Michel Barnier Premier ministre : le RN prêt à trahir son électorat pour s’acoquiner avec Emmanuel Macron
En s’accordant avec le camp présidentiel pour ne pas censurer le nouveau premier ministre Michel Barnier et son futur gouvernement, le Rassemblement national se place en allié du pouvoir. Trahissant au passage son électorat contestataire et son image de parti antisystème.
Il se disait futur dynamiteur d’un pouvoir à bout de souffle, le Rassemblement national (RN) se révèle finalement être sa planche de salut. En permettant la nomination de Michel Barnier au poste de premier ministre via sa promesse de ne pas le censurer, le parti de Marine Le Pen sauve la peau d’un chef de l’État dont elle disait pourtant jusqu’ici tout combattre : sa politique d’austérité, sa « soumission à Bruxelles », son pouvoir vertical, ou son « mépris » des classes populaires.
Qu’importe, voici désormais le RN acoquiné à un ancien commissaire européen ultralibéral et chantre de la rigueur au sein d’une alliance baroque autour de la Macronie. Le but ? Barrer la route au Nouveau Front populaire (NFP) et à ses mesures. Hausse du smic, rétablissement de l’ISF, abrogation de la réforme des retraites, investissements massifs dans les services publics, etc. « Nous sommes un parti antisystème, clamait pourtant Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, au mois de février dernier. Le système, qu’est-ce que c’est ? C’est le dévoiement des institutions pour faire prévaloir d’autres intérêts que l’intérêt général. » Sept mois et deux élections plus tard, il n’est plus que son supplétif.
« En scellant une alliance avec le président, le RN a trahi ses électeurs en se macronisant, observe Ian Brossat, sénateur et porte-parole du PCF. Ses électeurs doivent savoir que Marine Le Pen et Jordan Bardella ont définitivement rejoint le front bourgeois. Ce front qui fait obstacle à l’avènement d’une politique de rupture sociale avec l’ère Macron. » Pour Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France insoumise, cet acte politique marque un nouveau statut pour le RN.
Celui de « petits larbins du pouvoir » : « Ceux qui se disent les représentants du refus du système en sont en vérité l’assurance-vie la plus constante », a-t-il dénoncé ce samedi face aux manifestants parisiens rassemblés contre « le coup de force d’Emmanuel Macron ». « J’ai un message aussi pour les électeurs du RN qui croient sincèrement que Marine Le Pen va les aider, a de son côté tonné Marine Tondelier, secrétaire nationale des écologistes. Vous savez ce qu’elle a fait ? Elle a préféré soutenir un premier ministre de droite qui ira toujours dans le sens des puissants et contre la justice sociale ! »
Fidéliser un électorat bourgeois
Dans un énième numéro de claquettes, les figures de proue de l’extrême droite n’ont pas ménagé leurs efforts ces dernières heures pour tenter de justifier leur position aux antipodes de leurs éructations passées. « Si nous l’avions souhaité, nous aurions fait comme le NFP et menacé de censurer tout le monde. Ce n’est pas notre état d’esprit. Nous, nous souhaitons qu’il y ait un gouvernement », a clamé Marine Le Pen auprès de la Tribune dimanche. Quand Jordan Bardella, invité du 20 heures de TF1 samedi, déclarait : « J’ai le souhait que le RN ne participe pas, contrairement à la gauche, au désordre institutionnel et au chaos démocratique. »
Car pour le RN, l’équation est la suivante, selon Pierre Wadlow, docteur en sciences politiques et spécialiste de l’extrême droite : « Fidéliser un électorat récent composé d’une forme de bourgeoisie et d’élites économiques, notamment en se montrant comme le parti de l’ordre qui joue le jeu de la démocratie, sans pour autant perdre ses électeurs populaires aux motivations plus radicales. » Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, abonde : « L’objectif premier du RN, c’est d’apparaître comme un parti qui a le sens des responsabilités pour s’affirmer comme une force gouvernementale potentielle, c’est l’étape ultime de la stratégie de normalisation, analyse-t-il. Longtemps, l’opinion lui a reproché de ne pas avoir de culture de gouvernement. Il s’échine donc à changer cela tout en tentant de se montrer ferme en parlant de soutien conditionnel et non de blanc-seing ».
Reste une question : le RN peut-il vraiment poursuivre son chemin en effectuant de tels grands écarts ? « Auprès de cet électorat, Michel Barnier est perçu comme la continuité d’une politique qui rend la vie actuelle intenable et le futur impossible, décrit Willy Pelletier, sociologue à l’université de Picardie. Les votes populaires RN sont des votes de revanche sociale qui expriment des colères hétéroclites. Leur maintien dépendra de la position que tiendra Marine Le Pen. Parviendra-t-elle à présenter cette alliance comme une volonté de tordre le bras d’Emmanuel Macron en l’empêchant de poursuivre selon son seul bon vouloir ? »
L’acceptation de l’austérité
Encore faut-il vouloir porter un autre projet que celui d’Emmanuel Macron. Christine Arrighi, députée écologiste de Haute-Garonne, en doute sérieusement. « Si le RN accepte de tolérer Michel Barnier, c’est qu’il accepte les grandes lignes du futur budget. Autrement dit : l’austérité », assure-t-elle. « Il y a toujours eu chez Emmanuel Macron un fond de discours réactionnaire cher au RN. Retour à l’ordre, restauration d’une autorité morale prétendument perdue, réactivation d’une mythologie contre-révolutionnaire… Et la loi immigration qui a sacré les idées de l’extrême droite, note pour sa part Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados, peu étonné de cette alliance. La période qui s’ouvre est pour le RN l’occasion d’obtenir de nouvelles victoires idéologiques. Il n’a plus aucune raison de combattre le camp présidentiel, il n’a plus qu’à le tirer vers lui pour être légitimé. Tant pis si cela passe par des trahisons et des impostures. Tout ce qui l’intéresse, c’est le pouvoir ».
Pour cela, le RN entend faire monter les enchères auprès de la Macronie, en particulier sur l’immigration, thème considéré comme un liant entre ses différents électorats. Avec un allié idéologique de premier plan donc : le nouveau futur premier ministre. « Nous attendons de Michel Barnier des actes, avertit Marine Le Pen auprès de la Tribune dimanche. Je m’en tiens aussi à ses propositions lors de la primaire LR de 2021 dont une grande partie rejoignait notre ligne. » À savoir : moratoire sur l’immigration, limitation du regroupement familial, fin de l’AME, etc. « J’écouterai tout le monde. C’est le moment où tous ceux qui veulent que la France marche doivent se retrousser les manches », a répondu Michel Barnier. Et pas dans n’importe quel titre de presse : le Journal du dimanche, propriété de Vincent Bolloré et première tribune médiatique de l’extrême droite.
Michel Barnier et ses priorités
Michel Barnier a fixé les grandes lignes de l’action politique qu’il entend mener lors d’un entretien accordé au journal télévisé de 20 heures, vendredi 6 septembre. Ses priorités annoncées sont de « maîtriser les flux migratoires avec des mesures concrètes », de « revaloriser le travail » et ne pas augmenter la dette de la France. Il a également souligné que les services publics constituent « un besoin immense dans les quartiers urbains, mais dans les campagnes aussi ». Comment les développer, si ce n’est via plus de dette ou plus de rentrées fiscales ? « Je vais m’efforcer de mieux maîtriser, de mieux utiliser l’argent public », a-t-il promis, tout en précisant que, face à la dette, il ne s’interdit pas une « plus grande justice fiscale ». Refusant de dire s’il reviendra sur l’âge de départ à la retraite, il a indiqué que la dernière réforme pouvait être « améliorée ». Enfin, s’il a voulu se distinguer du RN, il a affirmé qu’il respectait ses électeurs et qu’il était prêt au dialogue avec tous.
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