Fin du tarif réglementé, ça sent le gaz pour 2,6 millions de foyers
À partir du 1er juillet, au nom de la sacro-sainte concurrence, les Français raccordés au gaz n’auront plus accès aux tarifs réglementés, ni au bouclier tarifaire. En pleine crise de l’énergie, près de 3 millions de ménages sont livrés à la jungle du marché. Ce nouveau désengagement financier de la puissance publique augure, entre autres, des hausses sauvages sur les factures.
Au 1er juillet, comment je fais ? Nombre des 2,6 millions de Français raccordés au gaz doivent se poser la question alors que leur contrat d’approvisionnement au tarif réglementé prend mécaniquement fin. C’est en effet à cette date que ce tarif estampillé d’un logo bleu sur la facture disparaît, et le bouclier tarifaire avec. Faut-il changer de fournisseur dès maintenant, en comparant des offres pléthoriques ? Rester chez Engie, en changeant de contrat ? Ou attendre de voir, en basculant automatiquement sur le tarif « passerelle » mis en place dernièrement sous la houlette du gouvernement et de la Commission de régulation de l’énergie ?
« Repère », ou la belle entourloupe
Difficile en tout cas de s’y retrouver à la lecture des courriers gouvernementaux, de l’opérateur historique, ou devant les démarchages des concurrents d’Engie. Dans cette jungle tarifaire, coexistent une trentaine d’offres de marché sur lesquelles l’État n’intervient pas, où « les prix sont fixés librement par chaque fournisseur », rappelle l’UFC-Que choisir.
L’offre peut être à prix fixe, pour une durée d’un à quatre ans. Indexée aussi : dans ce cas, elle suit l’évolution du tarif réglementé. La période est en tout cas propice « à la recrudescence de démarchage agressif » par des fournisseurs, alerte le Médiateur national de l’énergie, qui préconise de « ne jamais se fier à des propositions commerciales formulées sur un montant de mensualités qui peuvent évoluer ».
La guerre en Ukraine et les tensions d’approvisionnement nées de l’arrêt des livraisons de gaz russe ont fini de mettre fin à la fable de la concurrence libre et non faussée, vendue par Bruxelles et récitée par les gouvernements successifs français. Non, le cycle d’ouverture à la concurrence du secteur n’a pas permis de diminuer la facture des particuliers. Encore moins d’améliorer l’offre et les services.
« Tous les jours, notre association reçoit les témoignages de personnes dont l’offre de marché, qui ne s’inscrit pas toujours dans le bouclier tarifaire, induit des hausses sauvages de tarifs et des modifications brutales de clauses », relate l’association Consommation Logement Cadre de vie (CLCV). La fin des tarifs réglementés devrait accentuer ces difficultés.
Depuis quelques semaines, la CLCV, fortement sollicité par les angoissés du gaz, recommande « de ne pas tenir compte de ces courriers et de rester au tarif réglementé du gaz ». Même son de cloche à l’UFC-Que choisir : « Si vous êtes au tarif réglementé du gaz, restez-y. »
Dans ce cas, l’usager ne prendra effectivement aucun risque puisqu’il basculera automatiquement vers l’offre « Passerelle » d’Engie. Un contrat exclusivement conçu pour les bénéficiaires du tarif réglementé, qui ne sera « pas commercialisé » et restera « encadré par l’État, du moins pour les six premiers mois », explique Lucie Buisson, chargée de mission énergie à l’UFC-Que choisir. Cette offre, dont l’abonnement annuel se montera à 102,09 euros, sera indexée sur l’indicateur mensuel de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Appelé « Repère », son montant a été dévoilé le 23 mai par la CRE. À l’image du TRVg (tarif réglementé de vente de gaz), cet indicateur tient compte de « l’ensemble des composantes de coût de fourniture du gaz, coûts d’approvisionnement en gaz et coûts hors approvisionnement : coûts d’acheminement, coûts de stockage, coûts commerciaux, marge, etc. », détaille l’institution. Il se veut donc proche de la formule du tarif réglementé.
Le prix du kWh est même « nettement inférieur “en fourchette basse” dans certaines des six zones du tarif réglementé d’Engie », relève UFC-Que choisir. Il est de 0,1043 euro au TRVg, contre 0,09446 euro avec « Repère » si le foyer se chauffe au gaz et de 0,1284 euro, contre 0,11620 euros pour une utilisation eau et cuisine. L’abonnement annuel chez Engie fluctue entre 102,12 euros et 249,84 euros. La CRE suggère un tarif compris entre 100,58 et 249,48 euros.
Mais tout cela n’est que théorique. « Vérification faite, aucun fournisseur de gaz ne s’est aligné sur la fourchette basse du prix « Repère » à ce jour », alerte l’association. De toute façon, « aucun fournisseur n’est obligé de proposer une offre à ce prix, contrairement au TRV du gaz », souligne Lucile Buisson. Les intentions restent floues. Tous attendent, le 1er juillet.
Agité par le gouvernement comme l’instrument miracle pour ôter les doutes aux consommateurs de gaz déboussolés, le recours aux comparateurs disponibles sur Internet est lui aussi peu fiable. Leurs calculs excluent toute possibilité de comparaison avec les contrats souscrits avec un prix fixe. Exit donc la moitié des contrats de marchés (52 %). Le « Repère » étant un indicateur mensuel, il ne peut pas être utile sur une étude d’offres courant sur plusieurs années. Car, autre entourloupe gouvernementale, ce référent n’a pas vocation à durer. « Il est prévu pour une année seulement », prévient Lucile Buisson.
La règle de l’empilement des coûts
Si le cours du mégawatt oscille aux alentours des 30 euros, le pic des 200 euros enregistré en 2022 reste dans toutes les têtes, avec ses arrêts de production dans certaines usines, la fermeture des piscines municipales, la colère de boulangers aux abois, les larmes des particuliers devant une facture impossible à payer… Si l’épisode semble derrière nous, les connaisseurs des marchés du gaz estiment que ces bas prix actuels ne vont pas s’inscrire sur le long terme. Selon les prévisionnistes, le prix du gaz est attendu à 52,43 euros/MWh pour 2024, puis 45,595 euros/MWh pour 2025. Soit un niveau historiquement élevé, puisqu’il n’avait que très rarement dépassé les 35 euros avant l’invasion russe de l’Ukraine.
Et rien n’indique que le marché, dépendant des températures hivernales comme de la géopolitique, soit durablement stabilisé. De ce point de vue, « les prévisions ne sont pas optimistes », alerte le sénateur communiste et directeur de « l’Humanité », Fabien Gay. Même si l’Union européenne a diversifié son approvisionnement, « l’industrie chinoise est en train de repartir, explique le parlementaire. Ce qui veut dire une concurrence accrue entre ces deux grandes zones du monde pour leur approvisionnement, entre le gaz qatari et le gaz naturel liquéfié (GNL) américain ». Les tensions pourraient donc rapidement revenir.
« La vérité, c’est que les TRV du gaz sont actuellement la meilleure protection que nous ayons dans ce monde incertain, que ce soit en termes de prix et même d’approvisionnement », souligne de son côté Julien Lambert, de la fédération mines et énergies de la CGT. Beaucoup moins fluctuants, proches des coûts de production, avec peu de marges et surtout transparents, les TRVg disposent de nombreuses vertus, contrairement au prix du marché. Tout cela grâce à la règle de l’empilement des coûts.
Une de ces composantes est celle de l’« approvisionnement ». Ses variations, explique Julien Lambert, liées à la volatilité des prix du gaz sur les marchés européen et mondiaux, sont lissées via « une formule comportant 83 % de produits mensuels, 10 % de produits trimestriels et 7 % de produits annuels ». Une règle que l’État peut modifier en fonction de la volatilité du marché via un arrêté ministériel en suivant ou non les recommandations de la CRE. Il en va de même pour le gel tarifaire en cas de surchauffe sur les marchés.
Bataille législative et citoyenne
Sans eux, « le jour où les prix montent, vous n’avez plus de garantie », alerte François Carlier, délégué général de la CLCV. D’autant que le bouclier tarifaire sur le gaz qui consiste à ne pas augmenter les prix de plus de 15 % « va s’arrêter », a prévenu le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sans doute dès le 1er juillet.
D’ailleurs, rappelle la CLCV, « c’est grâce à l’existence de l’outil TRV gaz que le gouvernement a pu très vite installer en pratique un bouclier tarifaire. Comparativement, les consommateurs de fioul domestique, où il n’existe pas de TRV, n’ont pas bénéficié de cette protection et ont été exposés aux grands vents du marché ».
Voilà pourquoi la CLCV, aux côtés de neuf autres organisations de consommateurs, plaide pour un report de l’extinction des TRVg d’au moins deux ans, le temps de voir venir. La bataille pour sa défense ne fait que commencer. Une pétition a également été lancée par l’intersyndicale GRDF pour exiger son maintien, mais aussi son élargissement.
Une proposition de loi a été déposée en ce sens au mois de février par le sénateur communiste Fabien Gay. Sans retour en arrière, une « bombe sociale », dixit le parlementaire, est en préparation. Car, le nombre d’interventions pour impayés (suspensions de fourniture d’électricité et de gaz naturel et limitations de puissance en électricité), réalisées au cours de l’année 2022, a augmenté de 10 % en un an, avec 863 000 interventions mises en œuvre, selon le Médiateur national de l’énergie. Tout porte à croire que cette courbe continuera de grimper.
Fin des chaudières à gaz, encore une mesure qui va faire pschitt
Le remplacement de sa vieille chaudière à gaz bientôt interdit ? C’est ce qu’a annoncé la première ministre Élisabeth Borne. Et cela concerne plus de 11 millions de foyers. Si l’année 2026 a été évoquée comme une « échéance possible et potentiellement souhaitable » pour permettre une réduction de 8 millions de tonnes de CO2, rien n’est encore acté.
Déjà, depuis 2022, l’installation de chaudière à gaz est interdite dans les maisons individuelles nouvellement construites. Il en sera de même à partir de 2025 pour les logements collectifs neufs. Une annonce jugée peu réaliste par les professionnels, qui arguent du coût qu’entraînerait la mesure, notamment pour les ménages les plus modestes. « La pompe à chaleur coûte environ 10 000 euros de plus qu’une chaudière à gaz performante, avec une durée de vie moindre et des coûts de maintenance supérieurs », affirme l’association professionnelle Coénove dans un communiqué de presse. « Les ménages aux revenus modestes, qui sont souvent ceux occupant les logements les moins bien isolés, seraient donc dans l’incapacité d’installer des pompes à chaleur adaptées à leurs besoins et pourraient être incités à prolonger au maximum la durée de vie de leur chaudière. »
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