Marché de l'électricité. Le coup de la panne ?

Dessin sur photo / Mauriaucourt-Hollevout

Dessin sur photo / Mauriaucourt-Hollevout

Va-t-on vers une grande panne, cet hiver ? Le sujet a agité les médias, ces dernières semaines. La consommation d’électricité est en baisse et devrait encore reculer de 0,7 % en 2017 ; pourtant, le risque d’une interruption augmente.

La capacité de production a reculé en raison de l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires. Et, surtout, la libéralisation du marché fait chuter les prix, ce qui a amené les producteurs d’électricité à fermer des centrales thermiques, pourtant indispensables pour faire face aux pics de production. Si un black-out semble improbable, des coupures temporaires ne sont pas à écarter.
Équilibrer production et consommation : un impératif de tout instant
L’électricité se stockant très mal, le fonctionnement du système électrique impose qu’à chaque instant la production soit alignée sur la consommation. Maintenir cet équilibre est indispensable, car si la quantité d’électricité produite est supérieure ou inférieure à celle consommée, c’est la panne. Cela arrive parfois dans un appartement ou une maison, quand la mise en service en même temps de plusieurs équipements (chauffage, four, machine à laver, télé…) provoque une coupure d’électricité. Il faut alors débrancher tous les appareils avant d’en rebrancher une partie seulement afin d’éviter que cela ne disjoncte à nouveau. Ce qui n’est qu’un désagrément à l’échelle d’une habitation peut avoir des conséquences graves à l’échelle d’un pays ou même d’une ville si la coupure frappe par exemple des hôpitaux ou paralyse les transports.
Aussi assurer l’équilibre production-consommation en toutes circonstances est un impératif. Dans un pays comme la France, c’est une tâche très complexe. Le réseau qui permet d’acheminer l’électricité des centrales de production (nucléaires, thermiques, hydrauliques, éoliennes et solaires) jusqu’aux 35 millions de consommateurs d’électricité, est immense. 105 000 kilomètres de lignes à très haute tension alimentent ainsi un second réseau de distribution aux consommateurs finaux long de 1 300 000 km.
Une consommation qui varie sans cesse
Si la consommation totale d’électricité fluctue à chaque instant en fonction de celle de chacun des consommateurs, on distingue des périodes dans l’année et des moments dans la journée où, en raison de l’activité économique et des conditions météorologiques, elle est plus importante. Chauffage électrique oblige, l’hiver est la saison où la consommation est la plus forte, tandis que, dans la journée, il s’agit des tranches 8 heu res13 heures et 18 heures22 heu res avec un pic, « une pointe » dans le jargon de l’électricité, entre 19 et 20 heures. Autrement dit, les records de consommation ont généralement lieu en soirée lors des mois les plus froids, c’est-à-dire en janvier ou en février.
La dernière pointe historique de consommation a eu lieu le 8 février 2012 et a atteint 102,1 gigawatts (le watt est l’unité de puissance. 1 gigawatt est égal à 1 milliard de watts), rappelle RTE (Réseau de transport d’électricité), la filiale d’EDF en charge de veiller à la sécurité d’approvisionnement en électricité. Pour assurer l’équilibre production consommation, RTE s’appuie sur différents moyens de production. Ceux dit de « base » ou de « semi base ». Il s’agit du nucléaire, de l’éolien, du solaire et de l’hydroélectrique. Ces centrales fournissent la part de l’électricité consommée toute l’année en permanence et de manière régulière ou prévisible.
Les moyens dits « de pointe » sont utilisés, en raison de leur disponibilité immédiate et de leur fiabilité, pour répondre aux sauts brusques ou aux pics de consommation. Il s’agit de centrales thermiques à flamme (charbon, au fioul, gaz) et des barrages hydroélectriques.
« Un hiver sous le signe d’une forte vigilance »
RTE a placé l’hiver 20162017 « sous le signe d’une forte vigilance ». Si le gestionnaire du réseau d’électricité estime que l’alimentation sera assurée en cas « d’hiver normal », il s’inquiète d’une situation « fragile » en cas de vague de froid qui engendrera une hausse de la consommation. On estime à 2,4 gigawatts, la demande supplémentaire d’électricité à chaque fois que la température baisse d’un degré.
Un recul des capacités de production
Une disponibilité moindre de l’offre de production par rapport à l’an dernier est la cause principale de cette situation tendue. En décembre 2016, celle-ci est inférieure de 11 300 mégawatts (1 mégawatt est égal à 1 million de watts) par rapport à décembre 2015. Ce recul est essentiellement dû à une baisse de la capacité de production nucléaire (¬ 10 000 mégawatts) à la suite des arrêts de réacteurs demandés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour des contrôles après la découverte d’anomalies. Au total, l’ASN a demandé l’arrêt de 18 réacteurs. Six ont déjà redémarré. Sept autres viennent de recevoir le feu vert et devraient être remis en service à la fin du mois et cinq seront prochainement stoppés.
Cette indisponibilité du parc nucléaire est pénalisante, car elle se conjugue avec une baisse de 1 200 mégawatts de la capacité de production du thermique à flamme. L’ouverture à la concurrence du marché en 2007 a déstabilisé les prix qui ont chuté, poussant les producteurs à fermer leurs centrales peu rentables. « La chute des prix a été provoquée par l’arrivée sur le marché de grosses quantités d’électricité renouvelable (éolien et solaire), qui plus est subventionnée », explique Jacques Percebois, professeur d’économie à l’université de Montpellier. En janvier dernier, le prix du mégawatt est ainsi descendu sur le marché de gros à 28 euros alors que le seuil de rentabilité est aux environs de 42 euros. Conséquence : des producteurs, comme E.ON à Hornaing (Nord) et Saint-Avold (Moselle), ont fermé des centrales à charbon et d’autres, comme Engie, ont mis sous cocon des centrales à gaz, comme à Fos-sur-Mer en 2013, en attendant une remontée des prix.
« Preuve que le marché ne fonctionne pas. Le gouvernement vient de mettre en place un marché de capacités pour garantir la sécurité d’approvisionnement », poursuit le spécialiste de l’énergie. Autrement dit, les fournisseurs d’électricité doivent garantir que la consommation de leurs clients sera assurée en achetant des capacités auprès des producteurs d’électricité. Reste à savoir si elles seront vraiment disponibles le jour où on en aura besoin car ces capacités ne sont pas allouées à des centrales de production spécifiques.
L’éolien et le solaire inadaptés aux pics de consommation
La déstabilisation des prix n’est pas la seule conséquence du développement des énergies renouvelables, dont l’Union européenne s’est fixé pour objectif de porter la part à 20 % de la consommation finale à l’horizon 2020. L’éolien et le solaire complexifient techniquement la réalisation de l’équilibre production-consommation en raison de leur intermittence. Le rendement d’une éolienne peut varier de façon aussi imprévisible qu’instantanée, entraînant des fluctuations importantes de production à la hausse ou à la baisse. Plus gênant encore, l’éolien et le solaire risquent de n’être d’aucun secours pour affronter le pic de consommation, puisque celui-ci a lieu après 20 heures à la nuit tombée et que les records de froid sont généralement atteints en l’absence de vent.
Une capacité d’importation limitée
Pour pallier la faiblesse de l’offre de production en cas de forte consommation, RTE mise essentiellement sur les importations d’électricité. Mais la capacité d’importation est limitée techniquement par le débit des 48 interconnexions qui relient le réseau français à ses voisins. Celles-ci ont un débit maximal d’environ 12,2 gigawatts. Mais ce niveau risque de ne pouvoir jamais être atteint. En effet, il est fort probable qu’en cas de vague de froid, celle-ci n’épargne pas nos voisins belges et allemands et limite ainsi leur capacité d’exportation. Aussi, RTE estime que « le niveau moyen d’importation » devrait se situer entre 7 et 11 gigawatts.
Les coupures tournantes
Au cas où les importations ne suffiraient pas à équilibrer la production et la consommation, RTE peut agir sur le niveau de la demande. Des industriels et des particuliers ont conclu des contrats d’approvisionnement dit « d’effacement » qui, souvent en échange de prix attractifs, les engagent à diminuer leur consommation temporairement. Le volume d’effacement est d’environ 3 gigawatts mais, là encore, rien n’indique que ce maximum pourrait être atteint. À défaut, pour éviter la coupure, RTE pourrait réduire la tension de 5 %, ce qui ferait baisser la consommation d’environ 4 gigawatts. Autrement dit, RTE pourrait baisser le chauffage électrique chez vous sans vous demander votre avis. Et si cela ne suffisait pas, alors RTE n’aurait pas d’autre choix que de procéder à des coupures tournantes de quelques heures pour éviter le black-out. Les métros ou les tramways pourraient cesser de circuler quelques heures par jour et les salariés être condamnés au chômage technique faute d’électricité pour faire tourner les entreprises.
Un autre mode de production
Même s’il est limité, le risque de panne est réel. Il n’est pas sûr que les moyens de production, d’importation et de restriction de la consommation permettent de faire face à un pic de consommation d’électricité comparable à celui de 2012 s’il devait s’en produire un cet hiver. La libéralisation du marché de l’électricité a considérablement affaibli le système électrique. Assurer la sécurité d’approvisionnement implique de retrouver un outil de production fiable et respectueux de l’environnement. Cela nécessite de mieux maîtriser la demande en électricité en mettant en œuvre un mode de développement économe mais garantissant la satisfaction des besoins de tous.

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