À Orléans, Yves Bodard, travailleur social et militant infatigable, a créé des ateliers « éthiques » pour « déconstruire les mensonges ambiants ».
Son look d’éternel ado et ses reparties cinglantes tranchent avec un regard concerné qu’Yves Bodard, le révolté, promène de maraudes en déambulations dans les quartiers populaires d’Orléans, qu’il connaît mieux que quiconque. Son impératif ? Faire évoluer les mentalités.
À son modeste niveau. Ce jeudi soir, le voici de nouveau attablé au bar le Java Pop de son ami Paco Rousseau. Un établissement situé dans le centre ancien de la ville, devenu le bruyant berceau des bars pour étudiants. Mais ici, Yves ne vient pas enfiler les mojitos, la clope électronique au bec. Il y accueille, comme chaque mois, plusieurs dizaines de convives non triés sur le volet pour son nouvel opus des Ateliers en mouvement de partages utopiques et éthiques.
« Je ne suis pas communiste, d’ailleurs, je ne sais pas ce que je suis »
On y traite, ce jour-là, de la question des déchets. Sur l’estrade, micro en main, Richard et Justine, tous deux agitateurs de consciences, développent leur argumentaire, histoire d’ouvrir le débat et de sensibiliser l’auditoire à ces enjeux environnementaux. « Je veux créer un socle de connaissances commun autour de sujets de société pour que chacun, travailleurs sociaux, enseignants, citoyens curieux, puisse être armé pour déconstruire les mensonges ambiants et réagir face à des situations ou des ordres hiérarchiques qui leur sembleraient éthiquement discutables », martèle Yves, ce travailleur social passé par une mission quasi christique d’éducateur de rue. Job qu’il a quitté en 1996, à contrecœur. « En solidarité avec le directeur du service de prévention spécialisée, remercié par la municipalité socialiste car il n’était pas encarté et avait refusé de bafouer l’éthique de notre action, je démissionne après dix années de travail d’éducateur sur le quartier de la Source », se souvient-il. C’est pour lui un déchirement. Plus de 200 jeunes se rassemblent alors pour lui rendre hommage. « Je pleure », confie ce père de famille qui partage son amour entre Dulce, son épouse à la patience infinie, véritable appui logistique et affectif, tout comme ses enfants, et la sacro-sainte équipe de Saint-Étienne (« J’ai du sang vert qui coule dans mes veines ») pour laquelle il pourrait parcourir plusieurs centaines de kilomètres dans un train de supporters lyonnais, les « ennemis jurés ».
Si Yves Bodard se refuse à rejoindre un parti, quel qu’il soit, il n’en demeure pas moins fidèle à Michel Ricoud, conseiller municipal communiste, pour qui il a été président bénévole du comité de soutien pour la victorieuse campagne des cantonales 2008. « Michel incarne la loyauté, l’intégrité, l’humanité, la proximité et, à titre plus personnel, la paternité », assure-t-il à ses nombreux interlocuteurs. « Je me suis engagé pour lui et j’ai peut-être agrégé des gens qui ne faisaient pas partie de la sphère politique. On me reproche parfois de ne pas être encarté, mais je ne suis pas communiste. D’ailleurs, je ne sais pas ce que je suis. Je veux juste rester incontrôlable. Mais jamais nocif. » Yves Bodard a ceci de singulier qu’il se revendique comme le fruit « d’une filiation, d’une histoire et de rencontres ». Il semble se construire au fil du temps et au travers des événements qu’il contribue lui-même à mettre en mouvement.
La maire de Fleury-les-Aubrais lui a ouvert une salle pour pouvoir décentraliser ses ateliers
Ces moments de grâce qui voient se côtoyer des militants centristes, comme Richard Ramos, Tahar Ben Chaabane et Marie-Agnès Linguet, la maire de Fleury-les-Aubrais, qui lui a spontanément ouvert une salle municipale pour pouvoir décentraliser ses ateliers. Mais aussi des slameurs, comme Ange Minkala, qui assurent ses intermèdes musicaux ou encore de bénévoles du Réseau éducation sans frontières (RESF) avec lesquels il mène un combat régulier pour la défense des mineurs isolés. Un engagement qui l’a conduit, avec sa famille, à parrainer deux jeunes Guinéens délaissés par le département du Loiret. « Si leur situation s’est améliorée, rien n’est gagné », regrette-t-il. « Nous les accompagnons dans leur quotidien en leur apportant un soutien matériel, affectif, une structure familiale, un soutien dans leur scolarité et nous les cacherons s’ils devaient être expulsés ! »
Il se lance dans l’écriture; de ses expériences naîtront plusieurs ouvrages
Cet attachement au genre humain a déjà conduit Yves Bodard sur d’autres sentiers. Il a ainsi soutenu le combat de Christian Joubert, premier otage français au Liban, en quête de reconnaissance officielle. Ce dernier, malgré un élan médiatique mêlant Stéphane Hessel et Florence Aubenas, mourra sans avoir été réhabilité. Parallèlement, il se lance dans l’écriture. Une gageure pour ce personnage qui semble en perpétuelle gestation. De ses expériences naîtront plusieurs ouvrages, dont Banlieues, de l’émeute à l’espoir (Corsaire-Regain de lecture), sorti peu après les émeutes de novembre 2005. Puis, Vies cabossées et miettes d’espoir, préfacé par Stéphane Hessel qui le désigne comme son « digne héritier ». Un inventaire de tous ces anonymes croisés un jour, au bord du chemin.
À la veille de l’échéance présidentielle, il ne veut rien pronostiquer. Juste envie de se dire que les gens qui viendront à sa rencontre, à ses ateliers, « verront les choses autrement ». Et par les temps qui courent, ce n’est finalement pas si mal.
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