Après moult reports, le protocole mixité entre le ministère de l’Éducation nationale et le secrétaire général de l’Enseignement catholique (Sgec) a enfin été signé. Mais non coercitif, il est loin de représenter le projet ambitieux porté par le Ministre depuis des mois. Ce protocole est construit « dans l’écoute et le partage dans une dynamique de trajectoire » nous confie Philippe Delorme, secrétaire général de l’Enseignement catholique qui se dit satisfait. « Si on sort de postures idéologiques, de part et d’autre, on est capables, dans un dialogue constructif, de montrer que c’est dans l’intérêt du bien commun. Si la question de la mixité sociale et scolaire est un enjeu national, il faut que tout af. Péda.le monde s’y mette, même les collectivités » explique-t-il au Café pédagogique. « Nous ne croyons pas aux injonctions autoritaires qui feraient bouger les choses » ajoute-t-il. Et cela tombe bien, puisque son seul pouvoir est celui de l’incitation.
Une image contenant personne, habits, Visage humain, cravate Description générée automatiquement Cela faisait des mois que Pap Ndiaye et Philippe Delorme parlaient de ce protocole. Le 17 mai dernier, à 17h, le Ministre et le secrétaire général de l’enseignement catholique se sont engagés contractuellement dans le cadre d’un protocole d’accord « relatif au plan d’action favorisant le renforcement des mixités sociales et scolaires dans les établissements d’enseignement privés associés à l’État par contrat relevant de l’enseignement catholique ». « Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et le secrétariat général de l’Enseignement catholique s’accordent sur le constat d’une différence persistance et trop importante de composition sociale et scolaire, dans de mêmes secteurs géographiques, entre les établissements d’un même réseau, public ou privé, et entre les établissement privés et publics » peut-on lire.

Une école privé qui participe fortement à la ségrégation scolaire

La publication, en octobre dernier des IPS, avait montré l’amplitude de la ségrégation scolaire à l’œuvre dans les établissements privés. Depuis des mois, Pap Ndiay affirmait sa volonté d’un Plan mixité ambitieux qui « obligerait » l’enseignement privé sous contrat à prendre sa part. Plusieurs pistes étaient évoquées par le Ministre, dont l’allocation progressive des moyens, un quota d’élèves boursiers… Parallèlement à ces déclarations ministérielles, Philippe Delorme a martelé qu’un certain nombres de lignes rouges ne devaient être franchies : quotas d’élèves, choix des élèves et sectorisation. Le secrétaire général demandait aussi que les collectivités mettent la main à la poche pour financer la cantine et le transport scolaire des élèves scolarisés dans les établissements de son réseau, au même titre et à niveau égal de ceux fréquentant l’école publique.

Un protocole en six points

Six points composent le protocole. Le premier fait référence à la constitution d’une base d’informations partagées. L’enseignement privé demandait que les familles soient informées de ses tarifs pour éviter « l’autocensure de celles moins favorisées ». Il a eu gain de cause. Philippe Delorme se réjouit de cette annonce. « Nous construisons une base d’informations pour que toute personne souhaitant s’informer sur les coûts de l’un de nos établissements puisse le faire en toute transparence ». Selon Philippe Delorme, le ministère ne « fera pas la promotion de l’enseignement privé » mais renverra vers le portail en cours de construction qui indiquera les coûts réels de la scolarisation dans les établissements de son réseau.

Le deuxième point vise à « renforcer la mixité pour la réussite de tous les élèves ». Le ministère s’engage à « sensibiliser les collectivités aux objectifs de mixité… et à ouvrir aux élèves des établissements privés les mesures sociales dont bénéficient les élèves des établissements publics dès lors qu’ils concourent à la mixité sociale ». En échange, le Sgec s’engage à « inciter » les établissements à généraliser la modulation des coûts en fonction des revenus des parents pour un objectif de 50% des établissements dans 5 ans – l’un des rares engagements chiffrés. Il s’engage aussi à doubler la part des élèves boursiers dans les établissements où les collectivités financent la cantine et les transports à égalité avec l’enseignement public.

On notera que le secrétaire général ne s’engage qu’à inciter, son pouvoir étant limité à celui de persuasion. Le Ministre ne s’engage pas plus, sauf à mettre les collectivités en difficulté face aux demandes de parents désirant une prise en charge de leurs frais de restauration et de transport. « J’ai confiance dans le dialogue » nous assure Philippe Delorme. « C’est à nous de prendre notre bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des élus, pour leur montrer l’importance d’une telle mesure qui finalement ne serait que justice et ne leur couterait pas plus « . Le secrétaire général argue que les élèves qui passeraient dans le privé sont déjà financés actuellement dans le public. Mais c’est faire fi de tous ceux scolarisés actuellement dans des établissements privés qui pourraient avoir droit à une prise en charge de ces frais.

Dans ce deuxième volet d’engagements, le ministère « s’engage à accompagner l’enseignement catholique dans sa recherche d’une clarification du statut de l’immobilier scolaire des établissements associés à l’État par contrat ». Une phrase aux enjeux financiers non-négligeables pour les établissements privés. « Nous avons des différences de fiscalisation en matière de taxes d’habitation et foncière sur le territoire national» nous a relaté Philippe Delorme à la suite de notre demande d’explication. « Sur certains territoire, les bureaux, les salles des professeurs sont assujettis à la taxe d’habitation, sur d’autres non. Et pour la taxe foncière, la cour de récréation n’est pas assujettie au même taux qu’une salle de classe par exemple. Nous demandons une mise à plat de la fiscalisation puisque nos bâtiments assurent un service d’utilité publique ». Autre implication de cet engagement de l’État, la possibilité pour les établissements privés d’être subventionnés et accompagnés pour la mise aux normes de leurs bâtiments, comme pour la rénovation énergétique. « On a été étonnés de ne pas être concernés par EduRénov. La rénovation énergétique de tous nos établissements, c’est 4,5 milliards d’euros. Un coût que devraient porter nos familles ». On voit là le gain financier considérable que cet engagement apporte à l’enseignement catholique privé et parallèlement le coût considérable que cela représente pour la puissance publique.

Dans le troisième point, l’enseignement privé s’engage à augmenter la part d’élèves à besoins éducatifs particuliers dans ses établissements. Le quatrième évoque l’implantation de nouveaux établissements privés dans des secteurs à forte mixité sociale et scolaire. « Il ne s’agit pas d’ouvrir massivement des établissements, on augmentera pas forcément le nombre d’élèves mais de réfléchir à des implantations plus en périphérie des centres villes, là où la mixité fait défaut » explique Philippe Delorme. Les cinquième et sixième points instituent l’organisation d’un dialogue régulier entre les autorités diocésaines et les académies, notamment sur les objectifs de renforcement de la mixité sociale et scolaire. « Une instance sera créée au niveau académique pour avancer dans la mise en œuvre de ce protocole et son suivi » complète le secrétaire général.

Un protocole qui met à mal les promesses de mixité

Le Cnal a rapidement réagit à l’annonce de la signature du protocole. « Ce protocole ne contenant pas de volet contraignant, il permettra aux établissements privés, à l’instar du célèbre slogan de mai 68, de jouir sans entraves de la possibilité qui leur est conservée de sélectionner leurs élèves, essentiellement sur des critères sociaux » déplore le Comité National d’Action Laïque qui, toutefois, reconnait « au ministre de l’Éducation nationale le courage d’avoir pris l’initiative sur ce sujet ». Le CNAL soulève trois points d’insatisfaction. « La pratique consistant à traiter avec le secrétariat général de l’enseignement catholique, qui certes n’est pas nouvelle, s’éloigne à la fois de la volonté du général de Gaulle et de la loi de 1905, dont l’article 2, faut-il le rappeler ? stipule que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Nous avons donc affaire à un concordat scolaire » explique-t-il. « Le deuxième problème est celui de la violence symbolique. Certes, nous sommes habitués aux menaces de relancer la « guerre scolaire » adressées par le réseau catholique d’établissements d’enseignement privés sous contrat aux pouvoirs publics, chaque fois que ceux-ci jugent inacceptable leur privilège de sélectionner les élèves. Mais imagine-t-on que des représentants d’autres religions puissent menacer l’autorité publique de guerre – scolaire ou non – sans susciter de réaction ? Ainsi, les soutiens politiques aux expressions belliqueuses du réseau catholique reflètent un « deux poids, deux mesures » à l’égard des religions, qui en dit long sur le véritable attachement au principe de laïcité de partis politiques ». Pour finir, le Cnal s’interroge sur l’efficacité de cet accord qui engage l’enseignement privé « dans un protocole non contraignant, fixant une trajectoire indicative, tout en exigeant davantage de moyens publics, notamment en termes de financement de la restauration scolaire. C’est une manière de laisser passer l’orage en attendant l’arrivée, tôt ou tard, d’un ministre mieux intentionné à leur égard ».

Pour la Fep-Cfdt et le Sgen-Cfdt, ce protocole est non-contraignant et ne suffira pas à accroître « la diversité sociale des élèves ». Les deux syndicats « continuent de proposer que les dotations des établissements d’un bassin de formation, publics comme privés, soient modulées en fonction de l’écart par rapport à l’Indice de position sociale (IPS) moyen du territoire. Un tel système de bonus-malus inciterait les établissements à la mixité sociale et contrebalancerait les effets patents de l’évitement scolaire ».

Les annonces d’une Plan mixité ont été longtemps attendues. Les différentes sorties du Ministre, notamment au Sénat, pouvaient laisser présager des mesures d’ampleur en faveur de la mixité sociales à l’école. Force est de constater que les annonces ministérielles, tant pour le privé que pour le public, sont loin d’être des mesures d’ampleur, à hauteur des enjeux. Le protocole n’est pas contraignant pour l’enseignement catholique et lui assure de garder la main mise sur la sélection de ses élèves. Plus grave, il lui facilite l’octroi de subventions publiques pour la restauration scolaire et les transport scolaire ainsi que pour l’entretien et la rénovation de ses bâtiments. En résumé, ce protocole, c’est gagnant pour le privé.

Lilia Ben Hamouda