50 ans après la mort de John Ronald Reuel Tolkien, retour sur ses terres… In Huma Dimanche
Il a popularisé la fantasy au niveau mondial. Il a passé sa vie à écrire les contes et légendes de la Terre du Milieu, transmettant cet héritage à sa famille, qui, bien après sa mort, a continué de le publier. John Ronald Reuel Tolkien nous a quittés il y a cinquante ans, mais son œuvre demeure vivace et continue de distiller tolérance et respect. Si l’œuvre de J. R. R. Tolkien puise allègrement dans les récits nordiques, germaniques et anglo-saxons, ses chapitres les plus sombres sont hantés par ses souvenirs des horreurs de la Grande Guerre. Une éloge du pacifisme et de la tolérance qui trouvera écho jusque dans la contre-culture hippie, chez les Beatles et Led Zeppelin.
« Je voulais écrire “le Seigneur des anneaux”. Le problème était qu’on l’avait déjà écrit. » Lors d’un discours de 2004, le pourtant talentueux Neil Gaiman (« American Gods », « Sandman ») résumait ce que peut ressentir n’importe quel auteur face à un monument de la littérature mondiale. De son vivant, J.R.R. Tolkien en aurait rougi, lui qui ne prisait que peu la notoriété. Il avait pourtant déjà vendu des millions d’exemplaires de ses livres.
Depuis son premier récit, à 7 ans (une histoire de dragon, évidemment), à son décès en septembre 1973, John Ronald Reuel Tolkien n’a jamais cessé d’écrire. On a tendance à circonscrire son œuvre aux légendes de la Terre du Milieu, mais il a laissé un nombre considérable de productions. Un « continent littéraire », comme l’évoque Vincent Ferré, fin connaisseur de l’univers de l’auteur. Ou plutôt, « une forêt, un iceberg dont on n’a connu que deux faces principales du vivant de J.R.R. Tolkien : “le Hobbit” (1937) et “le Seigneur des anneaux” (1954-1955) ». Beaucoup de textes inachevés, de notes ont été triés, retravaillés par son fils Christopher, son exécuteur littéraire, qui a préservé et continué l’œuvre paternelle jusqu’à sa mort en 2020. En 2007, il a même réussi à achever et publier « les Enfants de Húrin », un roman de son père commencé en 1918 ! Suivront « Beren et Lúthien » en 2017 et « la Chute du Gondolin » en 2018. C’est dire si l’œuvre de J.R.R. Tolkien, publiée de son vivant ou à titre posthume, est riche.
Ce sont néanmoins les aventures des Elfes, des Hobbits, des Nains et de leurs compagnons humains face aux Orques de Sauron qui forment le cœur de l’œuvre de Tolkien. Il s’est d’abord attaqué à la naissance de ce monde, rédigeant « le Silmarillion », « premières versions des principaux récits mythologiques souvent crayonnées à la hâte dans des carnets en mauvais état qui datent de 1917 », écrit Christopher dans la préface du livre finalement édité… en 1977. Entre-temps, John Ronald Reuel s’était attaqué à « Bilbo le Hobbit ». Il situe cette aventure dans un univers imaginaire sombre et complexe, écrasant pour son héros, un petit être inoffensif « vivant dans une utopie champêtre, la Comté, qui rappelle une campagne anglaise du XIXe siècle idéalisée », soulignait l’historien William Blanc dans « l’Humanité Dimanche » en novembre 2017. Pour Tolkien, lui-même issu de ce milieu préservé, revenu mal en point de la campagne de la Somme en 1916, décrire cette boucherie a fait office de catharsis.
Amours et amitiés entre les peuples
Car le jeune soldat envoyé au front en juin 1916, qui déplore dans une lettre à sa femme, Edith, que « les gentlemen (soient) rares parmi les officiers, et les êtres humains même », a vu « la jeunesse des élites anglaises, bercée de récits arthuriens et de réécriture d’exploits guerriers des chevaliers de la Table ronde, fauchée sans discrimination par les mitrailleuses allemandes au même titre que les ouvriers et les paysans qu’elle commande », écrit encore William Blanc. Deux de ses proches amis n’en reviendront pas, et lui contractera la « fièvre des tranchées » avant d’être rapatrié en novembre 1916. Il aura tout de même le temps de voir à l’œuvre l’industrialisation de la guerre, avec ses tanks « tout de fer » qui, tels des dragons, « pouvaient couler comme de lentes rivières de métal ou bien s’enrouler autour et par-dessus tout obstacle qui se présentait à eux, emplis dans leurs intérieurs profonds par les plus sinistres des Orques armés de cimeterres et de lances ». Ou les paysages lunaires dessinés par les bombardements d’artillerie, images convoquées plus tard dans « les Deux Tours »…
Comme Bilbo, Tolkien s’est retrouvé entraîné malgré lui dans un conflit qui le dépasse. Dans le roman, il présentera le roi déchu Thorin « Écu-de-chêne », qui enrôle le Hobbit, et les guerriers qui l’accompagnent sous un jour défavorable, en opposition aux personnages prônant la paix tels le sage Gandalf ; l’amour mixte comme Aragorn, amoureux de l’Elfe Arwen, ou l’amitié entre les peuples, entre le Nain Gimli et l’elfe Legolas. D’ailleurs, au contraire de l’adaptation filmée de Peter Jackson, Tolkien résume la « bataille des cinq armées » en un court chapitre. Ce dégoût de la guerre, l’écrivain l’exprimera maintes fois, comme il rejettera – a contrario de ce qu’affirment les relectures tardives et partielles de son œuvre ! – le racisme de son époque.
Certes, il a exprimé son soutien aux nationalistes durant la guerre d’Espagne, trompé par la propagande franquiste d’un massacre systématique de religieux par l’armée soviétique. Plus tard, il traitera Staline de « vieux meurtrier sanguinaire ». Mais lui-même réfutait la lecture anticommuniste (avec Sauron en « petit père des peuples » !) faite parfois du « Seigneur des anneaux » : « Une allégorie de ce genre est totalement étrangère à ma façon de penser. » Ceux qui, comme les néofascistes italiens, Giorgia Meloni en tête, tentent de se l’approprier, sont également hors sujet. Dès 1936, Tolkien dénonçait, dans son roman inachevé « la Route perdue », « les prisons, la torture (…), la propagande sous forme de “révisionnisme historique” » des régimes nazi ou fasciste…
D’origine allemande, Tolkien détestait Hitler et ses idées. En 1939, à une maison d’édition de Berlin qui demandait pour le traduire une preuve de son aryanité, il écrira : « (Si) vous voulez savoir si je suis d’origine juive, je ne peux que répondre que je regrette de ne pouvoir apparemment compter parmi mes ancêtres personne de ce peuple si doué. » Il a de même, bien que né blanc en Afrique du Sud avant que sa mère émigre en Angleterre, dénoncé l’apartheid dans son pays natal lors de son discours d’adieu à Oxford lorsqu’il a pris sa retraite de professeur, en 1959.
Une œuvre religieuse et catholique ?
L’œuvre de J.R.R. Tolkien, influencée par les littératures nordiques, germaniques et anglo-saxonnes, la poésie et la mythologie, est, selon lui-même, « une œuvre fondamentalement religieuse et catholique », bien que débarrassée de ses « références, cultes et coutumes ». Elle a pourtant une résonance universelle, inspirant la génération hippie, les Beatles, les manifestants antiguerre du Vietnam… En 2014, lors d’une émission spéciale de « la Grande Librairie », François Busnel disait du « Seigneur des anneaux » qu’il « échappe à toute forme de réduction. Tolkien est dans l’exploration des failles humaines et de la place de chacun dans la société ». Sans doute est-ce cela qui fait que son œuvre est toujours vivante, cinquante ans après sa disparition.
Les dragons sont-ils de droite ou de gauche ?
Le père du « Seigneur des anneaux » est apprécié des deux côtés du spectre politique, où l’on voit dans son œuvre tantôt un plaidoyer écologique, tantôt une dénonciation de la corruption qu’engendre le pouvoir, tantôt un manifeste chrétien et conservateur. Preuve que la mythologie créée par Tolkien a atteint un sommet : elle inspire tout le monde.
Il n’a pas fallu attendre l’adaptation ou la réinterprétation de l’œuvre de Tolkien sur à peu près tous les supports médiatiques existants pour que celle-ci soit brandie comme un étendard par des groupes aux agendas politiques particulièrement variés. En 1939, des éditeurs nazis enthousiastes exigèrent de l’auteur des preuves de son ascendance aryenne comme condition à la traduction allemande du « Hobbit » (lire p. 16). Dans les années 1970, les adeptes du mouvement hippie, sensibles à ses critiques du pouvoir et du monde industriel, taguèrent des « Frodo lives » et « Gandalf for president » dans la plupart des métros du monde.
Au cours des années 1990, on retrouva son influence sur la scène du metal scandinave, et notamment chez les néopaïens ethnonationalistes. Au début du IIIe millénaire, le nom de Tolkien revenait régulièrement dans les publications écologistes ou altermondialistes, mais aussi chez certains centristes conservateurs, comme les fédéralistes de Third Way. La sortie en 2022 de la série « les Anneaux de pouvoir », qui suscita tant de ouin ouin chez les réactionnaires indignés par la présence à l’écran de Naines racisées, n’est que l’évolution récente d’une très vieille question : à qui appartient Tolkien ?
Récit essentialiste
Pour trancher, commençons par les bases. L’appropriation de la mythologie à des fins politiques est une constante dans l’histoire humaine. De ce point de vue, on peut dire que Tolkien a réussi son pari, qui était justement l’écriture d’un mythe. Ceci étant dit, cette constante tient moins à l’homogénéité largement imaginaire du comportement humain qu’à la structure même du récit mythologique. Le mythe a une fonction sociale précise : il s’agit de fournir à un groupe humain une histoire des origines, une langue et des concepts communs, bref les ingrédients intellectuels nécessaires pour « faire société ». Il va de soi que l’efficacité d’un tel procédé repose sur sa plasticité, sur sa capacité à produire des généralités, à réunir des raccourcis et des principes suffisamment flottants ou universels pour que des individualités puissent s’y agglomérer émotionnellement, et fantasmer leur unicité. C’est le principe des grands livres religieux comme des romans nationaux (coucou les « Français de souche »).
D’un point de vue philosophique, le mythe est un récit irrémédiablement essentialiste. Il fige le monde dans une forme simple et saisissable, où les choses sont ce qu’elles sont parce qu’elles sont ce qu’elles sont, et c’est pas autrement. Ce n’est pas un hasard si les contre-cultures et les courants politiques qui se sont approprié Tolkien avec le plus de ferveur partagent elles aussi un socle philosophique essentialiste. Pour les fascistes, son œuvre met en scène l’éternelle guerre civilisationnelle qu’ils aiment tant rêver, la victoire de l’Occident blanc, le retour à l’ordre et l’effacement de la dégénérescence par l’avènement d’un duce viril mais mélancolique, la camaraderie entre couilles. Les écologistes sans boussole matérialiste y verront plutôt la critique du mal que fait l’homme moderne à Gaïa, l’apologie du cosmopolitisme, de la tolérance et du retour à la terre, la célébration de « l’ordre naturel » incarné par une masculinité pugnace et une féminité nourricière, et aussi un appel à légaliser la weed.
Hitler nein, Franco si
Penser ces deux interprétations comme irréconciliables, c’est passer outre le fond et la forme du mythe, et la nature éthérée de la métaphysique essentialiste sur laquelle il repose. C’est depuis cet endroit que parle Tolkien, et c’est par le biais de ce prisme qu’il devient possible de donner du sens à ses positions. De son vivant, Tolkien était un conservateur croyant, dont les qualités en tant que philologue, auteur et mythologue ne sont plus à démontrer, mais dont la ligne politique – comme celle de la plupart des conservateurs croyants – était au mieux confuse, au pire contradictoire. Tolkien détesta Hitler (un socialiste, d’après lui), mais soutint ouvertement Franco. Tolkien professa son rejet du racisme (autant qu’un bourgeois blanc né sous l’apartheid sud-africain pouvait rejeter le racisme), mais il fit de la race un concept central de sa fiction.
Tolkien méprisa ouvertement les racines du nazisme, mais il est difficile de ne pas voir d’évidents parallèles entre sa description élégiaque de l’Angleterre rurale traditionnelle, une chimère d’où les dynamiques de classe et de genre sont commodément évacuées au bénéfice du fantasme nostalgique des « vraies gens » qui connaissent leur place et s’y réalisent, et certains aspects du mouvement völkisch allemand.
Sous le prisme de la morale
Comprendre à qui appartient Tolkien, et peut-être plus largement ce qu’est la pensée essentialiste, c’est comprendre d’abord que c’est un discours qui cherche à se situer en amont de l’articulation politique (et qui y échoue, parce que tout est politique, mais ça, c’est autre chose). L’unique constante que l’on peut tirer de la lecture de l’abondante correspondance de Tolkien est une critique acerbe de ce qu’il appelle, dans une lettre datant de 1945, « la mécanique », soit les réorganisations sociales qui eurent lieu à la suite de la révolution industrielle, mais aussi, et peut-être surtout, leurs ramifications philosophiques : l’émergence du matérialisme comme système de pensée et le dépassement du divin.
Les tendances qui consistent à faire de lui un visionnaire de l’écologie radicale, de l’antiautoritarisme ou du choc des civilisations se trompent de niveau de lecture. Tolkien était un traditionaliste catholique aisé, qui ne pensait pas le monde par le biais du fait politique, mais par le biais, parfois très myope, de la morale.
Rappelons que ce qui sauve le monde dans « le Seigneur des Anneaux », c’est très littéralement la louable dévotion d’un jardinier pour le bourgeois dont il tond le jardin.
Heureux comme un Hobbit dans la Comté
Comment un épicurien, rigolard, humble et casanier, va se retrouver à sauver le monde. En choisissant pour héros un type qui traîne des pieds quand l’aventure l’appelle, Tolkien réhabilite le gars du commun et plaide pour une vie simple et pacifique, loin de la soif de pouvoir et des ambitions destructrices.
« Stupide Hobbit joufflu ! » lance Gollum à Sam, dans l’adaptation cinématographique du « Seigneur des anneaux », signée Peter Jackson en 2002. Mais les Hobbits sont-ils stupides ? Loin de là. Telle n’est pas leur caractéristique principale. Sont-ils joufflus ? Oh, que oui ! Même adultes, ils gardent un visage poupon, rubicond, et « ont une légère tendance à bedonner », signale Tolkien, qui a placé ces « semi-hommes » au cœur de son roman « le Hobbit » (1937) et de la trilogie du « Seigneur des anneaux » (1954-1955). On y croise des dragons colossaux, des Elfes d’une élégance rare, des Mages de grande sagesse, des Hommes portant des épées millénaires, des Nains à la barbe fleurie…
Voir aussi :Édition. Tolkien, un écrivain intime
Mais tout commence avec les Hobbits. Courts sur pattes, ils mesurent entre 60 et 130 centimètres. « Imberbes, ajoute Tolkien, les Hobbits ne portent pas de souliers, leurs pieds ayant la plante faite d’un cuir naturel et étant couverts du même poil brun, épais et chaud que celui qui garnit leur tête et qui est frisé. » Ils n’aiment rien tant que profiter de leur verdoyante Comté, faire la fête, fumer la pipe, boire des bières, rire et s’empiffrer lors des six repas de leur journée grâce à leur gargantuesque garde-manger. Les Hobbits sont de plus assez casaniers, pacifiques, se tenant hors des enjeux du monde. Ce sont pourtant eux qui vont le sauver.
Résister à la pernicieuse corruption
C’est à Frodon, Sam, Merry et Pippin que Gandalf et le conseil de Fondcombe s’en remettent pour porter l’anneau de Sauron et le détruire en plein Mordor. Eux qui résistent le mieux à la phénoménale attraction que l’objet doré exerce sur tous, eux qui s’intéressent le moins à sa promesse de pouvoir suprême et à la pernicieuse corruption qu’il instille dans les cœurs. « Dans un trou vivait un Hobbit. Ce n’était pas un trou déplaisant, sale et humide, rempli de bouts de vers et d’une atmosphère suintante, non plus qu’un trou sec, nu, sablonneux, sans rien pour s’asseoir ni sur quoi manger : c’était un trou de Hobbit, ce qui implique le confort », écrit Tolkien dès les premières phrases du roman « le Hobbit ». Oui, mais voilà, le neveu du Hobbit va devoir sortir du trou et se mettre à ramper dans la boue. Comme les conscrits de 14-18. Comme Tolkien lui-même. « Mon Sam est un décalque du soldat anglais, les secondes classes et les ordonnances que j’ai connues pendant la guerre de 1914 et que je trouvais de loin supérieures à moi-même », précisera d’ailleurs l’auteur.
Des Hobbits aux allures d’enfants
Et voilà les Hobbits, en apparence si naïfs, si joyeux, si campagnards et si ronchons quand le thé n’est pas assez chaud, qui se retrouvent arrachés à leurs doux foyers, comme les poilus. Voilà les petites mains en première ligne. Et tous les glorieux et prestigieux personnages qui habitent la Terre du Milieu, quels que soient leurs innombrables exploits, qui se retrouvent dépendants de la réussite de créatures peu impressionnantes de premier abord. Les Hobbits, évidemment, ont des allures d’enfants. Tolkien avait d’ailleurs d’abord écrit « Bilbo le Hobbit » pour ses propres marmots, cherchant un personnage capable de les intéresser, de susciter chez eux une forme d’identification. Et puis le Hobbit est, tout épicurien, tout optimiste qu’il soit, un enfant qui devient peu à peu adulte. « Nous sommes des gens simples et tranquilles et les aventures ne nous intéressent pas. Quel tracas, quel inconfort, quelle horreur ! De quoi vous mettre en retard pour le dîner », s’exclame Bilbo aux débuts de ses péripéties, avant de se révéler dans l’épreuve. Par sa ruse, par son courage, par son sens de la camaraderie, il s’extirpe des griffes du dragon Smaug après lui avoir dérobé l’Arkenstone.
La mission confiée à son neveu, Frodon, est encore plus périlleuse : porter et détruire l’anneau unique ou voir les forces du mal triompher. Malgré toutes ses qualités, le jeune Hobbit finit brisé par l’anneau. Il ne doit son secours qu’à Sam, son jardinier devenu son alter ego dans l’effort, qui lui permet d’atteindre la dernière montagne après moult aventures. Et c’est là que Frodon refuse de jeter l’anneau dans la lave pour le détruire. L’irruption de Gollum, lui-même Hobbit pluricentenaire, maintenu en vie et transformé en bête visqueuse et schizophrène par le pouvoir de l’anneau, vient changer la donne. Deux aliénés, Frodon et Gollum, se battent pour posséder l’anneau, le « précieux », jusqu’à ce que le second tombe avec dans les flammes. La fascination pour le pouvoir a fini par détruire le pouvoir. Reste que les Hobbits, un temps eux aussi vaincus par l’anneau, en triomphent in fine grâce à l’expression de leur bonté. Car si Gollum surgit en deus ex machina malgré lui, c’est bien parce que Frodon l’a par deux fois épargné plus tôt dans le récit. Et c’est par ce geste charitable que le monde, in fine, échappe à Sauron.
De retour chez eux, les Hobbit parviendront à sauver la Comté de la destruction, assurant la permanence de leur mode de vie et de leurs paysages verdoyants. Un éden perdu selon Tolkien. La Comté, disait-il, c’est le Yorkshire d’avant la révolution industrielle. Et plus précisément « un village du Warwickshire de la période du jubilé de diamant », ce qui renvoie à l’année 1897. Tolkien ajoutait, au sujet des Hobbits : « Si un plus grand nombre d’entre nous préférait la nourriture, la gaieté et les chansons aux entassements d’or, le monde serait plus rempli de joie. » Et enfin que « les Hobbits étaient ce que j’aurais aimé être mais n’ai jamais été – un peuple tout sauf militariste ». Traumatisé par la Première Guerre mondiale et la perte d’amis chers, c’est dans un livre qu’il s’est offert la survivance de la facétie, de la saveur de la vie et du merveilleux par-delà le goût d’acier de la réalité.
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