Va t-on remplacer l’EPS par du sport, voire du coaching ? Proposée par 5 professeurs d’EPS, cette tribune analyse les déclarations politiques et les accords signés entre l’Education nationale et des fédérations sportives. Une ligne semble se dessiner : remplacer l’EPS par des activités sportives réalisées par coachs. » Le dogme du sport-santé est plus qu’un slogan, c’est aussi un marché économique non négligeable pour beaucoup ».
Des profs qui s’adaptent, une discipline confuse
Dans un contexte de crise sanitaire et de mesures de confinement suite à l’épidémie de covid-19, chaque enseignant a dû faire preuve d’adaptation, d’innovation et d’ingéniosité pour repenser presque totalement son enseignement dans une urgence et une précipitation qui laissent songeur. Concernant l’EPS, il est difficile de répertorier de manière précise l’ensemble des actions proposées par les collègues (des applications, des vidéos sur le jonglage, de la relaxation, des exercices d’aérobic, des circuits training, des flash mob en danse, ou encore des tests de connaissances ou des jeux de société en lien avec la pratique sportive, etc.). Quoi qu’il en soit, il est indéniable que la communauté EPS s’est fortement mobilisée et a su faire preuve de créativité, comme en témoignent les différents partages d’expérience que l’on peut notamment retrouver sur le groupe d’un réseau social « EPS Mania ».
Pour autant, il nous parait important de rappeler que ces différents dispositifs à distance ne sont pas (et ne seront jamais) de l’éducation physique et sportive, comme nous l’entendons. Le contexte et les nombreuses propositions des enseignants d’EPS s’inscrivent dans une forme de continuité pédagogique, qui n’en est pas tout à fait une, puisque par définition la pédagogie s’affranchit difficilement de la présence in situ des élèves permettant de réguler l’acte d’enseignement, d’autant plus quand elle interpelle les corps. Plus précisément, les enseignants d’EPS ayant massivement proposé des circuits training pour maintenir les élèves en activité et dans un certain état de forme, ont finalement proposé de « L’entraînement à la maison » (si nous reprenons le titre de l’application proposée par l’académie de Créteil) et non de l’EPS en tant que tel. Encore faut-il le dire.
En effet, durant cette période de « confinement », c’est davantage une pratique de développement personnel qui est proposée sous forme de prescription, laissant les élèves le plus souvent livrés à eux-mêmes et en toute autonomie, engendrant potentiellement des réponses motrices pour le mieux inadaptées, pour le pire altérant leur intégrité physique. Bien que les initiatives soient nombreuses, riches et variées, l’enseignant d’EPS ne peut être assimilé à un « coach de forme » mimant des exercices de renforcement musculaire. L’idée n’est pas de reprocher les initiatives prises par les collègues, bien au contraire, mais plutôt de s’interroger sur la lisibilité et l’image parfois réductrice de notre discipline et du cours d’EPS, renvoyées par les médias.
De fait, cette confusion entre l’enseignant d’EPS et le « coach de forme » s’exprime même au sein de la plateforme éducative « Lumni », qui propose de faire du « sport à la maison ». Pourquoi ne pas avoir associé des enseignants d’EPS pour apporter des contenus pédagogiques adaptés à un public scolaire, et avoir privilégié des « coachs », contrairement aux autres disciplines ? Ce constat qui peut sembler anodin de prime d’abord, témoigne assez bien du manque de clarté et de reconnaissance de la discipline en droite ligne de mire des aspirations du Ministre à employer des éducateurs sportifs dans le cadre du 2S2C (Sport, santé, culture, civisme) et certainement dans une mise en concurrence de l’EPS et du sport en général. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de critiquer de louables intentions, mais plutôt d’être vigilant et ne pas rajouter de confusion à une discipline historiquement en proie à un manque de lisibilité.
En effet, force est de constater que nous n’avons peut-être pas su collectivement nous entendre sur ce qu’était notre discipline et les savoirs fondamentaux que l’EPS souhaitait viser pour la formation globale de l’élève. Finalement, si notre discipline manque toujours autant de clarté, ne s’est-elle pas tout simplement enfermée dans une pratique souvent illisible et incompréhensible par le politique et le grand public, mais aussi certains de nos élèves. Qui fait réellement la différence entre l’EPS et le Sport, hormis les enseignants d’EPS ?
La période actuelle et future a de quoi nous interroger quant à l’utilité de l’EPS aux yeux des politiques et plus largement de l’ensemble de la population française. Aux vues des différentes propositions politiques (dispositif 2S2C) et du dernier rapport de la Cour des comptes de 2019 (L’EPS et le sport : une ambition à concrétiser), plus que jamais, la discipline et ses enseignants, sont amenés à devoir revendiquer la spécificité et le rôle émancipateur de l’EPS pour la formation et le développement des compétences motrices, méthodologiques et sociales de l’élève.
« Sport » ou « EPS » : discours ambigus et instrumentalisation politique
La crainte d’une instrumentalisation politique se comprend d’autant mieux lorsque l’on analyse de plus près les différents discours et propositions politiques : les confusions sont nombreuses et ont de quoi semer le doute. Le dernier rapport de la Cour des comptes cité plus haut, était déjà un rapport assez caricatural sur l’image de l’EPS et de son enseignement, questionnant l’utilité sociale de la discipline, voire son efficacité. L’expérimentation « Cours le matin / Sport l’après-midi » ou encore la référence systématique au « modèle allemand » par le Ministre de l’Education Nationale ou certains parlementaires, ont de quoi inquiéter. En effet, faut-il (encore) rappeler que ce modèle né dans les années 1950 pour des raisons davantage socio-économiques que « chrono-pédagogiques », est aujourd’hui largement remis en cause, voire abandonné dans de nombreux « Länder ». Ensuite, la participation à ces activités est la plupart du temps facultative et parfois payante. Difficile donc de croire que ces propositions seraient au bénéfice de celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Plus inquiétant encore, ce choix politique se retrouve en partie dans un texte co-signé par le Ministère des Sports, le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et le Ministère de l’Education Nationale, concernant le « Protocole relatif au dispositif d’appui à la reprise scolaire « Sport, santé, culture, civisme » (2S2C) en sortie de confinement à destination des fédérations et des clubs sportifs » datant du 8 mai 2020. Il est notamment précisé que l’objectif du dispositif 2S2C dans le champ sportif est « d’assurer localement l’accueil des élèves sur le temps scolaire par d’autres intervenants que leurs professeurs en proposant d’encadrer une activité physique et sportive ». Même s’il est rappelé qu’il est important de bien différencier EPS et Sport, le doute persiste à bien des égards et ce, tout au long de ce texte. En effet, dans cette logique de partenariat entre l’école et le mouvement sportif, les « fédérations sportives agréées sont invitées à relayer à leurs clubs les coordonnées des référents départementaux, membres des GAD (Groupes d’Appui Départemental) qui se trouvent annexées au présent protocole. Leurs offres d’activités pourront ainsi être utilement transmises ». On voit très clairement ici que les clubs sont invités à s’emparer rapidement du dispositif, et ce, au détriment de l’EPS ? Cette question mérite d’être posée.
En effet, un regard historique sur l’EPS, nous amène assez logiquement à faire le parallèle avec la création des Centres d’Animation Sportive (CAS) datant de 1972. Ces CAS avaient pour but d’installer le « sport optionnel » et étaient destinés à accueillir les élèves volontaires du secondaire en dehors du temps scolaire. Ce dispositif avait pour objectif notamment de créer des structures « extra-scolaires » autour d’un équipement sportif sous la responsabilité d’un professeur d’EPS qui avait un rôle de coordination en gérant une équipe d’animateurs sportifs.
Ce discours ambigu se retrouve aussi dans le déploiement à grande échelle du « Label JO Paris 2024 ». Le protocole 2S2C précise de la même manière, qu’il convient de « consolider et d’amplifier les liens entre l’école et les clubs sportifs fédérés à plus long terme, conformément à l’objectif affiché par le mouvement sportif, Paris 2024 et l’Etat dans le cadre du plan « Héritage » des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ».
L’interrogation des acteurs de l’EPS est claire : d’un côté, un corps d’enseignants d’EPS recrutés à Bac +5, formés pour l’intervention et l’enseignement en milieu scolaire pour tous les élèves, ayant le souci de l’égalité, de l’éducation, quel que soit le niveau de pratique physique des élèves, polyvalent sur plusieurs sports dont des activités à risque (escalade, savoir-nager, etc.) et de l’autre, un corps d’éducateurs sportifs, recrutés au niveau Bac, la plupart du temps spécialisé dans un sport donc monovalent, et dont la formation et le niveau scolaire initial ne les préparent pas à l’intervention en milieu scolaire. Peut-on décemment mettre en balance les deux sur le plan de la qualification et de la responsabilité ? Aussi, sommes-nous étonnés de cette réforme imposée sans justification valable, sans sollicitation des acteurs de l’EPS.
Ces dispositifs, ces discours ambivalents et ce, même au plus haut niveau de l’Inspection Générale maintenant fusionnée (Education, Sport et Recherche), la double valence et/ou fonction de certains cadres, tiraillés entre le milieu fédéral et scolaire, participent certainement à cette confusion. Dès lors, concernant les prérogatives et enjeux de chacun, la frontière EPS et Sport s’en trouve réduite.
Dans le contexte actuel, les partenariats entre l’EPS, l’UNSS et le mouvement sportif sont salutaires. Il est évident qu’au regard des contraintes sanitaires, des protocoles stricts à mettre en place, notamment en primaire, l’entraide de tous peut être bénéfique.
Pour autant, il est important de rappeler que les finalités de l’EPS sont bien différentes de celles du milieu fédéral. Les différents textes et rapports rappelés ci-dessus ont donc de quoi interpeler et accentuent ce sentiment de défiance de la profession.
Des points de vigilance pour la profession
A travers ces différentes propositions, nous voyons aussi un intérêt : renforcer la place de l’EPS à l’école primaire. Mais quel message envoyons-nous à nos collègues professeurs des écoles ? Personne ne semble s’en soucier. Plus concrètement, envisager une véritable liaison primaire et secondaire en EPS, c’est proposer une EPS de qualité aux élèves. Toutefois, c’est aussi courir le risque de stigmatiser (encore plus) les professeurs des écoles sur leur supposé manque de compétences en la matière.
Dès lors, il serait intéressant d’intégrer massivement les enseignants d’EPS en primaire et créer une liaison au sein du cycle 3 d’apprentissage du socle commun. Pourquoi cette réflexion ne concernerait pas alors l’ensemble des disciplines ? Pourquoi ne pas renforcer en premier lieu la formation des professeurs des écoles ? Pourquoi ne pas réinstaurer une épreuve obligatoire d’EPS au concours du CRPE ? Certes, cela nécessiterait des moyens plus conséquents, mais nous serions en mesure de proposer une EPS de qualité à tous les niveaux de la scolarité.
En outre, l’idée de partenariat évoquée dans le texte relatif au dispositif 2S2C n’est pas remise en question car elle permet de renforcer les liens entre les différents acteurs et questionner à nouveau la complémentarité EPS/AS à l’école primaire mais aussi au collège et au lycée. Pour autant, ce texte demeure très flou sur le statut et le forfait UNSS de 3h intégré au service des enseignants d’EPS. De même l’idée de « complémentarité » de l’offre sportive n’est pas très claire. Encore une fois, l’histoire semble se répéter.
Demain : protocole sanitaire et moyens
Dans les mois à venir, l’EPS à distance ne permettra pas forcément d’atteindre tous les objectifs et les compétences fixés habituellement. Il est donc évident que, pour un temps (que nous espérons tous le plus court possible), il s’agira de repenser l’enseignement de l’EPS à l’école. L’enseignement à distance ne sera jamais l’avenir de l’école. Au regard des protocoles sanitaires exigeants mais nécessaires, le choix d’activités s’avère problématique. Ce contexte met aussi en évidence plus largement la pénurie d’installations sportives, ou encore le manque de moyens matériels pour les enseignants. La réalité est criante à ce sujet. Difficile donc de dire quelle sera l’EPS « demain ».
En tout état de cause, il nous a semblé important d’alerter l’ensemble de la profession et de l’inciter à se saisir des enjeux actuels, avant que le mouvement sportif le fasse à notre place dans le cadre scolaire. Le dogme du sport-santé est plus qu’un slogan, c’est aussi un marché économique non négligeable pour beaucoup. Ces mêmes enjeux se jouent actuellement dans les formations STAPS. En effet, la diversification des mentions et les choix politiques autour du sport/santé, amènent progressivement la mention « Education et Motricité » (EPS) à s’affaiblir et à se fragiliser. Force est de constater que l’EPS est absente des grandes politiques publiques de santé, c’est une question qu’il conviendra d’élucider alors que les enseignants d’EPS s’adressent à toute la jeunesse française.
Il y a donc fort à parier que de nouveaux acteurs du sport vont s’empresser de répondre aux appels du pied de notre Ministre et de certains cadres de l’Education Nationale. Si l’EPS n’est pas que le sport santé, elle est d’abord une discipline d’enseignement au service d’une éducation émancipatrice pour nos élèves d’un point de vue culturel et moteur.
De par leurs formations et leurs polyvalences, les enseignants d’EPS permettent la diffusion d’une culture sportive éclectique à des publics qui n’y aurait jamais eu accès (escalade, natation, arts du cirque, etc.) et de répondre ainsi à l’objectif d’ « égalité » républicaine. Ils donnent accès à ces activités sportives à des publics à besoins éducatifs particuliers (élèves en surpoids, en situation de handicap, etc.). Ils contribuent de manière reconnue, de par leurs formations, dans toutes les écoles, notamment dans les quartiers difficiles, à construire sociabilité et civisme, indispensable à la pacification et à la concorde civile. Enfin, ils inscrivent les pratiques sportives dans une logique d’accomplissement personnel et de progrès physique comme l’atteste la vitalité des fédérations scolaires du primaire et du secondaire (USEP et UNSS).
Aussi, cette réforme annoncée, dans un contexte sanitaire exceptionnel, apparaît alors comme une régression scolaire tant culturelle que sociale qui aura un impact délétère sur les établissements scolaires et sur les élèves eux-mêmes. Les « enfants de la République » méritent un enseignement physique délivré par des personnels formés et polyvalents dans un souci d’éducation, de culture et de justice sociale. Nous y veillerons et espérons la mobilisation de tous !
Si vous souhaitez apporter votre soutien à ce texte, nous vous invitons à signer la pétition « Contre un affaiblissement de l’EPS à l’Ecole »
Guillaume DIETSCH, Agrégé d’EPS, STAPS Paris Est Créteil
Serge DURALI, Agrégé d’EPS, STAPS Sorbonne Paris Nord
Loïc LE MEUR, Agrégé d’EPS, Responsable MEEF 1 et 2, INSPE Bonneuil (UPEC)
Hugues ROLAN, Directeur du Dpt STAPS, Sorbonne Paris Nord
Thierry CHOFFIN, Agrégé d’EPS, Responsable MEEF 1 et 2, INSPE Bonneuil (UPEC)
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