Un détournement retors et un abus de confiance

 

Lorsque Marine Le Pen cite Jean Zay et Simone de Beauvoir par Christian de Montlibert, professeur émérite de l’université de Strasbourg.

Sachant que la « lepénisation des ­esprits » est bien avancée, Marine Le Pen peut s’affranchir du nom de son père, dont les saillies et les rodomontades trop ­provocantes, qui ne sont pas sans évoquer celles de Céline, rappellent les révisionnistes les plus acharnés à nier le génocide juif et les collaborationnistes les plus pétainistes.

Elle a aussi mis à l’écart – provisoirement – les nervis, héritiers de la Milice de Darnand, qui s’entraînaient idéologiquement et physiquement dans les sessions de formation organisées par le Front national à Neuvy-sur-Barangeon. Mieux, le nom même de Front national, trop connoté extrême droite, a disparu, remplacé par le « Rassemblement bleu Marine ». Reste à gagner des voix supplémentaires pour briser ce fameux plafond de verre auquel se heurterait le FN, ce que Marine Le Pen pense faire en citant sans ­vergogne un radical-socialiste assassiné par la Milice – Jean Zay, ministre d’un Front populaire qui s’était constitué contre l’extrême droite –, la philosophe féministe Simone de Beauvoir, engagée dans toutes les luttes des « Temps modernes », et une autre philosophe, Élisabeth ­Badinter. Mais, alors que cette dernière peut protester, ce n’est le cas ni de Simone de Beauvoir ni de Jean Zay. Certes, on ne peut pas faire parler les morts, comme l’a rappelé justement Hélène Mouchard-Zay, une des deux filles de Jean Zay outrées par la citation du nom de leur père dans la proposition 102 du programme du FN. Mais on peut évoquer les luttes de Simone de Beauvoir contre le colonialisme et contre la torture en Algérie, on peut rappeler ses engagements, avec Sartre, contre l’aliénation de la classe ouvrière, comme on peut se référer aux circulaires signées par Jean Zay, pour mesurer l’abus de cette assimilation, totalement incompatible avec les prises de position de l’une et de l’autre. Alors que le « Rassemblement bleu ­Marine » veut faire payer la scolarité des enfants d’immigrés nouvellement arrivés, il faut rappeler que Jean Zay signait une circulaire, en 1939, contre l’avis d’Albert Sarraut, alors ministre de l’Intérieur et partisan des mesures prises contre les étrangers par Daladier. Cette circulaire ouvrait l’école à tous les enfants de républicains espagnols réfugiés en France à la suite de l’avancée des troupes franquistes. Alors que le « Rassemblement bleu ­Marine » s’en prend à l’enseignement des langues des pays d’origine des immigrés, Jean Zay signait un arrêté autorisant l’enseignement de l’arabe dans les lycées, au grand dam des colons algériens. Enfin, alors que le « Rassemblement bleu Marine » veut recentrer l’histoire sur l’identité française, le ministre de l’Éducation inaugurait le musée de l’Homme, dont Paul Rivet, président du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, voulait faire un lieu d’ouverture sur la diversité culturelle, affirmant qu’il n’y avait ni cultures supérieures ni cultures inférieures.

Citer des témoins dont tout montre qu’ils ­développaient des prises de position radicalement hostiles à l’extrême droite est une ­appropriation indue, un détournement particulièrement retors et, pour le moins, un abus de confiance vis-à-vis d’électeurs moins informés des luttes politiques passées.

Christian de Montlibert

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