Comment mettre la transformation sociale à l’ordre du jour des élections de 2017 ?

Pierre Zarka
Animateur de l’Observatoire des mouvements de la société (Omos)

Pierre Zarka Animateur de l’Observatoire des mouvements de la société (Omos)

Rappel des faits Cette période de campagne électorale, sur fond de grave crise politique, appelle un grand débat démocratique. Pour ce faire, l’Humanité ouvre ses colonnes.

S’en prendre à la source de la production de richesse par Benoît Borrits  Auteur de Coopératives contre capitalisme (éditions Syllepse)

La transformation sociale, c’est l’appropriation par les salariés eux-mêmes du processus productif, c’est le dépassement des sociétés de capitaux par des unités de production autogérées par les travailleurs. Elle ne peut pas être l’œuvre d’un gouvernement quel qu’il soit, mais le résultat de l’activité propre de la classe salariée. Encore faut-il qu’une coalition progressiste arrivant au pouvoir ne bloque pas celle-ci. Hormis le fait que les deux principaux candidats de gauche sont aujourd’hui désunis et incapables d’être présents au second tour, l’un comme l’autre sont aujourd’hui tournés vers les vieilles recettes du passé qui ont déjà fait défaut en 1981 : le financement des nouveaux besoins écologiques et sociaux par une combinaison de déficits publics et d’augmentation des impôts. En ce qui concerne les déficits, l’un place la barre assez haut tout en sachant que cela signifiera probablement une sortie de l’Union européenne et de la monnaie commune. Cette sortie de l’euro ne pourra qu’avoir des conséquences désastreuses sur le pouvoir d’achat des salariés. Cette proposition n’est donc pas de nature à unifier les salariés et à ouvrir une quelconque perspective transformatrice. Pour l’autre, les ambitions sont moins élevées de façon à se placer d’office dans quelque chose d’acceptable pour l’Union européenne en termes de déficit public.

Mais, dans les deux cas, ils s’appuient sur la croyance toute keynésienne que des dépenses publiques supplémentaires seront de nature à provoquer un choc positif sur l’économie qui la placera dans un cercle vertueux de croissance. Soyons clairs, si les thérapies de choc appliquées à la Grèce se sont avérées catastrophiques en plaçant le pays dans une récession qui a aggravé l’endettement au lieu de l’améliorer, inversement, rien n’indique qu’une augmentation du déficit est automatiquement un facteur de croissance.

Les deux candidats entendent bien sûr financer une autre partie de ces dépenses par une hausse ciblée de la fiscalité sur les plus hauts revenus, notamment les revenus financiers. Mais laisser se former des revenus financiers pour les reprendre ensuite par la fiscalité sans s’en prendre à la structure même des entreprises est une véritable politique de gribouille. Quelle sera la motivation des possédants pour faire fonctionner les entreprises si ce qu’ils gagnent est repris ensuite par l’impôt ? Plutôt que de financer par le déficit et l’impôt, ne devrait-on pas aussi envisager un financement par des cotisations sociales à la charge des entreprises ? La hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée est le critère même qui permet de déterminer si un programme est de gauche ou pas. À l’inverse de la fiscalité, ce mode de financement par la cotisation a le mérite de s’en prendre à la source de la production de richesse. Il pose d’office la question de la viabilité des sociétés de capitaux et celle de la reprise de celles-ci par les salariés.

Plutôt que la division sur le mode « plus gauche que moi, tu meurs », mieux vaut alors une unité sur un programme social unifiant à la condition que celui-ci donne l’opportunité économique, les outils législatifs et les moyens financiers pour permettre aux salariés, s’ils le souhaitent, de se débarrasser des actionnaires, de reprendre leurs entreprises. Cette perspective n’est hélas ouverte par aucun des deux principaux candidats de gauche.

Un personnage trop discret, le système capitaliste  par Pierre Zarka  Animateur de l’Observatoire des mouvements de la société (Omos)

La campagne électorale révèle un effondrement des partis politiques assimilés au système. Pourquoi est-ce que ce sont des forces réactionnaires qui, en Europe et aux États-Unis, donnent l’apparence d’être antisystème et en tirent profit, à l’image de Macron et de la fille Le Pen ? Le rejet du système est dans l’air du temps mais, à gauche, il n’est pas vraiment investi.

Depuis 2012, les luttes contre les fermetures d’entreprises, la loi El Khomri, les chantiers inutiles, le démantèlement des services publics, les Nuits debout se sont heurtés, pour la première fois, à un gouvernement dit de gauche. La nocivité des actionnaires et de la course aux dividendes en a été perçue plus clairement. En 2015 un sondage disait que pour 53 % des sondés le système capitaliste était la cause de la crise. Retour de la lutte des classes ? Il est donc paradoxal qu’au moment où le CAC 40 repart de plus belle, il soit si peu question, dans la campagne électorale, de priver les gros actionnaires de leur voracité et de leur capacité de nuisance. Que la campagne ne soit pas inscrite dans le prolongement de ces luttes explique peut-être qu’elle soit en deçà de ce qui mûrit, même s’il est vrai que ce qu’il faudrait en conclure a encore du mal à se formuler clairement. Mais si cela pouvait se faire spontanément, à quoi serviraient les politiques et les syndicats ?

L’époque où un compromis entre capital et forces du travail était possible et débouchait sur l’existence de la Sécu, l’accroissement des qualifications et l’industrialisation (parfois à outrance) est révolue. Le capital se détourne de plus en plus du travail. L’accélération des mutations technologiques l’oblige à renouveler de plus en plus vite les machines, à rémunérer un travail toujours plus qualifié dont les besoins de formation sont permanents. Ce qui coûte trop cher à ses yeux. De plus, la place du savoir stimule bien trop à son goût les aspirations à la démocratie. De ce fait, il évite les investissements, tire la majorité des profits de la finance et se restructure autour d’elle. Il n’y a pas deux capitalismes, l’industriel qui serait vertueux et le financier pervers. Nos échecs successifs disent que l’objectif ne peut pas être d’aménager un système qui ne peut plus l’être. En tirons-nous toutes les conséquences ?

Il ne s’agit pas d’être moins concret, mais une addition de mesures ne suffit pas à faire une politique. Au risque d’être incantatoire et d’apparaître trop fade, chacune des mesures souhaitées ne pourra voir le jour qu’en s’inscrivant dans la perspective de se débarrasser du système capitaliste. Non seulement afin de dégager l’argent nécessaire, mais pour une question de pouvoir : qui doit avoir le pouvoir sur l’économie et le devenir de la société ? Les actionnaires ? L’État ? Ou les intéressés eux-mêmes, ce que portent déjà les coopératives ? Certes cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais dès à présent cette perspective conditionne la crédibilité de chaque mesure pour qui a en tête la puissance des capitalistes.

Préciser qui est l’ennemi produit un intérêt commun. Un des bilans des luttes est leur fractionnement catégoriel. De ce fait, le capital a face à lui une myriade de mouvements qui ne convergent pas et qu’il peut affronter un par un. Un mouvement commun n’efface pas les particularités, mais c’est la capacité à converger vers une même nécessité qui a produit nos grands acquis. N’est-ce pas le plus grand enjeu de cette période électorale ?

Le rassemblement pour changer de cap par Guillaume  Roubaud- Quashie Directeur de la Revue du projet

Le feuilleton des turpitudes de François Fillon a assurément un mérite : il montre à qui pouvait encore en douter la profondeur de la crise de notre vie politique, de la décadence des classes dirigeantes, de leur illégitimité radicale à présider aux destinées d’un peuple de 65 millions d’individus intelligents et capables. Oui, si le peuple ne se mêle pas de politique, ces gens-là continueront, Fillon ou un autre, de marier grands discours et petites combines. L’heure est décidément à l’implication populaire et l’exigence démocratique est plus actuelle que jamais. Mais la telenovela fillonesque a un défaut majeur : en nous submergeant tous les jours de son écume sale, elle noie la campagne électorale et la juxtaposition des postures peut tenir lieu de débat politique. Pourtant, derrière le vernis marketing des uns et des autres, c’est un plan de bataille de classe d’une virulence extrême qui se prépare avec le soutien actif de Gattaz, Rothschild, Dassault et les autres. Feu sur la Sécurité sociale ! Feu sur le Code du travail ! Feu sur les services publics ! Feu sur la fonction publique ! C’est bien ce programme historique de terre brûlée que partagent Macron et Fillon, déclinaison française ripolinée de la Dame de fer et du cow-boy Reagan. Mais, de ces projets de société, on ne parle guère, Penelopegate oblige. Cela fait évidemment les délices du crapuleux clan Le Pen, l’imposture pouvant continuer à faire illusion tant qu’on ne parle pas du fond.

La possibilité d’une alternative de rupture a pourtant rarement été aussi forte. L’électorat socialiste, entraîné depuis des décennies vers l’acceptation du capitalisme et, même, vers celle de sa version libérale et financière, a désavoué avec puissance et netteté cette orientation mortifère à l’occasion de la primaire. Dans le même temps, Jean-Luc Mélenchon a trouvé l’oreille de millions de nos concitoyens ; à coup sûr, la campagne autonome des communistes n’y est pas pour peu, même si nous avons sans doute à lui donner une ampleur et une vigueur nouvelles qu’appellent la situation et ses périls. Dans notre peuple, ils sont déjà des millions acquis à l’idée qu’il nous faut changer de cap.

Alors, comment ne pas gâcher ces possibles ? Le rassemblement est à l’ordre du jour : nous l’avions bien identifié, en œuvrant depuis des mois à ce que l’emportent la voix de la raison, la voie de la victoire. Unir les 88 % de salariés, unir, au-delà encore, les 99 % qui ont objectivement intérêt à sortir de l’impasse criminelle et absurde du capitalisme financier : c’est la tâche permanente des communistes. Devant les difficultés, une partie de notre peuple s’inquiète, quand elle ne se décourage pas. Sachons nous faire entendre d’elle en étant jusqu’au bout les militants du rassemblement. Cet appel au rassemblement ne peut toutefois porter largement que s’il est lourd de contenus répondant aux aspirations populaires. C’est le sens de l’adresse au peuple de France du PCF. Oui, il faut rassembler très largement pour que l’évasion fiscale, sujet occasionnel de larmes de crocodile, soit l’objet d’une lutte déterminée pour qu’y soit mis un terme (1). Des millions de citoyens sont disponibles pour cela. Nous les appelons à prendre la parole, à imposer cette question à l’agenda des élections présidentielle et législatives. Ils pourront compter sur les candidats présentés et soutenus par le Parti communiste. Après l’été encore et quelle qu’en soit l’issue, il faudra poursuivre en ce sens. D’ici là, œuvrons à ce que notre peuple puisse s’appuyer sur des relais puissants dans les lieux de pouvoir politique. Bien sûr, ce cap est dur à tenir par gros temps, mais, conscients de nos responsabilités devant notre peuple, nous le tenons, nous le tiendrons.

Un large débat pour un service public de l’énergie par Marie-Claire  Cailletaud Porte-parole de la Fédération nationale mines-énergie CGT

Alors que 6,5 millions de chômeurs galèrent, que de nombreux concitoyens ont du mal à boucler les fins de mois, que des salariés luttent pour garder leurs emplois, proposent des projets alternatifs pour redynamiser l’industrie et les services publics, les médias nous offrent un débat politique surréaliste. Au lieu d’être la caisse de résonance des luttes en cours, ils étalent sous nos yeux l’indigence des combats politiciens de ceux qui cherchent des places. À la lutte des places, préférons la lutte des classes ! La perte de repères, qui conduit certains à chercher comme boussole l’homme ou la femme providentiel-le, impose de reconstruire en partant du concret et du vécu de chacun-e. Cette période doit être mise à profit pour amplifier et rendre visibles les luttes et revendications, afin que la parole ne soit plus confisquée par ceux qui n’ont qu’une vision théorique ou univoque du monde du travail, mais soit réappropriée par celles et ceux qui vivent la réalité, sans délégation de pouvoirs, avec un seul but, la justice sociale. La politique devrait se donner comme objectif d’élever les consciences, de parier sur les intelligences individuelles et collectives, de permettre l’éducation populaire. La parole doit être crédible, susciter le débat, l’ouverture, la réflexion, l’esprit critique, l’écoute, l’échange. Aucun raccourci ne peut être toléré pour construire solidement et durablement.

La lutte engagée par les énergéticiens depuis plusieurs mois, en particulier lors des Mardis de la colère, permet d’illustrer la manière dont la transformation sociale traverse la campagne. Dans leurs luttes ils posent deux questions fondamentales : le partage des richesses produites et l’avenir des services publics. Partage des richesses en mettant au centre la question du travail, de sa transformation, de son organisation, sa diminution, de la formation, des qualifications, du rôle et de la place de la recherche. Avenir des services publics, à même de répondre aux besoins économiques sociaux et environnementaux, qui constituent le socle d’une société solidaire. Ils posent la question de la réappropriation sociale d’un secteur stratégique qui est celui de l’énergie avec la proposition de création d’un pôle public de l’énergie. Il est dommageable qu’aucun candidat ayant des propositions sur ce secteur n’ait jugé nécessaire d’échanger avec eux. Par exemple, sur le sujet du nucléaire qui mériterait un débat sérieux et dépassionné, cela permettrait :

– d’exposer pourquoi les candidats qui souhaitent sortir du nucléaire civil ne s’engagent pas pour le désarmement nucléaire alors que 2017 sera l’année de la convocation par l’ONU d’une conférence sur le sujet ;

– de mettre tout sur la table pour que les citoyens se forgent leur avis en toute intelligence. Comme le coût des énergies marines renouvelables, qui oscille de 120 à 500 euros (1), alors qu’un MWh électrique est produit à 42 euros aujourd’hui. Une augmentation des tarifs, conjuguée à l’introduction de la progressivité, conduirait à une injuste restriction par l’argent ;

– de dire que leur scénario de référence, Négawatt, imposerait des changements comportementaux en rupture (alimentation, mobilité, cohabitation, etc.) et mise sur des paris technologiques dont la non-réalisation conduirait à augmenter nos émissions de gaz à effet de serre ;

– de savoir que le réchauffement climatique n’attend pas, que la famine tue des centaines de milliers de personnes, certes loin de nous, et que reporter la réponse est meurtrier ;

– d’expliquer sur quelles études repose l’analyse de la dangerosité des centrales alors que les 483 salariés de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les 1 827 salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), parmi lesquels de nombreux spécialistes, ingénieurs, médecins, agronomes, vétérinaires, techniciens, experts et chercheurs, annoncent des conclusions différentes.

Pour permettre que s’engage un large débat sur les enjeux énergétiques, la FNME-CGT a adressé aux candidats à la présidence de la République et aux législatives une charte pour un service public de l’énergie du XXIe siècle.

(1) Le 6 avril, la Revue du projet organise un débat avec Pierre Laurent et Éric Bocquet à l’espace Niemeyer sur le sujet. (1) Source Ademe, janvier 2017.

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