Vous êtes cosignataire d’un appel à faire converger les candidatures de gauche à l’élection présidentielle. Cela ne risque-t-il pas de brouiller votre appel à voter Jean-Luc Mélenchon, que le PCF soutient pour la présidentielle ?
Marie-Pierre Vieu. Au contraire. Je parle en mon nom, mais je crois que le soutien à Jean-Luc Mélenchon procède à la fois d’une antériorité, d’un ancrage qui est celui du Front de gauche et de la volonté de tracer le sillon d’une majorité anti-austéritaire, mais aussi, dans le contexte actuel, de tirer le bilan du quinquennat pour offrir une autre perspective à notre pays. Inscrire ce soutien dans un rassemblement que je souhaite le plus large possible, cela relève de mon ADN de responsable et d’élue.
Il y a un an, dans la région d’Occitanie, notre liste Nouveau monde en commun comprenait l’ensemble du Front de gauche, EELV, des intellectuels, des syndicalistes, qui rentraient dans cette idée de promouvoir une alternative écologiste, anti-austéritaire et démocratique. La situation est marquée par une crise politique et un besoin de rupture, mais aussi par des dangers multiples : l’extrême droite, une droite extrémisée et un « élection libre » Emmanuel Macron positionné au confluent du social-libéralisme, du libéralisme le plus pur et d’une certaine dose de populisme…
Cela suppose d’envisager une alliance avec le candidat PS ?
La candidature Hamon n’est pas la candidature du PS : c’est celle des gens qui ont manifesté contre l’état d’urgence, contre la loi Travail et qui ont voulu, lors des primaires, se débarrasser de Manuel Valls et de la politique Macron. Je regrette que l’on donne un spectacle de division à ces gens-là, qui ne veulent pas attendre après-demain pour reconstruire une alternative. Cela n’aboutirait peut-être pas, mais ne pas mener le débat jusqu’au bout, c’est ne pas prendre la mesure de la situation. Le choix de Mélenchon ne doit pas être fait au détriment des forces disponibles pour un rassemblement majoritaire.
« Deux bonhommes qui défendent la constituante, mais qui règlent l’éventualité de l’unité et du rassemblement populaire à deux dans un troquet, cela donne une image funeste de ce qu’ils vont faire dans le futur. »
Est-ce que les divergences entre Hamon et Mélenchon relèvent seulement d’un problème d’égo, pour reprendre les termes de l’appel ?
Elles ne relèvent pas seulement d’un problème d’ego. Il y a des divergences et la question est de savoir si elles sont indépassables ou pas. Pour le savoir, il faut les instruire. Deux bonhommes qui défendent la constituante, mais qui règlent l’éventualité de l’unité et du rassemblement populaire à deux dans un troquet, cela donne une image funeste de ce qu’ils vont faire dans le futur. Quand on veut aller au bout de l’unité, cela ne peut pas être qu’une posture, pour ensuite reprendre son sac et repartir. Il faut d’abord acter ce qu’il a en commun et essayer d’aller aussi loin que possible. Or, en commun, il y a toute une série de revendications sociales, qui vont du relèvement du smic et des minima sociaux à une relance de l’économie par le pouvoir d’achat et la création d’emplois, en passant par l’écologie, la volonté de refonder la démocratie avec une VIe République, etc. Bien sûr, des questions se posent : jusqu’où veut-on pousser le combat anti-austéritaire et la rupture avec les politiques libérales, comment repense-t-on la négociation sociale, quel rapport au travail souhaite-t-on ? Dans d’autres pays européens, comme le Portugal, la volonté de vraiment répondre aux attentes populaires a conduit des formations politiques à s’unir pour dépasser leurs divergences.
Ce discours du rassemblement n’est-il pas devenu inaudible pour une large part de l’électorat de gauche après ces cinq années de gouvernement socialiste ?
Le meilleur moyen de remettre le Parti socialiste en position de centralité, c’est bien de continuer à mettre un fossé infranchissable entre Hamon et Mélenchon : on va ainsi pousser une partie des électeurs à soutenir Hamon, qui sait probablement mieux incarner le rassemblement et qui, sans rassemblement, sera de fait le candidat de la social-démocratie. Si, au contraire, on joue la convergence et le débat jusqu’au bout, on oblige Hamon à s’appuyer sur les gens qui l’ont élu contre l’appareil du PS et contre l’axe social-libéral. C’est miser sur un rassemblement dont la colonne vertébrale ne sera plus la social-démocratie – ni le PS. J’entends qu’une partie de la population est en rupture avec la politique, à plus forte raison après le dernier quinquennat. Mais avoir la rupture comme seule identité est moins utile à la gauche, malheureusement, qu’au vote en faveur de Marine Le Pen. La gauche doit se reconstituer sur la base d’un ras-le-bol, mais un ras-le-bol avec une perspective. En conformité avec son histoire, elle doit délivrer un message positif, créatif et humain.
« Mon mouvement ne s’inscrit pas dans la social-démocratie, ni dans le creuset du PS. Mais pas non plus dans celui de la France insoumise, pour être tout à fait honnête. »
La question principale n’est donc pas le rapport avec le PS ?
Le problème, ce n’est pas les socialistes – et croyez bien que, des socialistes, j’en bouffe matin, midi et soir (rires) – mais de savoir si l’on veut rester dans une situation d’absence de débat et de division des candidatures qui conduit à une défaite… dont on espérerait qu’elle accélère une recomposition pour les forces de progrès. Je pense que c’est un pari fou, que nous avons toujours perdu historiquement. Il vaut mieux instruire l’immédiat pour ce qu’il est, tout en sachant qu’il faudra aussi instruire le moyen et le long terme, ce qui demande un débat, des refondations et des recompositions. Mon mouvement ne s’inscrit pas dans la social-démocratie, ni dans le creuset du PS. Mais pas non plus dans celui de la France insoumise, pour être tout à fait honnête.
Quelle signification concrète cet appel au rassemblement prend-il par rapport aux législatives à venir ?
Contrairement à beaucoup, je crains qu’elles soient encore plus compliquées que la présidentielle. Les problèmes de celle-ci seront multipliés par autant de circonscriptions qu’il y en a, avec une base guère plus raisonnable que le sommet. Une défaite d’ampleur à la présidentielle nous inscrirait dans une situation d’urgence : faute d’avoir prévenu, il faudra guérir. Une Marine Le Pen à 25 ou 28% compromettra d’autant les possibilités d’obtenir des députés. Nous-mêmes essayons de travailler à la convergence des forces alternatives, mais nous sommes confrontés à une France insoumise qui veut imposer son propre diktat. Pour le moment, la situation est celle d’une concurrence entre France insoumise, le Parti communiste et une partie non négligeable de ce qui reste du Front de gauche, compliquée par des candidatures citoyennes, des bouts de NPA et même des candidats Macron…
« Le PCF veut avoir des députés, mais il ne va pas brader ce qu’il est. Certains disent que nous ne pensons qu’à conclure un accord avec le PS, mais il n’y aura pas d’accord avec le PS ! »
Justement, où en sont les négociations entre le PCF et la France insoumise ?
Pour l’heure, nous sortons douloureusement du débat de posture de la France insoumise sur la signature obligatoire de sa charte et sur sa volonté de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions. Les logiques et les tensions territoriales ne contribuent pas à une dynamique pour la présidentielle…Mais on en vient à parler de la réalité et à se soucier de ne pas être en concurrence, notamment dans les circonscriptions reprenables, afin, plus largement, d’obtenir des députés voire un groupe parlementaire qui puissent être la colonne vertébrale de la reprise du combat antilibéral à l’Assemblée. Il faut beaucoup d’efforts, et j’ai parfois l’impression qu’ils sont à sens unique… Je comprends l’aspiration derrière la construction d’un mouvement libéré des logiques d’appareil, en prise directe avec les citoyens : c’est une volonté à laquelle je souscris, et que les partis eux-mêmes veulent prendre en compte. Mais il faut aussi prendre en compte ce qui est le plus utile pour les populations.
Quelle est l’importance de disposer d’un groupe à l’Assemblée nationale ?
L’enjeu législatif est extrêmement important, le dernier quinquennat nous l’a montré. L’élection présidentielle n’entraîne pas forcément une majorité à l’Assemblée. Avec un horizon aussi sombre que le nôtre aujourd’hui, face à l’extrême droite et au libéralisme exacerbé, une présence significative à l’Assemblée est cruciale pour faire entendre notre voix. Et sans majorité législative, nous serons dans l’incapacité d’imposer un processus constituant. Il s’agit donc bien d’un enjeu politique, et non comptable ou boutiquier, contrairement à ce que j’entends souvent. Le PCF veut avoir des députés, mais il ne va pas brader ce qu’il est pour y parvenir. Certains disent que nous ne pensons qu’à conclure un accord avec le PS, mais il n’y aura pas d’accord avec le PS ! Nous prendrons nos responsabilités dans des situations particulières, par exemple face au FN, mais notre ancrage législatif est un ancrage de rupture avec le quinquennat et au-delà.
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