Le gouvernement complice du pillage des paysans par les distributeurs

Selon l’Association nationale des industries alimentaires  (ANIA), « (…)  les négociations commerciales 2018 post Etats généraux  de l’alimentation se passent extrêmement mal. » Photo : Jean-François Monnier/AFP

Selon l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), « (…) les négociations commerciales 2018 post Etats généraux de l’alimentation se passent extrêmement mal. » Photo : Jean-François Monnier/AFP

La réunion du 19 janvier visant à faire le point sur les négociations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs a montré que le pillage continue au seul profit de grandes enseignes, suite aux Etats généraux de l’alimentation. Informés de cet état de fait, les ministres concernés ont décidé d’attendre en se croisant les bras.

Dans le cadre des Etats généraux de l’alimentation (EGA) qui se sont tenus entre septembre et décembre 2017,  à la demande du président de la République, une charte de bonne conduite avait été signée le 14 novembre dernier  entre les représentants de la grande distribution et leurs fournisseurs. Deux mois plus tard, le 19 janvier 2018, le ministre de l’Agriculture et la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, ont  réuni les signataires de cette charte. A l’issue de cette rencontre, les deux ministères ont publié un communiqué indiquant que « les ministres ont souhaité ce jour faire un point d’étape pour s’assurer que les conclusions des EGA, traduits dans la charte signée le 14 novembre par les acteurs économiques, s’appliquent concrètement aux négociations commerciales en cours ».

Ces  négociations annuelles se déroulent entre le début de mois de novembre et la fin du mois de février. Durant quatre mois, les négociateurs des quatre centrales d’achat de la grande distribution reçoivent ceux des entreprises agro-alimentaires pour discuter des conditions de la mise en rayon de leurs produits et surtout de leur prix pour 12 mois. Ainsi, les représentants de telle entreprise laitière ou charcutière sont reçus dans un box par des individus qui se conduisent généralement comme des maîtres chanteurs. Ils exigent des prix bas et brandissent la menace du déréférencement, ce qui peut se traduire par une perte de débouchés dans des centaines de grandes surfaces pour une entreprise qui ne cèderait pas sur la baisse de prix demandée. Depuis la mise en place du CICE sous la présidence de François Hollande, les négociateurs des centrales d’achat avaient pris l’habitude d’exiger des baisses de prix supplémentaires égales à 50% de l’aide attribuée aux entreprises à ce titre. Or les grandes surfaces sont aussi bénéficières CICE pour la quasi-totalité de leur personnel.

A l’issue de la rencontre du 19 janvier, le communiqué commun de Stéphane Travert pour l’Agriculture et de Delphine Geny-Stephann pour l’Economie et les Finances nous indique que « s’agissant des négociations ouvertes au mois de novembre 2017, les premiers éléments issus des contrôles en cours et les échanges de la réunion ont mis en lumière une application inégale de la charte signée parles acteurs et l’existence de marges de progrès dans la conduite des négociations ». Suivent une série de recommandations rédigées en langue de bois technocratique sans jamais désigner le coupable dans cette affaire.

« Un constat inquiétant partagé par tous, sauf les distributeurs »

Du côté de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), les propos sont beaucoup plus clairs. L’ANIA évoque « un constat inquiétant partagé par tous sauf les distributeurs ». Suit dans son communiqué ce résumé de l’ambiance des négociations : « Menaces de déréférencement, demandes massives de déflation, comportements contraires à la loi, grande braderie sur les produits (…)  les négociations commerciales 2018 post Etats généraux de l’alimentation se passent extrêmement mal. Ce constat établi par l’ANIA sur la base des résultats de l’Observatoire des négociations a aujourd’hui été confirmé par une majorité d’acteurs présents, y compris par les services de l’Etat, lors du Comité de suivi des relations commerciales », précise l’ANIA.

Ce jugement est confirmé dans le communiqué commun de syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs dans lequel on peut lire que « rien n’a changé en matière de négociations commerciales(…) Les niveaux de promotions constatés démontrent que même la loi actuelle n’est pas respectée : ni l’interdiction de revente à perte, ni la limitation des promotions actée par la loi Sapin II (…) Concernant les négociations commerciales en cours, la DGCCRF a établi  devant deux ministres un constat accablant: demande de déflation systématique des enseignes, aucune rémunération pour la montée en gamme, seuil de revente à perte non respecté (…) les négociations commerciales se passent encore plus mal que l’an dernier », constatent aussi ces deux syndicats.

« L’Etat a le devoir de se réengager et sanctionner si de besoin »

De son côté, la Confédération paysanne note que « la tonalité des discussions montre que la guerre des prix, qui occulte la prise en compte du prix de revient pour les paysans, est loin d’être terminée. Et ce malgré la signature en novembre dernier de la charte d’engagement des professionnels « pour une relance de la création de valeur et pour son équitable répartition au sein des filières agroalimentaires françaises » issue des Etats généraux de l’alimentation». Ce syndicat estime que « l‘Etat a de devoir de se réengager pour arbitrer et sanctionner si de besoin ».

Ce n’est pas ainsi que les deux ministères envisagent leur rôle pour le moment. Muets sur le rôle des distributeurs, ils proposent : « de réinterroger, chacun pour ce qui le concerne, ses méthodes et processus de négociations afin de les inscrire pleinement dans l’esprit des Etats généraux de l’alimentation; de transmettre des exemples concrets de bonne application de la charte, afin de pouvoir capitaliser sur ces expérience positives».

Voilà qui ne fera guère trembler les maîtres chanteurs des distributeurs qui reçoivent chaque interlocuteur à tour de rôle dans un box sur une chaise bancale afin qu’il soit mal à l’aise pour défendre le prix de ses produits d’ici le 28 février prochain. Voilà qui semble aussi montrer que ces Etats généraux de l’alimentation voulus par Emmanuel Macron n’avaient pas pour but de corriger les options du rapport de la Commission Attali rédigées en 2008 par un certain Macron Emmanuel. Ce rapport servit de trame à la droite pour élaborer la Loi de modernisation économique (LME), laquelle donne toujours aux distributeurs le pouvoir de ruiner leurs fournisseurs.

Gérard Le Puill, Journaliste et auteur

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