La cofondatrice de l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique revient sur les difficultés des partis politiques à gérer les cas de violences sexuelles après #MeToo.
Entretien. Fiona Texeire a co-fondé en 2021 l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique aux côtés des féministes Madeleine Da Silva, Hélène Goutany, Mathilde Viot et Alice Coffin. Collaboratrice sans étiquette d’élus depuis quatorze ans, elle s’est mobilisée en faveur du #MeToopolitique, censé révolutionner les mentalités et les pratiques d’un milieu encore largement masculin.
Vous avez participé à la création de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Quels sont ses objectifs ?
Nous souhaitons mettre en lumière les violences sexistes et sexuelles qui traversent dans la vie politique française. Compiler les faits, interpeller l’opinion publique, faire du plaidoyer à destination des partis politiques ou des institutions font partie des missions de notre association. Récemment, nous avons transmis un signalement à LR et à LaREM pour des faits présumés de viol visant l’ ancien ministre Damien Abad.
Moins d’un an après le #MeToopolitique, peut-on dire que la situation des femmes dans ce milieu s’est améliorée ?
Avec la nomination d’Élisabeth Borne à Matignon, il y a eu un geste fort. Mais son nouveau gouvernement affiche une parité de façade : les femmes occupent surtout les postes de secrétaires d’État, les hommes dirigent essentiellement les ministères régaliens. À l’Assemblée nationale, la place des femmes n’est guère plus réjouissante malgré l’élection de Yaël Braun-Pivet comme présidente. En effet, le nombre de femmes élues députées recule, passant de 39,5 % de députées à 37,3 %. Une première depuis 1988. Concernant les violences sexistes et sexuelles, on a le sentiment que le sujet a émergé dans le débat public. En 2018, les révélations de la presse sur l’ affaire Nicolas Hulot sont vite étouffées ; la promotion de Gérald Darmanin en 2020 a suscité une courte indignation, malgré la mobilisation des féministes. Aujourd’hui, la première grosse crise du nouveau quinquennat Macron a été marquée par les affaires de violences sexuelles visant l’ancien ministre Damien Abad, ce qui montre bien que les mentalités évoluent. Je pense que nous avons su montrer que ces sujets relèvent d’un problème systémique lié à la vie politique française, un enjeu de santé publique, pas de simples affaires privées qui relèveraient de l’intime.
Y a-t-il eu des failles dans le traitement par la FI des affaires Eric Coquerel et Taha Bouhafs ?
Je ne suis pas adhérente de la FI et je ne connais pas leur fonctionnement. Mais ces affaires soulignent néanmoins les limites des cellules d’écoute, même si ces dernières restent très utiles aux victimes. On voit bien cependant que le traitement en interne entretient une forme d’opacité, ce qui peut alimenter les soupçons. Ces sentiments sont d’autant plus présents que les partis politiques restent des lieux où les enjeux de pouvoirs sont très forts.
Lire notre entretien avec Clémentine Autain :Clémentine Autain : « Nous sommes un mouvement politique, pas un tribunal »
Comment s’assurer que les cellules d’alerte des partis ne soient pas prises dans des conflits de loyauté ?
Notre association reprend une demande du Haut Conseil à l’égalité : celle d’élargir les pouvoirs de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) aux questions des violences sexistes et sexuelles en politique. Cette autorité administrative indépendante pourrait être intelligemment renforcée, pour rappeler la loi, fixer un cadre, et aborder ces situations et accompagner les victimes, notamment si elles souhaitent porter plainte.
Comment expliquer les réticences qui entourent les violences sexuelles dans les partis ?
La question est douloureuse dans toutes les familles politiques. Parce que ce sont des lieux où les militants et responsables se côtoient en permanence lors des luttes. Ce sont aussi des endroits propices aux rencontres amicales, intellectuelles. Lorsqu’on apprend qu’un proche, ou quelqu’un que l’on admire, est mis en cause pour des faits graves, on se sent forcément mal à l’aise. Le problème, c’est que les partis ne réalisent pas d’enquête de victimation sur les violences sexuelles et sexistes, comme s’ils préféraient fermer les yeux. Aucune statistique officielle n’existe pour les mesurer, ce qui favorise un traitement des dossiers à géométrie variable, selon que le mis en cause soit proche ou non d’une personne influente. Il faut établir des règles claires.
Au PCF, un cas suscite des remous : Maxime Cochard, élu communiste accusé de violences sexuelles par Guillaume T., à l’origine du #MeToogay, qui s’est pendu en 2021. Récemment, la Commission nationale de médiation et de règlement des conflits a recommandé sa réintégration au motif que la procédure le visant a été classée sans suite. Est-ce un argument suffisant ?
Je n’ai pas à me prononcer sur le fonctionnement interne du PCF. En revanche, je peux dire que la justice classe la majorité des plaintes pour violences sexuelles, faute d’éléments suffisants pour caractériser le délit ou le crime. En France, 99,4 % des viols restent impunis. Lorsqu’un procureur décide le classement d’une procédure, ça ne signifie pas que le mis en cause est acquitté. Cela signifie juste que la justice n’a pas assez d’éléments pour se prononcer. La réintégration ou non de cet élu est avant tout un choix politique. Pour moi, la bonne question à se poser est : quelle sera l’influence de cette décision sur la parole des victimes de violences sexuelles, sur la parole de celles et ceux qui lancent des alertes dans ce domaine ?
Que répondez-vous à ceux qui accusent les féministes de bafouer la présomption d’innocence ?
C’est un principe de droit important auquel nous sommes extrêmement attachées. Nous agissons évidemment dans le respect du droit. Précisons que la présomption d’innocence est une règle qui n’existe que dans la sphère de l’enquête pénale. S’il n’y a pas d’enquête pénale, on ne peut l’invoquer. Et que ce principe de droit n’est pas plus important que la liberté d’expression, elle-même encadrée précisément par la loi. Donc parler de ce qu’on a subi, écouter et relayer la parole des victimes, ce n’est pas remettre en cause la présomption d’innocence. C’est user de la liberté d’expression pour poursuivre un but d’intérêt général : cela permet de rompre une spirale de la peur et d’endiguer les violences. Il y a d’autres principes juridiques auxquels nous sommes attachées : le Code du travail, qui impose à tous les employeurs, y compris les partis politiques, les institutions, d’assurer la santé et la sécurité des salariés. Et l’article 40 du Code de procédure pénale qui prévoit que toute autorité – notamment les élus – ayant connaissance d’un crime ou d’un délit est tenue de saisir le procureur de la République.
Quelles sont vos propositions pour lutter contre les violences machistes à l’Assemblée ?
Commençons par la mise en place d’une formation obligatoire à destination de tous les députés, collaborateurs et fonctionnaires. Nous demandons aussi un engagement des membres du Bureau à lever l’immunité parlementaire, qui consiste à les protéger de pressions et de menaces extérieures pouvant entraver leur mandat, d’un élu est visé par une plainte pour violences sexuelles. Sous la précédente législature, le député Benoît Simian en a bénéficié pour faire traîner l’enquête le visant pour des faits de harcèlement sur son ancienne épouse. Depuis, la justice l’a condamné, mais le bureau de l’Assemblée a refusé de lever son immunité, alors que son ex-épouse faisait l’objet d’une ordonnance de protection. Nous souhaitons une réforme de la cellule d’écoute, de réelles enquêtes de victimation pour mesurer le problème et enfin avoir des réponses à la hauteur. Il faut que les femmes puissent s’investir en politique sans craindre d’être victimes de violences machistes. C’est un enjeu démocratique majeur.
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