Anne Guyot-Welke « On ne doit plus être intrusifs pour les entreprises »

Entretien réalisé par Pierric Marissal
« Une partie du recouvrement de l’impôt à la source, entre autres, risque d’être privatisée. » Pascal Sittler/Réa

« Une partie du recouvrement de l’impôt à la source, entre autres, risque d’être privatisée. » Pascal Sittler/Réa
Contrôle fiscal. Moins de terrain, moins de moyens, moins de personnel, moins de temps, moins de présence dans les entreprises… alors que le gouvernement affirme vouloir combattre l’évasion fiscale, il démantèle les équipes de contrôle.

L’année 2017 s’est terminée sur la fermeture des guichets de régulation. Quel bilan en tirez-vous ?

Anne Guyot-Welke: On a eu plus de 32 milliards d’avoirs qui ont été déclarés en France, ce qui a permis de recouvrer 8 milliards d’euros depuis 2013. Ce sont essentiellement des particuliers qui avaient des comptes en provenance de Suisse. Ce n’est pas rien, même si nous nous étions opposés à sa mise en place à l’origine, puisqu’elle s’est faite à moyens constants, en dépeuplant les services du contrôle fiscal. Cela participe au fait que les résultats du contrôle fiscal sont en baisse depuis deux ans…

Comment expliquer que les résultats du contrôle sont en baisse alors qu’on n’a jamais autant parlé de lutte contre la fraude et l’évasion ?

Anne Guyot-Welke: On manque de moyens. Humains, bien sûr, je rappelle que les services de contrôle ont perdu 3 100 postes depuis 2010, mais aussi logistiques et techniques. Surtout que, avec l’échange automatique d’informations fiscales entre les pays, on commence à récolter énormément de données. C’est très bien, mais il faut pouvoir les traiter. Les nouveaux outils informatiques ont été mal anticipés, au service d’une politique libérale et d’une pression managériale, et non d’un progrès social. Par exemple, des vérificateurs doivent utiliser jusqu’à 8 logiciels en même temps, car il n’y a eu aucun schéma informatique pensé entre les directions. Des consignes politiques exigent aussi qu’on soit de moins en moins intrusifs dans les entreprises. Le contrôle devient plus ciblé, nos champs d’investigation limités.

Qu’en est-il du droit à l’erreur, qui doit être mis en place cette année ?

Anne Guyot-Welke: Il est tout à fait dans la même logique qui préside au fait qu’on ne doit pas être intrusifs dans les entreprises. Ce qu’on appelle droit à l’erreur est en fait un ensemble de mesures comprises dans le projet de loi « un État au service d’une société de confiance » et en test dans deux régions, les Hauts-de-France et Rhône-Alpes. Il impose que nos interventions dans les entreprises soient limitées à neuf mois, sur une durée de trois ans. Tous services de contrôle confondus, Urssaf et inspection du travail compris… On nous incite aussi à opérer les contrôles à distance : les entreprises nous enverront leur comptabilité dématérialisée. C’est là que, si on constate une irrégularité, il faudra juger de leur « bonne foi », selon des modalités qui restent floues. Mais cela, au fond, a toujours été le cas : lorsqu’une entreprise régularisait sa situation en cours de procédure, on ne sanctionnait pas. En revanche, c’est en allant dans les entreprises qu’on voit comment elles fonctionnent, ce qui permet d’orienter nos recherches, de découvrir des schémas de fraude plus approfondis. Ce qu’on ne pourra plus faire sans l’autorisation du préfet, qui va tout coordonner. Et le préfet reste soumis à des pressions politiques. La bataille a été rude entre notre administration et le pouvoir politique sur cette loi. Pour l’instant, on a obtenu qu’elle soit juste appliquée à titre expérimental, mais on ne se fait pas d’illusions, la volonté politique affirmée est de favoriser la libre entreprise, avec le moins de contrôles possibles…

Autre rendez-vous de l’année, le comité d’action publique CAP 22 rendra publiques, en mars, ses préconisations sur les nouveaux périmètres des services publics. Serez-vous touchés ?

Anne Guyot-Welke:  On s’oriente clairement vers une externalisation du premier niveau de contrôle fiscal par des centres de gestion agréés, donc des organismes privés. Une partie du recouvrement de l’impôt à la source risque aussi d’être privatisée, de même que toutes les missions de conseil aux collectivités. D’après nos calculs, on s’attend à 1 600 suppressions de postes dans l’administration fiscale pour 2018, et entre 4 000 et 5 000 d’ici à la fin du quinquennat. Toutes ces raisons pour lesquelles on a lancé une pétition, ouverte à tous, pour le renforcement des effectifs et des moyens du contrôle fiscal, signée déjà par des personnalités comme Eva Joly, Gabriel Zucman, Marie-Noëlle Lienemann, Charlotte Girard, Pierre Larrouturou ou Liem Hoang-Ngoc.

Anne Guyot-Welke, Porte-parole de Solidaires finances publiques


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