L’exécutif voudrait réaliser des économies sur le dos des agents de la fonction publique, en augmentant le nombre de jours de carence, qui passerait d’un à trois. Un projet populiste, unanimement dénoncé par les syndicats.
Stigmatisation des fonctionnaires, épisode 292. Le gouvernement de Michel Barnier a enfin précisé la manière dont il comptait procéder pour réaliser 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour boucler le budget 2025. S
Sans grande surprise, les agents de la fonction publique vont payer un lourd tribut, à travers l’augmentation des jours de carence en cas d’arrêt maladie, qui passeraient à trois contre un actuellement, et le plafonnement à 90 % de la rémunération des trois premiers mois d’arrêt, contre 100 % à l’heure actuelle.
Pour se justifier, le gouvernement brandit deux arguments : d’abord, il ne s’agit que d’un simple alignement sur le secteur privé. Ensuite, cela permettra de réaliser 1,2 milliard d’euros d’économies, une somme non négligeable en ces temps d’explosion des déficits publics. La rhétorique gouvernementale a fait bondir toute la gauche ainsi que les organisations syndicales, qui ont unanimement dénoncé une « stigmatisation » des fonctionnaires.
Des fonctionnaires en réalité mal lotis
Il faut dire que les opposants à ces mesures n’ont pas grand mal à contrer le discours du pouvoir. Passons rapidement sur la justification financière : ces économies pourraient très bien être réalisées de mille autres manières.
Par exemple, il aurait suffi que le gouvernement accepte la proposition, formulée initialement par le très modéré Jean-Paul Matteï, député Modem, de relever de trois points la « flat tax », prélèvement pesant sur les revenus financiers. Rendement attendu : jusqu’à 1,5 milliard d’euros. Soit 300 millions d’euros de plus que ce que doit rapporter le tour de vis sur les arrêts maladie.
Venons ensuite au fameux « alignement » sur le privé. Brandi par le gouvernement comme un impératif d’équité, il passe sous silence le fait qu’en réalité, les fonctionnaires ne sont pas si bien lotis. Certes, ils n’ont qu’un jour de carence (c’est-à-dire de période durant laquelle ils ne sont pas indemnisés en cas d’arrêt maladie), contre trois dans le privé.
Les primes, 25 % de la rémunération des fonctionnaires
Sauf que, dans les faits, les deux tiers des salariés du privé sont protégés contre la perte de revenus induite par le biais d’accords d’entreprise maintenant leur rémunération. Par ailleurs, les syndicats soulignent que les fonctionnaires conservent certes 100 % de leur traitement durant les trois premiers mois d’arrêt maladie, mais qu’ils perdent leurs primes, or ces dernières représentent 25 % de leur rémunération globale.
Le gouvernement a beau jeu de pointer le taux d’absentéisme plus élevé dans le public, en accréditant l’idée selon laquelle l’écart serait lié à une forme d’indolence des agents. Il n’en est rien. Dans son rapport de juillet 2024, l’Inspection générale des affaires sociales confirme que l’on comptait en moyenne 14,5 jours d’absence par agent pour raison de santé en 2022, contre 11,7 jours par salarié du privé.
Mais cet écart s’explique en bonne partie pour des raisons de sociologie. Les 5,7 millions d’agents de la fonction publique se distinguent en effet de leurs collègues du privé par plusieurs caractéristiques : une proportion plus faible de professions supérieures dans la fonction publique hospitalière (FPH) et territoriale (FPT) ; une plus grande féminisation dans tous les versants ; un âge moyen (44 ans) de trois ans plus élevé ; une proportion plus importante de maladies chroniques dans la FPH et la FPT.
« Les fonctionnaires ne s’arrêtent pas davantage que les salariés du privé »
Bref, autant de facteurs structurels induisant un absentéisme plus important. Ces caractéristiques expliquent même 95 % du différentiel d’arrêts maladie entre FPE-FPH et secteur privé.
« À métier équivalent, les fonctionnaires ne s’arrêtent pas davantage que les salariés du privé », insiste le sociologue Willy Pelletier, qui dénonce les conséquences « scandaleuses » d’un tour de vis sur les arrêts maladie : « Les agents s’arrêteront encore moins qu’aujourd’hui et se rendront au travail malades, continue-t-il. Jusqu’où ? Une absence à durée illimitée ? Et si c’est le cas, ils ne seront pas remplacés… »
Bref, on comprend que ce ciblage des fonctionnaires obéit surtout à des logiques purement idéologiques. L’historienne Claire Lemercier les décryptait dans nos colonnes, le 22 octobre : « Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, fait partie de ces macronistes historiques, souvent issus d’écoles de commerce, qui ont beaucoup travaillé en entreprise, et portent cette idée presque identitaire selon laquelle le public devrait fonctionner comme le privé, en particulier du point de vue des ressources humaines. (…) L’idée selon laquelle le public n’a pas vocation à fonctionner de la même façon que le privé, ni à enrichir des actionnaires, leur est parfaitement étrangère. »
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