Exploitation aurifère. Montagne d’or, la perspective qui mine la Guyane

La forêt Guyanaise abrite 80/% de la biodiversité française, dont 1 700 espèces d’arbres et 710 espèces d’oiseaux. Maiouri Nature PhB

La forêt Guyanaise abrite 80/% de la biodiversité française, dont 1 700 espèces d’arbres et 710 espèces d’oiseaux. Maiouri Nature PhB

Un projet de méga-mine d’or soulève l’inquiétude outre-Atlantique, où l’on redoute accidents industriels et intensification de l’extractivisme. Plus de vingt organisations demandent à ce qu’il soit abandonné.

Sera-ce la goutte d’or qui fera déborder la Guyane ? Le projet minier Montagne d’or fait en tous les cas fermement causer de lui outre-Atlantique, où la mobilisation se construit pour empêcher sa réalisation. Pas loin de 25 organisations locales et nationales sont vent debout, rassemblées autour d’un collectif, Or de question, créé le 14 juillet 2016. Une date pleine de sens pour initier ce qui ressemble bien à une fronde, soutenue par la Ligue des droits de l’homme de Cayenne, la fondation France Libertés ou encore ISF SystExt, soit la section d’Ingénieurs sans frontières spécialisée dans les projets extractivistes.

Les échos du courroux devraient résonner encore plus largement à compter de cette semaine. Une réunion publique est prévue aujourd’hui à Cayenne – ironiquement, c’est l’Eldorado, un cinéma, qui accueillera la rencontre initiée par les associations. On attend les conclusions de l’évaluation environnementale et sociale de l’exploitant d’ici la fin du mois. Poussé par les alertes de la société civile, le gouvernement français promet quant à lui « d’initier prochainement un débat public », pour permettre « de poser et de traiter localement les questions ».

Ses dimensions sont titanesques

De fait, elles sont nombreuses. Car Montagne d’or déroge aux standards des exploitations alluvionnaires qui perlent déjà la région. Elle se présente même pour devenir la plus importante mine aurifère à ciel ouvert jamais développée sur le territoire français. Prévue à la frontière de deux réserves biologiques intégrales – celle de Lucifer et celle de Dékou-Dékou –, ses dimensions sont, dit-on, titanesques et pourraient faire prendre un nouveau virage à l’industrie guyanaise.

Longue de 2,5 kilomètres, Montagne d’or sera large de 500 à 800 mètres et devrait s’enfoncer jusqu’à 400 mètres de profondeur (la tour Eiffel, pour rappel, en fait 300 de haut). La surface de déforestation induite, toutes installations confondues, tournerait autour de 10 km². « Ce n’est pas là le problème », arrête d’emblée Harry Hodebourg, président de l’association Maïouri Nature Guyane et porte-parole du collectif Or de question. « À l’échelle de la forêt amazonienne guyanaise, ce périmètre n’est rien. » Le problème, c’est le reste et tout le reste. La liste des griefs recensés par les organisations est longue comme un jour sans pain, interrogeant jusqu’à la vocation française d’intensifier la chasse à l’or.

Le gouvernement l’a affichée officiellement en août 2015. C’est Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, qui adoubera alors le projet, nourri par un consortium transnational formé d’une compagnie canadienne, la Colombus Gold (CoGo), et d’une major russe, la Nordgold, déjà exploitante de 9 mines à travers le monde.

Les perspectives avancées par les pouvoirs publics et le groupe industriel sont reluisantes. « La Montagne d’or, c’est un potentiel en phase d’exploitation de plus de 700 emplois, dont environ 90 % d’emplois locaux », expliquent les services du secrétariat d’État à l’Industrie, qui ont répondu à nos questions par mail. « Il est considéré que l’impact de ces emplois directs représente le triple en emplois indirects. » Des projets de formations sont en cours, dont « une licence universitaire dédiée », précise-t-on encore. Enfin, on envisage « un retour fiscal potentiel », mais dont les collectivités locales seraient premières bénéficiaires.

Des éléments auxquels les associations du collectif Or de question n’accordent au final que peu de crédit. « On cherche à rendre la mariée plus belle qu’elle ne l’est », reprend Harry Hodebourg, « c’est la seule raison qui fait que la Guyane ne s’est pas encore soulevée ». Le ratio d’emplois indirects créés aurait, selon lui, été calculé au regard de l’expérience de Nordgold au Burkina Faso, où le groupe exploite deux mines. « Or, le coût du travail n’est pas du tout le même en France », fait encore remarquer Harry Hodebourg. Quant aux retombées fiscales, la loi indique que les taxes imposées aux grandes compagnies extractivistes ne peuvent être supérieures à 2 % du cours moyen annuel de l’or. « Sur la base de 100 tonnes d’or extraites au cours des treize années d’exploitation prévues et d’un or à 35 000 euros le kilo en moyenne, le revenu maximal que pourra en tirer la Guyane sera de 70 millions d’euros », décortique le président de Maïouri Nature. Les coûts environnementaux et sociaux pourraient, en retour, s’avérer très élevés.

L’alimentation de la mine en énergie nécessiterait au quotidien 20 mégawatts par jour, font valoir les associations, soit l’équivalent de la consommation de Cayenne, dans une région déjà régulièrement victime de black-out. Cela nécessitera de tirer des lignes à haute tension sur 120 kilomètres, dont le coût – 60 millions d’euros – sera supporté par la collectivité, poursuivent-elles. Pour répondre à cette demande énergétique, le projet envisage la réalisation d’une centrale biomasse à Saint-Laurent-du-Maroni. Afin de l’alimenter, « des demandes de rétrocession de 200 000 hectares de forêts primaires ont déjà été effectuées, incluant des terres coutumières de communautés amérindiennes et bushinenguées », dénonce encore le collectif Or de question.

« Les boues peuvent être extrêmement nocives »

Les risques industriels, surtout, s’avèrent non négligeables. Le processus industriel développé par Nordgold implique l’utilisation de solutions cyanurées, explique Thibaud Saint-Aubin, président d’ISF SystExt. « Les boues ainsi traitées sont stockées sur place et forment des montagnes de déchets qui peuvent être extrêmement nocives », poursuit-il. On parle là de quantités gigantesques, quand la teneur du site en or est estimée à 1,8 gramme d’or par tonne de roche et de terre. Leur stockage en digue inquiète singulièrement les ingénieurs, dans un contexte équatorial à la pluviométrie parfois extrême. « L’accumulation d’eau augmente le risque de rupture de ce type de barrage », reprend Thibaut Saint-Aubin. Le risque est loin d’être isolé, insiste ISF SystExt, laquelle recense au moins 25 ruptures de digue depuis 2000 dans le monde. Avec, comme exemple le plus récent, celui de Samarco, au Brésil, où une rupture de ce type survenue en novembre 2015 avait tué 19 personnes et engendré près de 40 milliards d’euros de dégâts.

Mais plus encore que les nuisances immédiates que pourrait avoir la méga-mine si elle était lancée, les associations redoutent les portes que la réalisation d’un projet d’une telle dimension pourrait ouvrir. « Cela marquerait le passage à une nouvelle échelle d’exploitation de l’or en Guyane », souligne encore Thibaut Saint-Aubin. « Nous en avons déjà fait l’expérience au Mali, où d’une méga-mine d’or lancée à Sadiola, on est rapidement passé à deux, puis à quatre. » Les mêmes perspectives ne sont pas exclues en Guyane, où 19 nouveaux permis d’exploration ont été accordés et où 6 demandes sont en cours. À quelle fin, interrogent les associations. L’intensification de l’extractivisme aurifère est une aberration, estiment-elles, quand en 2016, 30 000 tonnes de minerai doré dormaient dans les banques centrales internationales, soit 20 % de tout l’or du monde qui n’était utilisé ni pour l’industrie, ni pour la joaillerie.

Marie-Noëlle Bertrand, Chef de rubrique Planète

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