Retrouvez ici le texte de mon intervention.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’avoir été désigné par les groupes Socialistes et apparentés, France insoumise et Gauche démocrate et républicaine pour présenter cette motion de censure. J’ai accepté cette responsabilité, qui a pris une nouvelle dimension depuis le drame survenu à Strasbourg. Conscients de la gravité du contexte, nous avions fait savoir au président de notre assemblée notre accord pour discuter la motion en début de semaine prochaine, si le Gouvernement le souhaitait. Comme nous, le Premier ministre a considéré que la meilleure façon de lutter contre le terrorisme était de continuer à faire vivre la démocratie. Soyons donc fiers, mes chers collègues, d’être aujourd’hui réunis pour débattre de cette motion de censure, prouvant ainsi à tous les ennemis de la démocratie que nous ne sommes pas à leur merci.
Nous vivons depuis plusieurs semaines un moment historique, une page d’histoire qui s’inscrit dans la longue lignée des grands mouvements populaires par lesquels notre peuple a affirmé sa soif de justice et de dignité : la soif de justice des laissés pour compte de la répartition des richesses, d’un peuple en rébellion contre ceux qui ne peuvent imaginer que 50 euros en moins dans le budget familial signifient dix jours de galère jusqu’à la fin du mois ; la soif de justice de ceux qui sont au chômage, de ceux qui ont une feuille de paie à 1 000 euros par mois ou une retraite à 800 euros ; la soif de justice contre les boulimiques de l’argent volé, ce 0,1 % de la population qui augmente en un an son revenu de 86 000 euros en moyenne et sniffe la plus-value comme de la poudre blanche.
C’est cette violence du quotidien, cette humiliation de tous les instants que vivent des millions de femmes, d’hommes et d’enfants de notre pays. Voilà pourquoi, ceints de leur gilet jaune, ils reprennent avec leurs mots ce que disait si bien Vercors : « L’humanité n’est pas un état à subir. C’est une dignité à conquérir. » Voilà pourquoi nous avons pu entendre cette phrase : « Nous n’avons plus rien à perdre, puisque nous avons déjà tout perdu ou presque. »
Cette dignité est aujourd’hui bafouée par votre pouvoir, indifférent et méprisant quant au sort de son propre peuple, un peuple debout, qui en appelle à la justice, celle qui consiste à pouvoir vivre dignement, à contribuer équitablement à l’effort national, à bénéficier d’une réelle redistribution des richesses du pays. Ces principes simples continuent à vous échapper, arc-boutés que vous êtes sur les dogmes libéraux qui guident et fondent votre politique générale, et qui, alliés à une pratique verticale du pouvoir, vous ont conduits à exclure les corps intermédiaires et les forces démocratiques de notre pays. D’un côté, les élus nationaux et locaux, les syndicats et les associations d’intérêt général sont restés hors de votre champ de vision ; de l’autre, le pouvoir n’a jamais été aussi sensible aux intérêts particuliers défendus par les lobbies. Le contraste est saisissant entre votre indifférence à l’égard des cris du peuple et votre sensibilité naturelle aux arguments des lobbyistes, dont certains sont désormais membres du Gouvernement.
Alors que la situation méritait de déclarer immédiatement un véritable état d’urgence écologique, économique et sociale, vous avez attendu. Puis vous vous êtes contentés, avec Emmanuel Macron, d’annoncer des mesures aussi trompeuses qu’insuffisantes. Cette attitude et cette posture ne sont pas à la hauteur des menaces qui pèsent sur la paix civile et sur l’activité économique de nos territoires. Oui, vous avez failli ! Votre gestion de la crise a été catastrophique, tant vous avez méprisé et sous-estimé l’ampleur de la colère qui traverse notre pays. Le bilan est désastreux : la mort insupportable de six personnes, de nombreux blessés graves, d’énormes dégâts matériels et économiques. Les annonces faites en réponse à la révolte des gilets jaunes et à la majorité de nos concitoyens qui les soutiennent ne sont ni justes, ni responsables.
Vous le savez : nous condamnons avec la plus grande fermeté les actes de violence qui se sont déchaînés à Paris et ailleurs dans nos territoires, comme nous condamnons ceux, moins visibles, des possédants autour du tapis vert de leurs conseils d’administration. Pour autant, cette violence inqualifiable ne saurait justifier des comportements qui déshonorent l’ensemble des fonctionnaires de police. Les images d’adolescents agenouillés, mains sur la tête, écornent notre pays, patrie des droits de l’homme. Quant à votre Gouvernement, certains de ses membres se sont permis de mépriser les gilets jaunes en les réduisant à « des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel », ou, pire, en les qualifiant de « peste brune ».
Ces mots blessants ont contribué à créer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Un tel mépris social, un tel mépris de classe font des dégâts considérables sur ceux dont la dignité est la seule richesse ; des dégâts que les déclarations d’amour tardives du Président de la République ne pourront effacer.
Nos concitoyens sont conscients de votre responsabilité directe dans le sort qui leur est fait, lequel conjugue déclassement social et matraquage fiscal. Leurs conditions de vie contrastent de manière insupportable avec le traitement de faveur dont jouissent ceux que vous osez appeler les « premiers de cordée », ceux-là mêmes qui vous ont permis d’arriver au pouvoir en finançant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron ; ceux-là mêmes qui forment le clan présidentiel et jouissent de privilèges d’un autre temps ; ceux-là mêmes qui ont profité de la suppression de l’ISF – impôt de solidarité sur la fortune – ; ceux-là mêmes qui profitent aussi de votre frilosité dans la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux ; ceux-là mêmes qui profitent des niches fiscales et sociales. Voilà l’assistanat des riches qui nous coûte un « pognon de dingue » !
C’est cette politique profondément injuste et inhumaine qui nourrit la colère, le désespoir et le chaos dans le pays. C’est donc la responsabilité politique de l’exécutif – votre responsabilité ! – qui se trouve directement engagée aujourd’hui. Un minimum de lucidité vous aurait conduits à changer de politique ou à présenter la démission de votre Gouvernement. Cette lucidité vous a fait défaut. En déclarant d’abord fièrement que vous ne changeriez pas de cap, guidés par le matraquage fiscal des classes moyennes et défavorisées, vous avez assumé le mot d’ordre qui anime votre action : droit dans les bottes – mais aussi, de fait, droit dans le mur.
Quant à vous, chers collègues de la majorité, c’est parce que cette réalité vous échappait que je vous reprochais, en juillet dernier, d’être les intestins silencieux de la bouche élyséenne, de simples digéreurs de la parole présidentielle.
Sous le charme de Jupiter, vous avez ainsi avalé aveuglément les raisins de la colère. C’est cette auto-intoxication en vase clos qui explique votre impuissance prolongée. C’est ainsi qu’est venu le temps de la cacophonie, inédite au sein d’un Gouvernement, le temps des déclarations contradictoires et des annonces qu’il nous a fallu décrypter. Et notre verdict est sans appel : les quatre mesures d’urgence annoncées pour restaurer le pouvoir d’achat ne sont que des mesurettes qui s’inscrivent dans votre agenda libéral.
Parlons du SMIC. Le Président a annoncé une augmentation de 100 euros ; l’annonce a pu faire mouche mais, une fois décryptée, elle est bien loin de ce qui pourrait être vu comme un geste généreux. Car il faut dire la vérité : ce n’est pas le SMIC qui augmentera au 1er janvier, mais la prime d’activité, elle-même financée par les contribuables. Ce n’est pas l’ensemble des salariés au SMIC qui bénéficieront de cette bonification, mais seulement ceux qui seront éligibles, avec des taux variables et sans profiter de droits supplémentaires au chômage et à la retraite. Et ils devront réclamer leur augmentation par des démarches administratives.
Parlons de l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités dont la pension est inférieure à 2 000 euros. L’annonce a pu faire mouche, mais le bénéfice de la mesure est conditionné au revenu fiscal de référence du foyer, les revenus mensuels d’un couple ne devant pas dépasser 2 750 euros. De plus, il ne s’agit que d’une annulation partielle de l’augmentation que vous avez décidée et qui reste unanimement dénoncée par les retraités. Il faut, là aussi, dire la vérité : ce que vous leur redonnez aujourd’hui, vous leur reprendrez avec le gel des pensions de retraite en 2019 !
Parlons des heures supplémentaires défiscalisées, annonce qui a pu faire mouche auprès des 9 millions de personnes concernées, soit près d’un salarié sur deux. Mais il faut en mesurer toutes les conséquences pour, là encore, dire la vérité : cette disposition pourrait détruire, selon l’OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques –, près de 19 000 emplois d’ici à 2022, sans compter la suppression d’emplois publics pour la financer.
Parlons de la prime exceptionnelle de fin d’année. L’annonce a pu faire mouche, mais cette prime ne profitera qu’aux salariés des entreprises qui veulent et peuvent l’accorder.
Il faut toujours dire la vérité : dès qu’il s’agit de mettre à contribution le patronat, l’effort de solidarité nationale reste facultatif. Le bilan de vos concessions est sans appel : elles sont trompeuses, insuffisantes et trop tardives. C’est la même cuisine, mijotée au jour le jour, avec les mêmes recettes, sur les mêmes fourneaux, dans les mêmes marmites, aux mains des mêmes cuistots !
Au total, 6 milliards d’euros seront nécessaires pour financer ces mesures qui laissent sur le bord du chemin les privés d’emploi, les personnes handicapées, les paysans, les jeunes ou encore les bénéficiaires des minima sociaux. Elles mettent aussi de côté l’urgence écologique, qui avait pourtant servi de prétexte à la hausse du prix des carburants. Vous devez trouver 6 milliards, et nous ne savons pas où vous irez les chercher. Une chose est sûre : certainement pas dans les poches des plus fortunés. Ces derniers sont sous votre protection et vous ne voulez surtout pas revenir sur votre péché originel, à savoir la suppression de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune. Aussi est-il de notre responsabilité de vous stopper dans votre course têtue en faveur du capital.
Le lien de confiance entre notre peuple et l’exécutif est rompu, le divorce est acté ; il est temps d’en tirer les conséquences. C’est pourquoi nous avons décidé de déposer une motion de censure pour obtenir votre démission. Cette démission serait l’acte de naissance d’un nouveau gouvernement, qui ne pourrait faire autrement que de s’inspirer directement des revendications économiques et sociales légitimes du mouvement populaire qui traverse notre pays.
Telle est notre réponse institutionnelle à la crise actuelle. Elle ne saurait cependant suffire à résoudre les souffrances populaires engendrées par votre idéal de société au service d’une minorité, qui ne respecte que l’argent et la loi du plus fort, et qui a tant fait la preuve de son inefficacité et de ses ravages. Il convient de travailler avec notre peuple à un nouveau modèle de société fondé sur l’humain, la dignité, la justice sociale et fiscale, et la transition écologique.
Mais il nous faut d’abord sortir de l’impasse dans laquelle votre politique a mené le pays, grâce à des mesures simples et radicales, de nature à ramener la paix civile et sociale : l’augmentation du SMIC, des salaires, des pensions et des prestations sociales ; la réduction du temps de travail ; le déploiement des services publics pour réduire la fracture sociale et territoriale ; le développement de transports gratuits ; l’extension des énergies propres. Vous allez nous dire que ces mesures aggraveraient l’état de nos finances publiques.
Pas du tout ! Pour cela, il suffit de rétablir l’ISF de taxer les transactions financières, de mettre fin au CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – ou de le cibler, de supprimer les niches sociales et fiscales, de lutter contre l’évasion fiscale.
Il y a aussi d’autres pistes à explorer : est-il raisonnable, par exemple, de consacrer, tous les ans, des milliards à l’entretien de notre armement nucléaire ?
Nous avons salué l’irruption des invisibles dans le débat public. Cette émergence citoyenne nous invite également à repenser notre modèle institutionnel et démocratique, car cette crise révèle les maux profonds d’un régime à bout de souffle. La Ve République mérite d’être mise à la retraite d’office pour son soixantième anniversaire, tant sa dérive hyper-présidentialiste nourrit la défiance citoyenne.
Vous n’entendez pas votre peuple, parce que vous êtes déconnectés du peuple. C’est pourquoi notre motion de censure est plus que jamais d’actualité.
Chers collègues, nous l’avons voulu rassembleuse, aussi appelons-nous l’ensemble des députés à la voter. Oui, vous pouvez la voter ; oui, vous devez la voter. Quelle que soit votre sensibilité politique, vous pouvez la voter en femmes et en hommes libres.
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