FhaiNe : d’hier à aujourd’hui, même propagande

Ce qui est intéressant dans ce slogan, c’est d’une part sa genèse, la volonté affirmée au début des années 1990 par son concepteur Samuel Maréchal d’en finir avec le duel droite-gauche classique ; de l’autre ce qu’il est devenu aujourd’hui. Marine Le Pen et le FN se déclarent « et de droite et de gauche ». Photo : AFP

Ce qui est intéressant dans ce slogan, c’est d’une part sa genèse, la volonté affirmée au début des années 1990 par son concepteur Samuel Maréchal d’en finir avec le duel droite-gauche classique ; de l’autre ce qu’il est devenu aujourd’hui. Marine Le Pen et le FN se déclarent « et de droite et de gauche ». Photo : AFP

Entretien avec Valérie Igounet, historienne, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France, à propos de la sortie de son livre Les Français d’abord – slogans et viralité du discours Front national (1972-2017)) suivi du décryptage d’affiches du FN d’hier et d’aujourd’hui.

Pourquoi avoir choisi Les Français d’abord, un vieux slogan du Front national, comme titre ? C’est une provocation ?

Valérie Igounet. On s’est dit avec Inculte (la maison d’édition, ndlr) que c’était un beau titre. On ne voulait pas l’appeler Histoire des slogans. Ce n’est pas de la provoc ‘. C’est un des slogans phare du FN en effet, on le reprend parce qu’il explique beaucoup de choses par rapport au positionnement de ce parti – le nationalisme, la xénophobie, etc. C’est pour montrer cette réalité.

Vous vous intéressez à la viralité des slogans (c’est le sous-titre du livre, « slogans et viralité du discours Front national (1972-2017) ») en mettant en parallèle les mots de « l’ancien FN » et du « nouveau ». D’ordinaire, les historiens se méfient de la mise en parallèle.

Valérie Igounet. Ce qui ne fonctionne pas, c’est de dire : « le FN est un parti nazi ». Ce parallèle est inopérant, et pas juste historiquement. En revanche, étudier cette dizaine de slogans, qui ont pris corps pour la plupart à la naissance du parti, c’est aborder une histoire du FN autrement. Montrer que Marine le Pen prétend conduire un nouveau FN, mais que si cette rhétorique a évolué, elle traite des mêmes fondamentaux. Ici, le parallèle existe : nationalisme, xénophobie, lutte contre l’IVG… Il y a une continuité sur le fond, mais évidemment une évolution contextuelle à retracer.

Le FN montre une certaine défiance envers les observateurs, journalistes ou chercheurs. Comment avez-vous obtenu les documents que vous présentez dans le livre ?

Valérie Igounet. Je travaille sur deux thématiques : le négationnisme et le Front national, depuis vingt ans. C’est assez neutre puisque nous, historiens, nous nous appuyons sur des archives, des sources internes et aussi des entretiens. Quand on est historien, on n’a pas de parti pris, même si chacun sait pourquoi il a choisi tel ou tel sujet de recherche… C’est important de travailler sur ce parti de façon rigoureuse, avec une multitude de documents, notamment internes.

Les documents, j’en ai accumulés en vingt ans. Par certains anciens cadres du parti qui trouvent mon travail rigoureux. Par un travail de terrain, et par le biais d’autres formations politiques. Et puis, il y a les sources orales. Elles sont, selon moi, essentielles. La majorité des entretiens provient d’hommes et de femmes ayant appartenu au FN et de cadres actuels du parti de Marine Le Pen. Bien entendu, les personnes savent à qui elles ont affaire. Mais j’ai toujours la même méthode : j’enregistre l’entretien et je fais valider les propos par leurs auteurs, parce que je considère que la source orale, bien qu’indispensable, est volatile.

Est-ce qu’il est plus facile aujourd’hui avec un parti qui s’est professionnalisé et verrouille un peu plus sa communication ?

Valérie Igounet. Pour mon avant-dernier livre (Le Front national, de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées), je n’ai pas eu de problème d’accès aux personnes, à part Marine Le Pen qui a refusé de me rencontrer. Que ce soient les cadres ou les élus, ou encore Jean-Marie Le Pen, ils m’accordent des entretiens et je retourne les propos sélectionnés avant publication comme je vous l’ai dit précédemment. M’intéressant à la formation politique des élus FN, Louis Aliot m’a laissé assister à des sessions de formation au siège du FN.

Entretien réalisé par Grégory Marin

  • Les Français d’abord : slogans et viralité du discours Front National (1972-2017) de Valérie Igounet. Edition Inculte. 19.90€.

Décryptage d’affiches


Le premier document est une affiche de meeting (qui date de décembre 1989, ndlr), importante parce qu’elle a des signes distinctifs, des codes identifiants l’islamisme (fond vert, minaret et femme voilée), et sans logo. C’est le premier support islamophobe qui n’a pas trop fonctionné par rapport au contexte, la première guerre du Golfe en 1990. [Du fait du positionnement de Jean-Marie Le Pen favorable à une solution « exclusivement arabe » en Irak, par crainte d’une action israélienne dans la région, le FN n’éditera aucune affiche visant à dénoncer l’islam pendant plus de vingt ans, ndlr] C’est au début des années 2000 avec l’arrivée de Marine Le Pen que le FN revient sur l’islamophobie. Et là ça prend. La deuxième affiche (datée de septembre 2015, ndlr) met en scène une religion conquérante, avec un slogan fort. Ce discours a pris encore plus de vigueur après les attentats, et avec ce qu’ils appellent la crise des « migrants » que le FN intrumentalise.  En passant du dessin des années 80 à la photo, qui identifie le danger, il n’y a plus d’ambigüité possible : sur cette question, le FN n’avance pas masqué.

Ce qui est intéressant dans ce slogan, c’est d’une part sa genèse, la volonté affirmée au début des années 1990 par son concepteur Samuel Maréchal (père de Marion Maréchal-Le Pen, ndlr) d’en finir avec le duel droite-gauche classique ; de l’autre ce qu’il est devenu aujourd’hui. Marine Le Pen et le FN se déclarent « et de droite et de gauche ». On est dans cette difficulté qu’il a à assumer son identité, entre le positionnement de Marine Le Pen lorsqu’elle se trouve, par exemple, en territoire nordiste, où elle n’emploie pas le mot « droite », et celui de Marion Maréchal-Le Pen, qui s’en revendique auprès de ses supporteurs vauclusiens. Il y a, si l’on peut dire, deux lignes : Le Pen-Philippot qui ne veulent s’allier aucunement avec la droite (même si elle a fait il y a quelques semaines un appel à Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino, NDLR) et Marion Maréchal-Le Pen qui appelle à une recomposition avec une certaine droite. Le Front National a toujours refusé le terme d’extrême droite. Aujourd’hui, il se revendique de « droite et de gauche alors qu’à l’origine Jean-Marie Le Pen se réclamait de droite (« Nous sommes la droite nationale » disait-il à la fondation du FN). Ce qui est intéressant c’est de voir où le FN se place lui-même (nous, observateurs, le plaçons sans souci au sein de l’extrême droite française). Bruno Mégret, qui a marqué l’histoire du FN, avait observé comment le MSI, en se transformant en Alliance nationale et en abandonnant certaines marqueurs de l’extrême droite, s’était affadi pensait-il. Si aujourd’hui le FN ne revendique pas ce qui est constitutif de son ADN, ça peut nuire à ce qu’il est. Il doit à la fois produire des efforts de normalisation pour séduire un nouvel électorat, et en même temps donner des gages à son électorat historique. Les 144 engagements de son programme traduisent cela, en faisant des clins d’œil à tous : gauche, droite et extrême droite.

La première est illustrée d’une photo de meeting en 1988. La deuxième a servi pour les régionales de 2015. Aujourd’hui Marine Le Pen prétend incarner la voix des « invisibles ». Quand Marine Le Pen se trouve à Hénin-Beaumont, elle enlève ses talons et se met en jean et en baskets. Et les gens s’identifient à elle. Elle a « changé » en quelques années, en comprenant qu’elle devait s’identifier aux réalités du terrain. Ce qui marche aussi c’est que beaucoup d’électeurs auxquels elle s’adresse ne croient plus dans les autres partis. Ils s’estiment totalement trompés. Les électeurs de gauche qui ont voté Hollande en 2012, ceux qui avaient voté pour le maire divers gauche Gérard Dalongeville (2001-2009),  incarcéré pour détournement de fonds, faux en écriture et favoritisme à Hénin-Beaumont, Le Front National et ses représentant adressent des signes à cette population désenchantée par la politique. Ils avancent un argument malheureusement entendable aujourd’hui: priorité au peuple français, encore plus avec la crise des réfugiés, ou l’affaire Fillon, qui a un effet dévastateur sur la confiance envers les politiques… Ce qui est étonnant, parce que le Front National lui-même est au centre d’affaires (financement des campagnes 2014 et 2015,  NDLR) mais ça ne fait pas écho. Pour l’instant, les électeurs entendent un des arguments principaux de leur représentante, à savoir : ses adversaires politiques, et plus largement le système, veulent l’abattre. Et ils n’auraient trouvé que « ça » pour le faire. Pour les frontistes, Marine Le Pen incarne une nouveauté. Et, rappellent-ils, elle n’a jamais été au pouvoir et s’est engagée à changer radicalement les choses, notamment par l’instauration de la « priorité nationale ».

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