Il n’y a plus de grain à moudre chez les céréaliers

Les pertes sèches des producteurs de céréales pour l’année 2016 seraient de 300 à 700€ par hectare cultivé selon les régions. Photo : AFP

Les pertes sèches des producteurs de céréales pour l’année 2016 seraient de 300 à 700€ par hectare cultivé selon les régions. Photo : AFP

Réunis dans l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB) les céréaliers de la FNSEA tiennent leur congrès annuel les 8 et 9 février à Orléans. Cette ville n’a pas été choisie par hasard. La région Centre est celle qui a connu les plus fortes baisses de rendements en céréales à paille en 2016. Elle a été la région la plus affectée par la pluie et le manque de luminosité à la fin du printemps. Du coup, la chutes de rendements a souvent frôlé  le moins 40% contre une moyenne nationale de moins 30% par rapport à 2015.

En 2016 la baisse de rendements est intervenue alors que les cours des céréales étaient en baisse sensible pour la troisième année consécutive. Selon l’AGPB, les pertes sèches des producteurs de céréales pour l’année 2016 seraient de 300 à 700€ par hectare cultivé selon les régions. Ce qui donne des revenus négatifs un peu partout, de l’ordre de moins 25.000 à moins 30.000€ par actif non salarié. Il faut ici comprendre que là où il y a des salariés  sur l’exploitation, ces derniers ont été rémunérés pour leur travail. Mais, suite à cette rémunération, l’actif non salarié qu’est souvent le chef d’exploitation n’a pu dégager le moindre revenu pour lui-même au moment du bilan comptable, lequel est devenu déficitaire pour cette année 2016. Quand l’actif non salarié travaillant seul, sa situation est peut être moins mauvaise sans pour autant être satisfaisante en 2016.
Pour comprendre cette situation exceptionnellement défavorable aux producteurs de blé et d’orge qui, souvent, produisent aussi du colza, du tournesol et du maïs, il faut savoir que le prix des céréales en France et en Europe s’aligne sur le prix mondial. Ce prix mondial est toujours spéculatif. Il monte très vite et très haut en cas de risque de pénurie. Ce fut le cas en 2007-2008 ce qui provoqua des émeutes de la faim dans de nombreux pays importateurs de blé et de riz. Mais il est trop bas pour couvrir les coûts de production et pour permettre de dégager un revenu pour l’exploitant dès que l’offre mondiale dépasse la demande solvable que quelques petits points. Or, pour la troisième année consécutive, l’offre céréalière mondiale dépasse la demande et le prix de la tonne de blé français rendue dans les ports d’embarquement pour l’exportation plafonne à 170€, voire moins à certaines périodes de l’année, alors qu’il faudrait 50€ à 70€ de plus pour que le producteur dégage un revenu.

2016,  année de triple peine

En 2015, non plus, les prix n’étaient pas bons. Mais les rendements étaient très élevés, ce qui permit à la plupart des céréaliers de dégager un revenu. 2016 est une année de triple peine avec de faibles rendements comparés à une année moyenne, des grains parfois de piètre qualité et des prix trop bas. Les céréaliers, qui étaient jusque-là les plus gros bénéficiaires des aides européennes depuis la réforme de la Politique agricole de 1992, se trouvent en grande difficulté 25 ans plus tard. Pourtant les aides européennes n’ont guère diminué depuis cette date. A l’époque, il s’agissait d’une prime par l’hectare cultivé ou consacré à la jachère. Mais comme cela posait des problèmes devant les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à partir de 1995, elles furent modifiées en 2003 pour devenir des Droits à paiement unique (DPU). Pour chaque ferme, on calcula la somme perçue par l’exploitant en 2000, 2001 et 2002 pour les hectares en culture. Le DPU par exploitation versé à partir de 2003 correspondait à la moyenne des primes annuelles versées les trois années précédentes à chaque exploitant.
Malgré un léger rabotage effectué par Stéphane Le Foll lors de la dernière réforme de la PAC afin de favoriser les 52 premiers hectares de chaque ferme dans le but d’aider l’élevage, les céréaliers demeurent les paysans les plus subventionnés par Bruxelles. Cela a même poussé  des éleveurs à  abandonner l’élevage sur des zones dites « intermédiaires », qui  donnent parfois des  rendements céréaliers aléatoires. Comme ces mêmes régions sont souvent plus sensibles aux sécheresses et aux autres effets du réchauffement climatique, elles ne sont pas plus résilientes en grandes cultures qu’en élevage.

L’agronomie, le parent pauvre

Il ya donc de gros sujets à mettre en débat au congrès de l’AGPB. Toutefois, les thèmes choisis par la direction syndicale n’ont pas pour objectif de s’interroger sur la pertinence de la mondialisation capitaliste. Il n’est pas davantage question de prendre en compte les conséquences du réchauffement climatique et de voir comment  adapter la manière de produire à cette nouvelle donne. Les congressistes écouteront plus qu’ils n’interviendront lors de deux tables rondes. La première est prévue sur le thème : « liberté de choix, liberté d’entreprendre, quelles solutions pour demain?».  La seconde a pour titre : « risques agricoles, des solutions pour l’avenir ». L’agronomie reste le parent pauvre de sujets mis en débat pour la première table ronde dès lors que l’on reste dans une agriculture très spécialisée en rotations courtes qui épuisent les sols et les appauvrissent en matière organique. Les autres sujets mis en exergue pour ce débat sont innovation, numérique, réglementation, gestion, commercialisation. Ce dernier sujet et vu comme dépendant de la volatilité des cours induite par la mondialisation capitaliste.

Épargne de précaution contra-cyclique individuelle

Dans ce contexte, la proposition la plus innovante est probablement celle qui consisterait à mettre en place « une épargne de précaution contra-cyclique individuelle ». L’idée est d’épargner  de l’argent  dans les années de bonnes récoltes avec des prix rémunérateurs, d’éviter d’être imposé sur cette épargne dans laquelle on pourra puiser lors des années difficiles comme 2016. Certains verront là une volonté de soustraire les bonnes années à l’impôt sur le revenu. Mais cette soustraction existe déjà, notamment sous forme de surinvestissement dans du machinisme neuf afin de faire de la défiscalisation.
Dès lors, un système fondé sur l’épargne de précaution semble nettement plus approprié que ce qui se pratique depuis de longues années avec l’aide des experts comptables. Il se dit même que certains céréaliers se sont mis dans le rouge en 2015, année de bonne récolte, en profitant d’un surcroît de défiscalisation rendu possible par …la loi Macron. Pour payer le moins d’impôt possible, ils ont acheté du matériel dont ils n’avaient pas besoin.
Quand une partie de ce matériel inutile a été tout de même été financé par le recours au crédit, rembourser est devenu difficile en 2016 et en 2017!

Gérard Le Puill


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