Une étude indépendante commandée par l’Interprofession française du bétail et de la viande ( Interbev ), et le groupe des Verts /ALE du Parlement européen, démontre que le CETA fragilisera encore un peu plus l’élevage en Europe, sans apporter aucun avantage au consommateur, ni en terme de qualité, ni en terme de prix.
L’étude, réalisé en décembre 2016 par 7 chercheurs de l’Institut de l’élevage ( IDELE ), de l’Institut du porc ( IFIP ), et de AgroParisTech – la première étude académique dans ce domaine – avait pour objectif de mesurer l’impact des nouvelles règles instaurées par le CETA ( accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada ) sur le secteur particulièrement concerné de l’élevage bovin, ovin et porcin. Les produits agricoles et alimentaires représentent en effet près de 10%, en valeur, de la totalité des échanges avec le Canada, sachant que dans ce domaine, l’Europe exporte actuellement plus qu’elle n’importe du Canada, ce qui ne va bientôt plus être le cas.
Dans les échanges commerciaux entre l’Europe et le Canada, le secteur agricole a une autre particularité : c’est celui où, avant le CETA, les droits de douane étaient les plus importants, beaucoup plus importants que dans tous les autres secteurs d’activité. Ces droits de douane servaient à protéger l’agriculture et l’élevage européens, et à en défendre les particularités. Or avec le CETA, les droits de douane vont disparaître dans la plupart des productions, sauf les volailles et les œufs. C’est donc aujourd’hui la loi de l’offre et de la demande qui va jouer à plein pour les produits de l’élevage, déstabilisant un secteur déjà très fragilisé. Selon l’étude, cette déstabilisation ne sera sans doute pas permanente et systématique, mais le risque sera « grandement accru au printemps-été, et surtout en cas de dévaluation du taux de change entre le dollar canadien et l’Euro. »
En dehors des droits de douane, d’autres garde-fous avaient jusqu’alors été mis en place pour empêcher que des produits agricoles ne correspondant pas aux normes sanitaires européennes entrent en Europe. Avec le CETA, il est bien précisé que cet argument des normes sanitaires et phytosanitaires ne pourra plus être objecté pour limiter la portée du CETA, qui vise purement et simplement à la liberté totale et sans entraves du commerce entre l’Union européenne et le Canada. Le risque d’affaiblissement de ces normes sanitaires est donc bien réel. Un rapport commandé en 2013 par le Parlement européen à propos d’un autre accord du même type, celui en cours de négociation entre l’Europe et les Etats-Unis, avait déjà souligné ce risque.
L’étude s’est spécialement penchée sur le cas de deux productions de l’élevage: la viande porcine et la viande bovine.
Concernant le porc, l’étude révèle qu’en raison des variations du marché et des cours de la monnaie, le CETA va ouvrir une période d’instabilité généralisée, certaines viandes de porc venant du Canada – particulièrement le muscle de jambon et d’autres parties utilisées comme matière première en charcuterie – seront moins chères qu’en Europe, et donc plus compétitives sur le marché. L’étude en conclut : « des importations à prix plus bas venant du continent nord-américain pourraient venir casser le marché européen et faire chuter ses prix, » ajoutant que « ces évènements généreront de la volatilité supplémentaire pour des industries et des éleveurs qui en souffrent déjà. »
Concernant la viande bovine, le CETA prévoit d’accorder au Canada le droit d’augmenter ses exportations vers l’Europe de manière significative ( + 37% ), toujours sans droits de douane. Or le Canada est capable de mettre sur le marché des pièces de bœuf de haute qualité ( côtes et aloyaux, ce sont majoritairement ces parties du bœuf qui seront exportées ) à des prix plus bas que celles produites en Europe. « C’est le cœur de la valorisation des carcasses européennes qui est visé », explique l’étude, et avec elles, la valorisation de l’ensemble de l’animal car les parties concernées représentent plus d’un tiers de la valeur des animaux ( alors qu’elles ne représentent que 20% des volumes.) Le bœuf européen va donc être mis en difficulté par le CETA, et l’impact va être d’autant plus fort que les volumes autorisés à l’exportation vers l’Europe, vont augmenter.
L’étude insiste également sur les conséquences du CETA pour les consommateurs de produits animaux. Leur confiance est actuellement très volatile en Europe, suite notamment aux multiples crises sanitaires que connaît le secteur depuis de nombreuses années. L’arrivée massive de viande canadienne sur le marché européen ne peut pas restaurer cette confiance, elle risque bien au contraire de l’aggraver. Pour plusieurs raisons. D’abord, les modes de production de viande au Canada obéissent à des standards sanitaires beaucoup moins rigoureux qu’en Europe – alors qu’en Europe des associations considèrent qu’ils sont déjà insuffisants. Cet abaissement des standards de la viande importée ( pour la qualité de l’alimentation du bétail, les règles de bien-être animal dans le transport et l’abattage, les contrôles sanitaires à tous les stades de la chaîne, etc… ) ne peut donc qu’augmenter la défiance des consommateurs déjà déstabilisés par les crises précédentes. Par ailleurs, l’élevage et l’abattage au Canada se pratiquent essentiellement dans de gigantesques structures industrielles qui sont précisément celles dont les consommateurs européens se méfient ( voir le débat suscité par l’implantation de la fameuse Ferme des 1 000 vaches en Picardie.) « En important davantage de viande canadienne, on risque fort d’importer aussi davantage de suspicion vis-à-vis du produit en général, quelle que soit son origine, » conclut l’étude.
Enfin le CETA fait peser une autre menace de taille sur l’agriculture européenne: celle qui touche aux prix agricoles. La part des subventions directes dans le revenu des producteurs agricoles est en effet beaucoup plus importante en Europe qu’au Canada. Et le CETA, même s’il ne contient pas d’obligations par rapport à ces subventions, prévoit que l’une des parties peut demander l’ouverture de consultations si elle estime que ses intérêts pâtissent de ces subventions. En l’occurrence, ce sera le Canada, ( ou des éleveurs ou agriculteurs canadiens les moins aidés ), qui pourront s’estimer lésés et demander en conséquence des dommages à l’Europe.
Mais surtout, avec la fin des droits de douane, on ne disposera plus de moyens pour réguler les prix agricoles, pour restaurer des prix minimum garantis – tout particulièrement en temps de crise -, et encore moins pour maîtriser les volumes de production. C’est donc une période de dérégulation et d’incertitudes pour l’agriculture et l’élevage européens qu’ouvre le CETA.
Jean-Jacques Régibier
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