C’est un livre dédié à tous ces enseignants qui un jour en ont eu assez. A ceux qui ne s’y retrouvent plus dans un métier difficile. Tous ceux là, Emmanuelle Piquet les invite, dans « Comment ne pas être un prof idéal » (Payot), à déculpabiliser et à quitter le professeur idéal qui réside en chaque enseignant. Psychopraticienne, dans la lignée de l’école de Palo Alto, elle propose des stratégies pour cesser de souffrir et retourner les forces négatives dans une sorte de judo salutaire et même, parfois, pédagogique…
Fondatrice des centres « Chagrin scolaire », Emmanuelle Piquet est psychopraticienne et intervient auprès de l’Espe de Bourgogne. Après plusieurs livres destinés aux parents et aux élèves, elle signe un premier ouvrage qui vise à aider les enseignants.
L’objectif de votre livre c’est déculpabiliser les enseignants ou changer la façon d’enseigner ?
C’est déculpabiliser. L’éducation est un lieu où il peut y avoir de la souffrance. Elle est notamment liée aux injonctions envoyées en permanence par tout le monde, parents comme institution, et même élèves.
Par exemple on demande aux enseignants à la fois d’adapter leur enseignement à chaque enfant et de finir le programme. Si j’essaie de le faire je n’y arrive évidemment pas. Et cela me renvoie le message que je ne suis pas un bon enseignant. Mais si je respecte pas la consigne je suis un mauvais enseignant aussi !
Alors que préconisez vous pour prendre en compte les difficultés des enseignants ?
Une des premières difficultés c’est que les enseignants n’aiment pas parler de leur souffrance. La plupart préfèrent attendre le burn out. Quand ils demandent un soutien, alors je peux démarrer un travail en me basant sur l’école de Palo Alto.
L’idée c’est de dire : « arrêtons de faire des choses qui finalement provoquent ce qu’on veut éviter. Arrêtons de persévérer dans des comportements qui alimentent les problèmes.
Par exemple , les enseignants veulent du silence dans la classe. Mais dans certains cas le fait même de vouloir le silence et de sanctionner pour cela génère l’inverse car la classe prend plaisir à se dérober à l’injonction. On va réfléchir sur comment faire l’inverse et responsabiliser les élèves notamment face au désir d’apprendre. Le livre explique aussi comment mettre fin à l’escalade verbale avec des parents à qui on demande plus de sévéréité avec leur enfant.
Mais faire cela n’est ce pas baisser les bras ?
Notre expérience c’est qu’à partir du moment où on accepte l’idée qu’il n’est pas possible d’avoir une classe silencieuse, dans certains cas les élèves se désintéressent du chahut. Il y a des renoncements qui sont salutaires et des objectifs illusoires qui génèrent de la souffrance. Notre hypothèse c’est qu’un enseignant en souffrance ne peut pas faire son métier correctement. En arrêtant de se focaliser sur le silence ou l’obéissance on assouplit le fonctionnement, on ne baisse pas les bras au contraire. C’est la rigidité qui génère de l’épuisement.
Cette approche n’est elle pas une négation des difficultés pédagogiques , celles des élèves ?
Je n’ai pas de compétences pédagogiques. Je sais qu’il y a des problématiques qui ne sont pas pédagogiques mais relationnelles. Or on ne forme pas les enseignants à cela. Le livre traite de difficultés qui ne sont pas prises en compte à travers des situations précises.
A un moment vous écrivez qu’il « n’y a pas de réalité ». Que voulez vous dire ?
La réalité des adolescents n’est pas la même que celle des enseignants. Souvent l’apaisement vient d’un changement de perception. Le problème n’est alors pas dans le problème mais dans la perception du problème. Si je considère que tant que ma classe n’est pas silencieuse je ne suis pas respecté cela génère de la souffrance. Se dire que ce n’est pas forcément signe qu’on en me respecte pas modifie la souffrance.
C’est ce que vous appelez le 180° ?
Le 180° c’est l’idée que le soulagement provient du fait d’arrêter de faire ce qu’on a fait jusque là. C’est l’idée de faire l’inverse. Par exemple c’est le cas d’un professeur des écoles à qui je demande de dire à un élève qu’il peut perturber le cours et même à l’inciter à le faire. Face à la rébellion d’un jeune enfant le seul fait de vouloir le mater générait davantage de troubles.
Il faut laisser les décrocheurs décrocher ?
Non. Mais vouloir que l’autre ait envie est destructeur. Généralement les décrocheurs sont trop pris en charge. Donner à ces jeunes le choix du décrochage ou d’une mobilisation accrue est responsabilisant.
En quoi votre livre apporte des solutions aux difficultés scolaires ?
En invitant à diminuer les rigidités du système éducatif on favorise un climat relationnel apaisé du coup on se donne de nouvelles possibilités. La souplesse dégagée grâce au 180° apaise et profite aux apprentissages.
Propos recueillis par François Jarraud
Emmanuelle Piquet, Comment ne pas être un prof idéal, Payot, 2018, ISBN 978-2-228-92003-2
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