A Nice, depuis l’attaque du 29 octobre, le maire et plusieurs édiles stigmatisent les musulmans à qui mieux mieux. Une escalade édifiante dans cette ville, vitrine de l’ultrasécuritaire, où les politiques depuis trente ans – accueil de membres du GIA, relégation des quartiers… – ont constitué un terreau favorable à l’implantation de l’islamisme radical.
Pour les Niçois, toutes confessions confondues et même pour ceux qui ne croient en aucun dieu, cette basilique Notre-Dame de l’Assomption reste et restera à jamais l’église Notre-Dame. Comme on le dirait d’une vieille dame, justement. Avec de la tendresse et de l’amour. Un lieu de culte, certes, mais qui fait partie du paysage. Qui est là comme une source qui ne se tarit jamais. Elle a résisté à tout, solide. L’école qui se trouvait juste derrière a été détruite, remplacée par un hideux parking, laissant des générations d’écoliers devenus adultes – et plus que ça – orphelins d’une mémoire joyeuse et généreuse. C’est un quartier vivant, encore populaire, où se côtoient des familles d’origines diverses, comme en témoignent les commerces – boucheries, fruits et légumes – et les restaurants. L’église, elle, n’a pas bougé sur cette large avenue venue du nord de la ville et qui descend en ligne droite jusqu’à la place Massena, porte d’un Vieux-Nice caressé par la Méditerranée.
Philippe Vardon, ancien du bloc identitaire aujourd’hui conseiller municipal et régional du RN, établit, à l’instar des ses amis lepénistes, un trait d’égalité entre terrorisme et immigration.
L’église Notre-Dame, donc, coulait des jours paisibles, fraîche de ses murs nettoyés – trop, disent certains –, effaçant sans grâce la patine du temps. Un bâtiment de style néogothique, fort de deux tours carrées surmontant de part et d’autre une grande rosace représentant des scènes du mystère de l’Assomption. Mais, surtout, construite entre 1864 et 1868, dans une volonté de franciser la ville après l’annexion, en 1860, du comté de Nice à la France.
« On est chez nous », « Islam hors d’Europe » !
Ce jeudi-là, c’était le 29 octobre, Vincent, le sacristain, a ouvert les portes de l’église comme à son habitude. Dans le doux silence de ce matin d’automne, quelques fidèles montent les vétustes marches et s’engouffrent dans une semi-pénombre au milieu des travées pour se recueillir. Vincent et deux femmes, Simone et Nadine, périssent, décapités, sous la lame de Brahim Issaoui, arrivé clandestinement trois jours auparavant de Tunisie via l’Italie, guidé par une idéologie meurtrière, celle de al-Qaida et de l’organisation dite de l’« État islamique », Daech. Un geste sanguinaire qui glace d’horreur les habitants de ce quartier où vivent de très nombreux musulmans. Au-delà, la ville de Nice tout entière – déjà marquée par l’attentat du 14 juillet 2016 qui avait fait 86 morts sur la promenade des Anglais – se retrouve prostrée. La France est sous le choc.
Entre Ciotti et Marine Le Pen, s’agissant du thème sécuritaire, la différence est mince comme une feuille de papier à cigarette. Ils ont en commun de définir l’insécurité comme totalement liée aux musulmans, faisant de la religion le marqueur de l’identité.
Très vite, la droite et l’extrême droite locales se déchaînent. Le soir même de la tuerie, une centaine de personnes, rameutées via les réseaux sociaux et s’abritant derrière une appartenance à un club de supporters de l’OGC Nice, la Brigade Sud, pourtant dissoute, organisent une manifestation. « On est chez nous », « Islam hors d’Europe » ! lancent les participants, main levée. Une attitude dénoncée par les réels supporters de la Populaire Sud, qui ne veulent pas être confondus avec les identitaires niçois. « Nous condamnons les chants islamophobes », a tenu à préciser leur porte-parole, Greg Massabo. Des identitaires reconnus par la police et dont les accointances avec le Front national sont de notoriété publique.
Un « Guantanamo à la française » !
Philippe Vardon, ancien responsable du bloc identitaire, aujourd’hui conseiller municipal et régional du Rassemblement national, déverse régulièrement sa haine contre les musulmans, établissant, à l’instar de ses amis lepénistes, un trait d’égalité entre terrorisme et immigration. Faisant feu de tout bois, il a même demandé aux dirigeants de l’OGC Nice de « rompre le contrat » du joueur Youcef Atal, coupable d’avoir « liké » un post douteux, ce dont il s’est excusé par la suite. « Il ne peut plus porter les couleurs de l’OGC », a renchéri Vardon.
Un terrain sur lequel se démène activement Éric Ciotti, député LR de Nice, jamais en manque de déclarations fracassantes. Au lendemain de l’attentat, il a ainsi réclamé la création d’un « Guantanamo à la française » et suggéré la pratique de tests osseux sur les migrants ! « J’ai demandé au président de la République d’arrêter toute forme d’immigration », a-t-il même confié à RTL. Entre Ciotti et Marine Le Pen, s’agissant du thème sécuritaire, la différence est mince comme une feuille de papier à cigarette. Ils ont en commun de définir l’insécurité comme totalement liée aux musulmans, faisant de la religion le marqueur de l’identité. C’est ce qu’on appelle l’islamophobie. Dans les Alpes-Maritimes, dont l’histoire est si marquée par les flux migratoires, notamment italiens, les remarques de ce parlementaire pourraient prêter à sourire, n’était la gravité des choses.
Un vivier de nostalgiques de l’oas
Le maire de Nice, Christian Estrosi, LR lui aussi mais tendance Macron, un peu plus fin et nuancé, n’est pas en reste. Dans les colonnes du Monde, il a soutenu : « Aucun droit pour les ennemis du droit. » Et il dénonce la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui l’empêcherait de mettre en place un système élargi de reconnaissance faciale. Comme Meyer Habib, le député UDI et ami de Benyamin Netanyahou, Estrosi demande que la France s’inspire des méthodes d’Israël contre le terrorisme… Pourtant, lorsque son mentor, l’ancien premier magistrat Jacques Médecin, accueillait en avril 1990 le congrès du FN et son invité d’honneur, l’ancien Waffen SS, Franz Schönhuber, il ne trouvait rien à redire. Dans cette bonne ville de Nice, si le Parti communiste a été créé avec l’aide des antifascistes italiens, venus se réfugier à quelques encablures de la frontière, les adeptes du Duce étaient également largement présents.
Le tout sécuritaire tenant lieu de politique et d’argument électoral, inutile et impossible pour Christian Estrosi d’envisager d’autres orientations, notamment dans les écoles élémentaires dont il a la charge, en particulier dans les quartiers populaires qu’il stigmatise régulièrement.
À Nice, voire dans les Alpes-Maritimes, droite, droite extrême et extrême droite tiennent le haut du pavé. Avec, à des degrés divers, une même propagande contre les migrants, qui seraient coupables de tous les maux, étant bien entendu que, dans leur langage, un migrant est d’abord et avant tout musulman. Les mêmes font mine de s’inquiéter de savoir le département deuxième de France en nombre de jeunes partis faire le djihad en Syrie ou en Irak. Ils veulent ignorer qu’à la fin des années 1990, nombre de membres du Front islamique du salut (FIS) et du Groupement islamique armé (GIA) avaient obtenu des statuts de réfugiés politiques au prétexte qu’ils auraient été menacés par un État algérien honni des nostalgiques de l’OAS très présents à Nice. Dans ce même pays, l’Algérie, les démocrates étaient assassinés par ces islamistes sans recevoir, eux, de visas, alors qu’en France, certains osaient demander : « Qui tue qui ? », exonérant ainsi l’islam politique. Des intégristes qui ont très vite ouvert des salles de prière aux prêches incendiaires et obscurantistes, loin de l’habituelle quiétude des musulmans.
Le tout sécuritaire tenant lieu de politique et d’argument électoral, inutile et impossible pour Christian Estrosi d’envisager d’autres orientations, notamment dans les écoles élémentaires dont il a la charge, en particulier dans les quartiers populaires qu’il stigmatise régulièrement. En mars, au prétexte du Covid, il avait décrété un couvre-feu pour la ville, avancé de deux heures dans ces mêmes quartiers. Anne-Laure, institutrice à Saint-Charles, quartier est de Nice, rappelle la disparition de la vie associative, la découverte de la radicalisation qui s’installe, des gamins « disparus » parce que la famille entière est partie en Syrie. Mais, surtout, elle pointe du doigt les défaillances municipales pour l’encadrement des écoliers. « Il m’a fallu six ans pour obtenir la mise en place de rideaux aux fenêtres pour pouvoir utiliser correctement le vidéoprojecteur. Alors que nous sommes en REP+ (réseau d’éducation prioritaire), les CP ont été dédoublés, mais comme il n’y a pas de construction de salles, il a fallu utiliser celles dédiées à l’informatique et aux arts plastiques », dénonce-t-elle.
Cinq ans pour obtenir une prise électrique dans une classe
Pour Thomas, instituteur lui aussi, dans le quartier Risso, « Estrosi, c’est de l’affichage sécuritaire, mais lorsque des assistantes maternelles, des Asem, sont absentes, elles ne sont pas remplacées. Nous demandons des moyens à la mairie, mais on n’a rien. J’ai mis cinq ans à obtenir le rajout de prises dans une salle. » Lui parle d’« école low cost. Même avec des REP, les moyens ne sont pas là. Donc, on ne peut pas régler les problèmes du ghetto ».
Conseillère pédagogique à Nice jusqu’à la dernière rentrée, Marianne Baby déplore l’attitude de la municipalité. « Après les attentats de 2016, la mairie a rehaussé les grilles des écoles et placé des bornes d’alerte, mais il n’y a eu aucun travail social dans les quartiers avec les associations et en y mettant les moyens. Il n’y a pas eu d’investissement dans ce domaine. » Les conséquences sont dramatiques.
Dans les quartiers nord de Nice, où vivent des populations défavorisées et en grande difficulté, les associations laïques ont disparu, laissant la place à une structure « qui était sous la coupe de religieux. Mais c’était le seul lieu d’accueil pour les gosses après l’école. C’est directement un manque d’investissement de la municipalité. Autant de quartiers où il aurait fallu investir de l’humain », dénonce-t-elle.
Dès le lendemain des assassinats, le collectif des commerçants et habitants d’origine musulmane du quartier Notre-Dame, ainsi qu’ils se définissent, a déposé une gerbe devant l’église pour dénoncer, comme le dit leur porte-parole, Hocine Jamouli, « un attentat ignoble et odieux. Au-delà de nos origines et de nos choix cultuels, nous sommes d’abord des citoyens attachés aux valeurs communes de notre République. Pour nous, il n’y a qu’une communauté, c’est la communauté nationale, et nous sommes fiers d’en faire partie ».
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