Il s’avère que j’ai beaucoup apprécié les débats de cette université d’été du PCF; parce que comme j’ai essayé de le rendre à travers des compte-rendus précédents, ils étaient tous d’un bon niveau et d’une grande courtoisie. Il s’agissait alors d’exposer clairement les enjeux politiques actuels, à savoir:
1) le choix d’un parti communiste totalement intégré à une gauche ralliée à l’atlantisme. Un parti en rupture à la fois dans son histoire et en géopolitique avec toutes les expériences socialistes existantes au nom souvent d’un idéal marxiste, républicain. Cette orientation pouvait s’assortir de théories comme ici sur les conditions de la connaissance.
2) Face à ces “propositions” des organisateurs de l’Université, il y avait l’immense majorité des communistes qui en se référant aux 38 et 39e congrès voulaient l’autonomie du PCF et refusaient d’être impliqués dans les aventures atlantistes. Ces communistes étaient plus partagés sur l’héritage historique du PCF, sur la responsabilité de l’OTAN en Ukraine. Le débat allait souvent de ce fait dans le sens d’un éclaircissement en tous les cas d’une écoute réciproque, ce qui était une grande nouveauté après des années de censure et de diffamation. Il n’y a pas eu de fausse note jusqu’au dimanche matin où a eu lieu une intervention totalement scandaleuse qui a été celle de Clémentine Fauconnier. 45 minutes pour nous exposer une analyse digne de LCI ne laisser la parole qu’à des “questions” et pas de contradicteurs. C’était une véritable provocation.
En revanche, tous les autres débats se sont avérés de qualité et je les ai écoutés, comme je m’y étais engagée dans une sorte d’audit permanent en prenant de la distance pour mieux élucider les enjeux politiques, essayer d’en éclairer le contenu théorico-pratique en tenant compte de chaque ancrage individuel tel qu’il apparaissait et évoluait.
Par parenthèse, c’est un exercice très fatigant et qui provoque une tension nerveuse extrême surtout pour quelqu’un de mon âge. Je n’ai pas pris un jour de vacances et Cet effort nerveux doublé chez moi d’une activité physique peutêtre excessive, a déclenché une terrible sciatique qui frise la paralysie. Je dois impérativement relâcher cette tension et donc je vais terminer ces compte-rendus et après, sans doute la semaine prochaine je prendrai huit jours de repos et de détente. Voici donc une autre analyse d’un des débats “théoriques” qui avait attiré dans une salle trop petite un très grand public avec des gens debout, d’autres assis par terre. Il s’agit toujours non pas d’un compte-rendu exhaustif mais bien de confronter ce qui s’y est dit avec les enjeux politiques immédiats de cette rentrée…
“Conscience de classe : un silence de Politzer ? par Jean-Michel Galano, philosophe…
A l’Université d’été du PCF, il y a eu un très brillant exposé intitulé “Conscience de classe : un silence de Politzer ?” par Jean-Michel Galano, philosophe… L’écouter permettait de mesurer la soif de théorie qui existe chez les militants communistes. Cette demande de théorie n’est pas un hasard, et elle se dirige vers “la philosophie” (ce qui pose immédiatement la question sur laquelle nous reviendrons: quelle est la place de la philosophie par rpport à l’histoire et aux sciences dans la théorie marxiste? Nous réserverons ce sujet à la présentation d’unlivre théorique sur Lénine épistemologue de Lilian Truchon paru chez Delga et qui a lui aussi une argumentation sur la tradition philosophique) . Dand le cadre de nos observations, nous nous contenterons de noter que ce besoin de théorie va selon nous avec cette soif d’une pensée autonome, cette montée d’un mode multipolaire avec comme leader la Chine et son partenariat stratégique avec la Russie… Un mouvement qui secoue la planète, la manière dont la pensée progressiste, démocratique des sociétés occidentales en fait s’avère cautionner l’exploitation interne et externe, la guerre, la destruction de l’environnement… Cette soif du théorique est soif de comprendre le mouvement actuel du monde et la réponse a été à la fois une défense de la connaissance grâce au marxisme assorti d’une mise en garde sur l’utilisation de la connaissance scientifique comme justification de politiques totalitaires.
L’université d’été du PCF, ce n’est pas l’université mais un lieu dans lequel des militants communistes viennent non seulement pour connaitre mais pour transformer le monde. Le conférencier ne vient pas “informer” comme dans d’autres universités politiques de l’été, pour se faire connaitre mais pour présenter un savoir utile à cette transformation. Ce devrait être la logique à l’œuvre…
Là encore, une “autorité” philosophique avait été sollicitée, quelqu’un qui intervenait systématiquement depuis des années dans toute la presse communiste avec beaucoup de brio, un penseur qui résistait à la débâcle et à toutes les escroqueries du type Bernard-Henry Lévy, Michel Onfray de la période. Depuis j’ai pris la peine de lire beaucoup des articles de Jean Michel Galano et ces textes dépassent de cent coudées les idéologues ordinaires, les médiacrates.
Il n’empêche que ce débat pouvait aussi être considéré comme polémique dans l’anti-léninisme et aurait mérité à ce titre débat contradictoire… Jean-Michel Galano menait un combat théorique contre Politzer tout en manifestant le plus grand respect pour le héros tué par les nazis… Il poussait même la dissociation du personnage Politzer jusqu’à lui inventer une biographie fictive : s’il n’était pas mort ce brillant intellectuel aurait dénoncé ses principes élémentaires du marxisme… Bref soyons clair Politzer aurait rompu avec Lénine mais aussi avec Mao et les expériences “totalitaires” de l’URSS et le socialisme chinois. Et cela a été dit clairement : l’équivalent de l’initiation de Politzer aux principes élémentaires c’est de la contradiction et de la pratique de Mao… et il a ajouté ce qui non seulement n’est pas marxiste mais conduit à des pratiques totalitaires…
La manière dont cette prise de position théorique a été reçue par l’assistance mérite d’être analysée, le paradoxe est que certains n’ont même pas perçu la mise en accusation de Politzer. Ainsi, Luc Foulquier, un docteur en écologie de ma fédération qui se bat à la fois pour la nécessité de la science dans la “connaissance” politique des communistes et pour une science qui tienne compte des enjeux politiques, donc pour ce qu’il estime une dénonciation de l’idéalisme à la fois des chercheurs et des “écologistes” a expliqué à quel point Politzer permettait de penser autrement l’idéologie spontanée des “écologistes non matérialistes” alors que l’exposé de Jean-Michel Galano lui était une “charge” contre Politzer, Lénine, Mao…
Cette interprétation de ce qui avait été réellement dit sur Politzer et au delà sur Lénine, Mao qui semblait ignorer le fond de la démonstration de Jean-Michel Galano… m’a poussée à l’interroger sur le rôle du théorique suivant la période historique et en quoi la manière de penser le marxisme était souvent pris dans l’idéologie dominante, celle qui reflétait les impasses stratégiques de l’impérialisme, et comment alors le “spontanéisme” doublé de l’illusion de l’absence de lutte nécessaire pour le communisme déjà là exigeait au contraire un travail théorique qui mette l’accent sur le caractère objectif de la transformation et sur le rôle spécifique de la théorie marxiste. Il a alors été obligé pour me répondre de produire des catégories statiques, éternelles que seraient le matérialisme et l’idéalisme… Pourquoi alors que tout n’est que mouvement comme tout ce qui est vivant ces catégories seraient-elles éternelles ? Et sur quelle expérience aujourd’hui y a-t-il la possibilité de penser l’apport du marxisme dans le domaine de la connaissance ? Avec le refus d’une réflexion sur spontanéisme et Théorie révolutionnaire, était en fait dénoncée “la théorie du reflet”, celle attribuée au léninisme et que l’on peut considérer comme étant à l’œuvre en Chine.
Ce sur quoi insistent les théoriciens du socialisme chinois, c’est qu’y compris la réforme et l’ouverture de Teng Hsiao-ping n’est pas seulement une stratégie de développement économique, mais aussi une contribution théorique, dont la signification repose sur la reconnaissance que le développement de la base matérielle du socialisme et le développement de ses relations de production dans le temps précédent constamment la création de la conscience sociale socialiste. C’est que l’on désigne parfois comme la théorie du reflet sur laquelle se sont acharnés tous les différentes écoles de révision du marxisme qui a accompagné l’eurocommunisme..
On peut même dire que ce qui subsiste du marxisme en France et qui souvent se réfère à Gramsci continue à dénoncer cette théorie du reflet. Et Lénine est considéré par ceux qui dénoncent la théorie du reflet comme celui qui a installé dans le marxisme (à travers en particulier son texte théorique Matérialisme et empiriocriticisme dont nous présenterons ce weekend une analyse) comme celui qui déformé Marx et la dialectique marxiste avec cette théorie du reflet.
En fait derrière un Politzer qui aurait volontairement atrophié le marxisme sur le mode léniniste par souci pédagogique et parce que les nazis l’auraient tué avant qu’il développe le véritable marxisme (en fait un anti-léninisme) il y a aussi le refus de reconnaitre le caractère novateur du socialisme chinois qui lui est léniniste, comme il y a l’idée que le socialisme soviétique, l’expérience russe définie comme stalinienne pèse sur le véritable marxisme.
Donc pour ceux que ce débat intéresse nous publierons ce weekend par ailleurs un texte qui reprend le travail de Lénine en 1909, proche du Que faire? qui s’attaque sur des bases théoriques à cette interprétation du Marxisme qui rejette de fait toute l’expérience du socialisme réel, celle de hier mais aussi celle d’aujourd’hui…
Qu’apporte en effet la théorie de Mao, puis celle de Teng Hsiao-ping et enfin celle de Xi Jinping ?
La conscience sociale à tous les âges n’est que le reflet de la réalité matérielle totale objective et des conditions de production, et non pas une condition préalable à la formation et à la mise en œuvre d’une méthode de production et d’un système social.
Les phases continues de la conscience sociale découlent du fait que la conscience a besoin _de temps_ pour transformer de façon cohérente l’expérience accumulée par la pratique sociale.
Reconnaissant que le rythme de développement du mode de production socialiste ne se limite pas au niveau réel de conscience sociale permet, plus précisément _requiert_ l’expression du contenu socialiste dans des formes de communication politique qui dépassent entièrement le langage doctrinal et les panels esthétiques distinctifs du communisme.
Le résultat est que le contenu socialiste s’exprime dans la réalité historique sous des formes idéologiques telles que l’économie de marché caractéristique de la Chine, le néo-confucianisme, l’harmonie civile, le juche coréen, la théologie islamique, l’eurasianisme, le panafricanisme, le patriotisme latino, etc
Dans ce contexte, « ils ne savent pas, mais ils le savent » s’applique aussi aux élites et forces politiques capables de donner un sens à une conscience sociale réelle et de donner un sens constructif aux événements historiques sans connaître ou reconnaître les catégories idéologiques du marxisme dans un sens particulier.
Nous avons donc vu comment cette université d’été présentait des intellectuels souvent brillants mais toujours disons “anti-léninistes”, nous l’avons vu avec Roubaud Qashie et la virtuosité de sa présentation sur Macron, maître des horloges, les jeux de mots autour, chutant sur notre soutien à deux peuples martyrs : la Palestine et l’Ukraine… L’adversaire masqué sous la compassion, l’OTAN a disparu… Même escamotage avec Vincent Boulet toujours avec le même brio mais il était toujours passionnant de tenter de pénétrer ce qu’expliquait le conférencier, par parenthèse il s’est avéré également avoir beaucoup de mal à répondre aux questions sur la pratique psychiatrique et psychanalytique, sur ce point au contraire il se rapprochait de Politzer et de l’impossibilité de traiter les troubles psychologiques d’un individu licencié sans prendre en compte la situation d’exploitation qu’était ce licenciement.
A ce titre, Jean-Michel Galano s’est résolument situé dans la démarche initiée par Lucien Sève qui interroge autant Marx revu par Lénine et Mao que Freud revu par les comportementalistes anglo-saxons et même l’école freudienne. Si le dialogue avec le léninisme et celui avec Mao est rompu, en revanche il continue à proposer entre autre une relecture de Georges Canguilhem, qui est un philosophe et résistant français de tradition gaulliste. Normalien agrégé et docteur en médecine, il a dirigé l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST) de 1956 à 1971 à la suite de Gaston Bachelard. Il a consacré son activité non à l’exercice de la médecine mais à l’épistémologie et à l’histoire des sciences, précisément à l’accession de la biologie, de la médecine, de la psychologie au statut de science, son œuvre, notamment Le Normal et le Pathologique et La Connaissance de la vie, relève d’une exigence éthique voire héroïque qui refuse de réduire le vivant aux mesures physicochimiques ou comportementalistes de celui-ci et par là d’imposer une norme, nécessaire à la science mais non suffisante pour l’individu. Inspirée par Jean Cavaillès critiquant la phénoménologie husserlienne, son approche théorique se nourrit de la dénonciation faite par Karl Marx du scientisme allemand et a une influence fondamentale sur la génération postmoderne qui a animé le mouvement contestataire dit de la French Theory et fait Mai 68, en particulier Michel Foucault et Pierre Bourdieu, dont Canguilhem fut directeur de thèse de doctorat.
Que sont devenus les adeptes de la French theory en France et aux Etats-Unis ? Cela va comme pour Judith Butler d’une héroïsation de la position morale face au sionisme et d’une réflexion sur le genre que l’on traite de wokisme, à l’adhésion à la révolution conservatrice et à l’anticommunisme militant de tous les néoconservateurs. Mais il s’agit incontestablement si l’on considère Judith Butler et surtout Pierre Bourdieu d’alliés et il est juste de les considérer comme tels. Mais l’alliance n’est pas ce qui définit la spécificité de la théorie marxiste et ce que la science de l’histoire peut apporter à la stratégie politique sans pour autant faire de la science la caution de choix politiques, ce qu’a été le jdanovisme. Le danger existe mais ceux qui ont voulu être les “idéologues” du parti et de l’état socialiste ne sont pas toujours ceux que l’on désigne… En outre limiter le formidable essor scientifique et technique impulsé par le socialisme, le niveau d’éducation et de la recherche atteint par les expériences socialistes à ce moment jadnovien est faux, et ce à des tas de niveaux.
Il faut mesurer les faits et ce qu’a permis en matière de développement scientifique et technique, de démocratisation dans l’accès au savoir, y compris pour les femmes, ces expériences socialistes alors que la contrerévolution à partir des années soixante et dix, aujourd’hui même la crise de l’innovation aux Etats-Unis mêmes, tout cela mérite d’autres approches et il semble qu’il y ait un effort dans ce sens de la part des économistes se situant dans le sillage de Paul Boccara.
Mais je le répète ce qui est en train de trancher relève du mouvement réel et quand les approches sont de cette qualité elles permettent y compris d’avancer dans la connaissance de ce mouvement réel.
La où il y a eu dérapage c’est avec l’intervention de Clémentine Fauconnier sur la question “Où va la Russie?” Jusqu’ici nous avions affaire à des intellectuels brillants, noyant le poisson, d’autres s’interrogeant sur la nécessité des “alliances” théoriques, essentiellement en rejetant le léninisme, là nous avons vu jusqu’où pouvait aller un tel rejet : lancer des sous-produits de l’ignorance et de la mondanité pour achever l’opération révisionniste…
Il y a toujours certes les dangers de l’instrumentalisation de la philosophie et des sciences par le “politique”, mais il y a aussi censure totale sur les réalisations du socialisme dans le domaine des sciences et la crise réelle sur ce plan de l’innovation dans le cadre d’une telle censure y compris par la presse communiste et par les organisateurs de cette conférence quand ils nous infligent sans contradiction possible en fin de course une prestation aussi affligeante dans le domaine de la connaissance de celle de madame Clémentine Fauconnier sur le thème “où va la Russie?”
Parce qu’on peut légitimement s’interroger sur l’instrumentalisation de la “science” par les formes “totalitaires” qu’aurait induit la théorie du reflet et le léninisme mais quand on en est à avoir une presse communiste qui censure toutes les analyses des communistes russes, et de tous les autres partis communistes, dans une situation de censure totale qu’est la situation médiatique française il est invraisemblable que la presse dite communiste, le secteur international organise une telle censure. Ce qui était frappant à l’université d’été du PCF c’était la manière dont beaucoup de communistes se branchaient sur des réseaux plus ou moins crédibles d’ailleurs, pour avoir une autre information. Et alors on comprend mieux pourquoi il y a comme c’est ici sur ordre des Etats-Unis tentative par la France de contrôler Telegram. Comme il y a l’affaire Assange. Actuellement si un nombre grandissant de communistes (et c’est vrai pour pas mal de Français) bénéficient de sites comme histoireetsociete et d’autres de qualité, ils s’abreuvent à d’autres beaucoup plus troubles… Mais ils en retirent toujours un refus de se trouver impliqués dans la guerre des Etats-Unis. S’il existait une Humanité, une presse communiste exposant les analyses des communistes et des progressistes, cela irait a contrario de la censure de Macron et de l’interdiction du moindre savoir sur la réalité, ce serait là un apport essentiel à ce que Jean-Michel Galano. appelle de ses vœux.
Je veux bien que de la contradiction de Mao soit un peu rustique et que matérialisme et empiriocriticisme soit une voie ouverte sur la déformation “stalinienne” du marxisme mais quand la censure dans l’Humanité chute sur madame Clémentine Fauconnier cela dit beaucoup de choses sur la nature du “marxisme autorisé”… et sur son rapport avec la “connaissance” scientifique…
La preuve du pudding disait Engels c’est qu’on le mange…
Danielle Bleitrach
Derniers avis