai des orientations, des impulsions.
Le pouvoir d’achat reste l’une des premières préoccupations des Français. Le programme du NFP prévoit une hausse du Smic, des salaires du privé et des fonctionnaires comme des pensions de retraite : comment faire ?
Ce sont des objectifs extrêmement clairs pour le Nouveau front populaire, et ils sont attendus par les Français. Je n’envisage pas, si je suis nommée, d’abandonner ces priorités. Personne ne le comprendrait, et revenir sur ce genre de promesses ferait le jeu du RN.
Pour y parvenir, il faudra trouver des compromis au Parlement, mais aussi redonner la main aux partenaires sociaux. Lorsque j’ai pu les rencontrer cet été, ils m’ont rappelé combien la méthode d’Emmanuel Macron leur paraissait inadmissible. Les propositions qui lui étaient transmises étaient aussitôt jetées au fond d’un puits.
Sur les retraites, notre objectif est de prendre un texte réglementaire à très court terme, pour décaler l’entrée en vigueur de la réforme et redonner la main aux partenaires sociaux pour discuter des conditions de financement de la réforme.
Sur le Smic, notre objectif reste la revalorisation à 1 600 euros. Nous discuterons aussi avec les partenaires sociaux des modalités de sa mise en œuvre. Le « changement de pratiques » n’est pas un slogan.
À Matignon, votre première échéance serait de préparer un budget et de le faire voter par une Assemblée où il manque 100 sièges à la gauche pour être majoritaire. Est-ce mission impossible ?
On ne connaît pas encore les conditions de discussion d’un budget, puisqu’on ne sait toujours pas quand Emmanuel Macron nommera le gouvernement. Il est inadmissible sur le plan démocratique qu’un gouvernement démissionnaire, chargé de la gestion des affaires courantes, soit en train de construire un budget austéritaire, à rebours des aspirations exprimées par les électeurs.
Dès 2025, nous voulons faire voter certaines mesures, et elles devront être financées. Nous y travaillons. Nous conditionnons nos nouvelles dépenses à de nouvelles recettes. Nous ne voulons pas creuser le déficit public. L’enjeu est d’arriver à un niveau de recettes suffisant pour ne pas décevoir les Français qui ont voté pour nous. Nous respecterons nos interlocuteurs au Parlement, mais un budget est typiquement une situation pour laquelle nous pourrions passer par un 49.3 si nous y étions obligés. Ce n’est pas ce que je souhaite.
Pourrez-vous revenir sur les orientations austéritaires fixées par Gabriel Attal dans ses lettres de cadrage ?
Tout dépend de la date à laquelle nous arrivons à Matignon. Si le budget est déjà en discussion, il faudra faire des amendements du gouvernement. C’est une opération périlleuse, et en tout cas, pas du tout satisfaisante.
À l’échelle internationale, vous aurez à traiter des guerres en Ukraine et à Gaza. Comment la « diplomatie de la paix » peut-elle se concrétiser, alors que les Affaires étrangères sont en général un domaine réservé au président de la République ?
Il faut que la cohabitation fonctionne. C’est déjà arrivé par le passé, et je ne suis pas inquiète à ce sujet. Il n’y a pas de différences majeures en matière de politique étrangère. Il est nécessaire de reconnaître rapidement l’État de Palestine, mais ce n’est pas à rebours de la politique étrangère menée jusqu’ici par la France. Il faudra de la concertation. Il n’est pas question que le président de la République et la Première ministre s’affichent désunis à l’échelle européenne comme internationale.
Vous tenez votre légitimité du choix des 4 partis du NFP, lesquels affichent souvent publiquement des divergences, notamment tactiques. Par exemple, sur la menace de destituer Emmanuel Macron. Comment gérerez-vous ces désaccords ?
Comme tous les Premiers ministres l’ont fait auparavant. Des désaccords, il y en a toujours au sein des partis eux-mêmes. Je ne me pose pas en arbitre. Les discussions au sein du Nouveau front populaire sont saines et productives. J’ai été amenée à m’exprimer sur la question de la destitution. Ce n’est pas l’option que je privilégie, en revanche il me semble légitime de chercher à mettre un terme à la situation actuelle qui n’est bonne pour personne. Il y aura sûrement des discussions, mais je ne suis pas inquiète.
La gauche surprend jour après jour. Personne ne pensait qu’elle parviendrait à s’unir pour les législatives, puis qu’elle trouverait un nom pour Matignon. Tout le monde pensait que l’union exploserait dans le mois suivant les élections. En réalité, l’union de la gauche est toujours là, comme l’a montré la rencontre à l’Élysée ce matin.
Vous n’êtes donc pas « prisonnière de votre camp » comme l’a écrit l’Opinion ?
Pas du tout. Je suis assez libre. Je n’ai jamais pensé à devenir Première ministre. J’ai un engagement associatif sincère, un travail passionnant auquel je suis attaché. Je ne suis prisonnière de rien, même si j’ai accepté cette mission périlleuse. J’ai la légitimité que m’ont accordée les quatre partis du NFP. En réalité, ils me laissent beaucoup de place.
Vous avez dit déjà réfléchir à votre potentiel gouvernement. Avec quelle méthode ? Quels équilibres ?
Toutes les forces du NFP seront représentées dans ce gouvernement. J’envisage aussi son ouverture à des figures de la société civile, parce que c’est important et que les Français y sont attachés. Les ministres seront nommés en fonction de leurs compétences et de la nature leur engagement.
Vous intervenez devant les communistes à Montpellier. Que comptez-vous leur dire ?
J’aurai un échange avec eux. Je travaille très bien avec les communistes. Ce sont des gens dont j’estime beaucoup l’engagement, et avec qui j’ai en commun la défense acharnée des services publics. C’est un parti qui arrive à se renouveler, et à peser au sein de la gauche.
Non vraiment ce sont de vrais dangers pour la démocratie ✊