Une exposition au musée de la Bande dessinée à Angoulême fait connaître une nouvelle génération d’auteurs de BD arabes, où les femmes s’engagent pour leur émancipation individuelle et les libertés collectives.
En 2016, l’absence de femmes dans la liste des nominés pour le grand prix d’Angoulême avait fait scandale. Deux ans plus tard, toujours aucune femme n’a été élue grand prix et peu a été fait pour la visibilité des femmes dans le festival. Cette année, 10 femmes sont nominées en sélection officielle sur 45 hommes. Seulement deux expositions leur sont consacrées, l’une à Oriane Lassus, une jeune autrice publiée dans l’immanquable revue Biscoto, et l’autre à Marion Montaigne, nominée pour son truculent documentaire sur la préparation de l’astronaute Thomas Pesquet. Elle voit ainsi couronnée son œuvre de vulgarisation scientifique, depuis son blog « Tu mourras moins bête ».
Pour accompagner la lutte, Féministes, un excellent ouvrage collectif et militant lancé à l’occasion du festival, fait entendre la voix des femmes. Coordonnées par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, scénariste et historienne, quinze autrices et un auteur transgenre passent au crible les différentes problématiques, donnant la parole aux concernées, décortiquant l’objectivation du désir et la construction des normes, expliquant le fonctionnement d’un vagin ou de l’écriture inclusive, en passant par le concept d’intersectionnalité, qui conjugue racisme et sexisme dans une société à domination blanche et patriarcale. « Je suis très portée par la dynamique des femmes qui œuvrent dans la sororité, l’échange, l’entraide », explique Marie Gloris Bardiaux dans les Nouveaux Cahiers de la BD. La revue trimestrielle consacre sa une au thème « Les femmes sont-elles l’avenir de la BD ? ».
L’autoédition permet de publier dans un contexte compliqué et mondialisé
Pour y répondre à Angoulême, il faudra faire un pas de côté, passer le pont de la Charente, jusqu’au musée de la Cité, à l’exposition sur la bande dessinée arabe contemporaine. Forte d’une grande tradition, une nouvelle génération d’auteurs est née à la fin des années 2000 dans le monde arabe, connectés sur les réseaux sociaux et influencés par tous les courants internationaux, du Japon aux États-Unis en passant par la sphère européenne. En 2007 est créé Samandal, collectif libanais qui sert de modèle à tous les autres, TokTok en Égypte, lab619 en Tunisie ou Skefkef au Maroc pour ne citer qu’eux. De nouveaux festivals de BD émergent à côté de celui de Tétouan ou d’Alger, comme le Cairo Comix, en 2015. Un réseau se construit, favorisé par Internet et porté par les revendications du printemps arabe, tandis que l’autoédition permet de publier dans un contexte compliqué et mondialisé. Les femmes sont souvent parmi les fondatrices de ces collectifs mixtes et s’attaquent aux tabous sociaux et religieux. La Marocaine Zainab Fasiki se fait connaître par ses positions féministes ; la Libanaise Jana Traboulsi prête ses crayons pour Gaza ; Lena Merhej pour la Syrie et les réfugiés. Les réseaux sociaux servent de relais aux plateformes comme « Comic4syria » ou encore le blog « 12tours », créé par les Algériennes Rym Mokhtari et Nawel Louerrad avec Kamal Zakour pour échapper à la censure. Au Liban, le petit dernier, le Zeez collective, est un collectif dont presque tous les membres sont des femmes (Tracy Chahwan, Rawand Issa, Karen Keyrouz, Nour Hifaoui Fakhoury, Carla Habib et Omar Al Fil), qui abordent de front les problèmes politiques et sociaux. Certains fanzines comme al Shakmajiya, créé par l’ONG égyptienne Nazra en 2014, sont entièrement consacrés aux luttes féministes. En 2016, la revue Samandal contourne la censure et édite en France un numéro sur le thème de la sexualité, « Ça restera entre nous ».
Une ambition artistique et individuelle forte
Ici, l’engagement politique est toujours supporté par une ambition artistique et individuelle forte, ouvrant l’éventail d’expressions graphiques, alors que le récit autobiographique s’impose dans la lignée de Zeina Abirached. « Ces femmes qui osent parler de leur intimité sont les mêmes qui descendent manifester dans les rues et participent activement au mouvement de transformation du monde arabe. Témoins privilégiés des injustices, elles sont porteuses de grands idéaux politiques et luttent en première ligne afin de défendre leurs droits », conclut Lina Ghaibeh cocommissaire de l’exposition. De quoi inspirer sur l’autre rive, par-delà la Méditerranée.
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