#Pasdevagues : 150 000 tweets étudiés par le Sénat

C’est une première qu’a réalisé la Commission de l’éducation du Sénat, présidée par C Morin-Desailly. Elle a présenté le 12 décembre une analyse des tweets du phénomène #pasdevagues et reçu en audience fermée plusieurs enseignants auteurs de tweets. Le Sénat met ainsi en évidence l’importance de#pasdevagues et du malaise enseignant. Reste à en tirer des leçons. Pas sur que celles-ci conviennent aux enseignants…

21 octobre un tweet d’un professeur d’histoire lance le hashtag #pasdevagues sur tweeter. Sa reprise par Fatima Aït Bounoua, une intervenante sur RMC lui donne sa vitesse de lancement. Le 23 on atteint 39 000 tweets et le tsunami #pasdevagues va durer à un niveau élevé jusqu’à la mi novembre sans que les déclarations ministérielles aient d’effet.

Au total , selon l’étude présentée par le Sénat, #pasdevagues a porté150 555 tweets , soit moitié moins que #BaloanceTonPorc mais nettement plus que la marche pour le climat.

Derrière ces tweets, 35 385 utilisateurs dont 8300 ont publié de nouveaux tweets, les autres se contentant de relayer les tweets. Parmi ces utilisateurs du hashtag, on compterait 84% d’enseignants du second degré et 5% du premier. Les autres appartiennent à d’autres professions éducatives ou des retraités.

 » Les témoignages portent principalement sur le comportement d’élèves et notamment pour des faits de violence (physique, verbale) envers des professeurs », explique l’étude. « On note que s’agrègent toutefois autour du #hashtag plusieurs problématiques distinctes : comportement des élèves envers les professeurs et entre eux, relations avec les parents, critique du système hiérarchique. Le message principal ne vise pas tant à dénoncer ces violences, mais plutôt à dénoncer l’(in)action de la hiérarchie (rectorat, conseil de discipline) face à celles-ci. Quelques comptes particulièrement véhéments utilisent des termes tels que “omerta” et “culture du silence” ».

L’étude présente aussi une cartographie du hashtag qui s’établit entre le Snes et le Rassemblement national.

Dans un communiqué, C Morin-Desailly tire ses conclusions du phénomène #pasdevagues.  » « Le mouvement #PasDeVague révèle avant tout un besoin d’écoute et de considération des professeurs. Il illustre clairement  certains des problèmes structurels de notre système éducatif  : une formation initiale et continue des enseignants qui intègre insuffisamment ces problématiques, l’absence de politique de GRH et des règles d’affectation injustes, enfin, la solitude et l’isolement des professeurs et des chefs d’établissement face aux difficultés  qu’ils rencontrent ». Elle annonce qu’elle interviendra lors de l’examen de la loi Blanquer  » pour remédier à ces déficiences graves de notre système éducatif ».

F Jarraud

 

L’étude

Débat : Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux ?

Des lycéens place de la République à Paris, le 7 décembre 2018. Lionel Bonaventure/ AFP

Les autorités de l’État et les élus (et pas seulement ceux de la majorité, ne nous leurrons pas) font face à une défiance d’une ampleur inédite, à laquelle il est bien difficile de trouver une réponse, tant les revendications sont à la fois hétérogènes et individualistes (une par sous-catégorie de la population), irréalistes et contradictoires (davantage de services publics, mais moins d’impôts ; plus de croissance, mais moins de concurrence ; plus de sécurité, mais moins de règles), et déconnectées d’enjeux aussi fondamentaux que le réchauffement climatique ou l’endettement du pays.

Comment expliquer qu’on en soit arrivé là aussi vite ? Le premier constat, c’est que la révolte des gilets jaunes n’est qu’un symptôme de plus d’un mal plus profond, celui qui a conduit au Brexit, à l’élection de Viktor Orban, Donald Trump, Matteo Salvini et Jair Bolsonaro, et qui garantit l’inamovibilité de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.

Les causes de ce syndrome sont connues : déclin des idéologies, affaiblissement des corps intermédiaires, pessimisme généralisé, peur du déclin (social, économique, industriel, environnemental, culturel, religieux…), crainte des grands changements (mondialisation, migrations, concurrence internationale, terrorisme, métropolisation…) et opportunisme des marchands de peur et de rêve, qui attisent l’angoisse et la haine, fonds de commerce de leurs prospères PME populistes et médiatiques.

A cela s’ajoutent la toute-puissance des réseaux sociaux, qui bousculent les logiques traditionnelles des mobilisations, de la communication, de l’information et du fonctionnement de l’espace public.

Mobilisation et action

D’abord, ils permettent, sans le moindre moyen financier, humain ou logistique, d’organiser à large échelle l’action de citoyens qui ne se connaissent pas. Sans les réseaux sociaux, il aurait été impossible à des quidams de coordonner si rapidement une protestation de cette ampleur. Le mouvement des gilets jaunes, parti de mobilisations très limitées et dépourvu de toute ressource, a pu acquérir en l’espace d’un mois une ampleur considérable, laissant penser à certains qu’il a désormais vocation à se substituer aux partis, aux syndicats, et même à la représentation nationale.

C’est le sens des trois pages de « directives » adressées par les gilets-jaunes aux parlementaires français, de leur appel à la démission du Président et à la dissolution de l’Assemblée, et de leur volonté de présenter désormais une liste « gilets jaunes » aux élections européennes.

Au Mans, le 6 décembre 2018. Jean‑François Monier / AFP

Ensuite, les réseaux sociaux favorisent un discours de protestation et de révolte. Chacun a pu s’en apercevoir : il est presque impossible d’y entamer un dialogue serein et argumenté. Facebook ou Twitter, c’est émotion contre émotion, colère contre colère, indignation contre indignation, outrance contre outrance. Il s’ensuit, soit un dialogue de sourds entre des gens peu capables d’écoute, sans cesse aiguillonnés par des trolls ; soit la constitution de sphères qui s’autonomisent, peuplées de gens qui partagent les mêmes convictions, ici des citoyens qui pensent que le gouvernement fait une politique pour le seul bénéfice des banquiers, là d’autres qui estiment que les gilets-jaunes sont tous des ahuris.

Primat de l’émotion sur les faits

Ce primat de l’émotion a gagné la sphère publique et médiatique. Ce qu’on entend, ce ne sont pas des arguments ou des idées, mais des émotions (« je suis en colère », « y en a marre ») et des perceptions (« je pense que je gagne moins », « on se moque de nous »). Les faits n’ont plus grande importance. C’est le règne de la croyance sur la connaissance : croyance religieuse ou croyance sociale, il en va de même. Que 2 et 2 fassent 4 importe peu si certains pensent que c’est 5 ou 7. Insister sur le fait que l’arithmétique établit clairement que c’est 4 sera perçu comme du mépris ou de la condescendance… Continuer la lecture de Débat : Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux ?