Septfonds: Des cochons et des hommes

FDSEA, porcs et réaction fascisante dans le Tarn-et-Garonne (82)

paru dans lundimatin#131, le 29 janvier 2018

Notre rapport aux animaux est parfois un bon indice pour évaluer notre perception de la vie en général, celle des animaux mais également celle des hommes. Ce n’est pas avant tout au nom de la souffrance animale que nous éprouvons un profond dégoût face aux images d’abattoirs industriels : ce qui s’exprime dans ces pratiques, c’est avant tout l’exploitation effrénée de tout ce qui vit, hommes comme bestiaux – et la possibilité que des hommes, à terme, reçoivent le même traitement.

Les camps d’extermination de la Seconde Guerre mondiale l’ont prouvé. Ce qui se joue actuellement à Septfonds, petite bourgade du Tarn-et-Garonne (82), nous invite à voir les choses encore différemment : presque en lieu et place de l’ancien camp de concentration des Judes, où on été enfermés plus de 15 000 soldats espagnols anti-franquistes de 1939 à 1942, la préfecture vient d’autoriser le doublement de la taille d’un élevage de porcs industriel.

C’est donc le mouvement inverse qui se produit ici : en lieu et place du parcage des hommes avant leur transfert vers les camps d’extermination, ce sont des porcs que l’on enferme avant de les envoyer à l’abattoir. Rien de particulièrement étonnant dans cette énième manifestation du cynisme ambiant : sauf qu’en s’installant à 500 mètres du mémorial qui rend hommage aux républicains espagnols, l’exploitation agricole vient souiller la mémoire de ceux qui ont refusé le fascisme en 1936, ainsi que de tous ceux qui furent internés entre 1939 et 1946 (juifs, communistes, polonais, etc). Des lecteurs de lundimatin, qui entendent se souvenir avec dignité des combats et des abjections de l’époque et doivent faire face aux tendances fascistes actuelles, nous ont envoyé cet article qui résume les prémisses d’une lutte contre ce projet d’agrandissement.

Un projet d’extension d’élevage industriel de porcs suscite indignation et colère à Septfonds, dans le Tarn-et-Garonne. En effet, la préfecture vient d’autoriser le doublement de la taille d’une exploitation agricole qui produira annuellement 6500 porcs charcutiers… Or, celle-ci se situe à l’entrée de l’ancien camp de concentration de Judes où ont été enfermés de 1939 à 1942 16000 soldats républicains anti-franquistes réfugiés de la guerre d’Espagne, et à 500 mètres du mémorial qui leur rend hommage. Ce fut un lieu de regroupement de juifs, d’officiers polonais, de militants communistes avant qu’ils ne soient déportés dans les camps d’extermination.

Un travail d’information et d’opposition citoyenne a été entamé par les habitants qui s’opposent à ce projet : réunion publique, tractage et banderole au marché, interpellation de la préfecture. France Nature Environnement promet de faire appel en justice de l’autorisation préfectorale. De quoi mettre de sérieux bâtons dans les roues du projet ? Pas sûr, tant l’opposition locale semble isolée face à un véritable empire agro-industriel.

Car la réaction, elle aussi, s’organise. Le 8 décembre dernier à Septfonds, une dizaine d’habitant.e.s tiennent un stand et font signer une pétition contre l’extension de la porcherie. Un groupe d’hommes les invective : “Maintenant, il va falloir dégager”, arrachent la banderole, déchirent les pétitions et font voler les tracts. Ils menacent d’une gifle une conseillère municipale retraitée. “Maintenant, ce n’est que de l’intimidation, si vous recommencez ce sera pire.” Ce sont Alain Iches, président de la FDSEA du Tarn-et-Garonne et Jean-Paul Rivière, président de la Chambre d’Agriculture qui prononcent ces mots. Récemment, un maraîcher Bio opposé au projet, voisin de Mr Jean-Paul Rivière, a subi des mesures d’intimidation odieuses sur sa ferme : les jeunes arbustes d’un verger qu’il venait de planter ont été tout simplement coupés au sécateur.

Des pratiques abjectes. Comment ne pas se souvenir de Sivens, des expéditions punitives des gros bras de la FDSEA à la ferme de la Métairie Neuve qu’ils avaient saccagée en agressant deux occupantes et où ils avaient déversé du répulsif à gibier ? Du siège de la zad par des agriculteurs et des miliciens qui n’hésitaient pas à poursuivre dans les bois des jeunes femmes isolées pour les terroriser. Des coups de couteau assénés, lors d’un hommage à Rémi Fraisse en 2016, par le frère de l’adjointe au maire de Lisle-sur-Tarn Pascale Puibasset (compagne d’un maraîcher pro-barrage) à une manifestante en présence de Philippe Jougla, président de la FDSEA du Tarn ? Déjà à l’époque, il était de notoriété locale que les plus énervés et les plus aliénés de ces agriculteurs provenaient du Tarn-et-Garonne. Et comment ne pas faire de liens avec les expériences paysannes les plus réactionnaires des Chemises Vertes, fascisantes, dans les années 1930 aux Bonnets Rouges bretons ?

Ne nous trompons pas. Il existe une réelle détresse dans le monde agricole, un réel asservissement des agriculteurs aux coopératives agricoles et à l’industrie agro-alimentaire. Beaucoup d’entre eux sont piégés, enfermés dans la spirale infernale de l’endettement, de la mise aux normes, de la course à l’agrandissement. Ils sont à la fois acteurs et victimes de l’industrialisation de l’agriculture. Bien souvent à bout, au bord de la faillite ou du suicide. Par contre, les responsables syndicaux de la FDSEA et de la Chambre d’Agriculture, qui, d’un côté se font hypocritement les défenseurs de la cause paysanne tout en orchestrant de l’autre l’industrialisation de l’agriculture (donc la baisse du nombre de paysans) et en défendant les intérêts de telle ou telle corporation (céréaliers, semenciers, etc.) au détriment des autres agriculteurs – eux sont des ennemis politiques. Alain Iches et Jean-Paul Rivière sont des ennemis politiques qui n’hésitent pas à intimider et terroriser, et nous devons les traiter comme tels.

Que faire face à la terreur qu’ils essaient d’imposer ? Il n’y a pas de recette miracle, évidemment. Mais peut-être pouvons-nous esquisser quelques pistes.

En premier lieu, être solidaires de ceux qui luttent et subissent les attaques des nervis de la FDSEA, être présents en soutien, ne pas les laisser se sentir isolés. Car nous sommes tou.te.s dans le même bateau.

Ensuite, renouer avec un état d’esprit, la combativité des Paysans Travailleurs dans les années soixante-dix qui menaient des luttes foncières sur le terrain, en dehors de la cogestion syndicale. S’inspirer de l’imaginaire de la dignité rebelle des zapatistes du Chiapas où des communautés en lutte sont confrontées à des groupes para-militaires qui tuent, terrorisent avec la complicité de l’État. Ils n’abandonnent pas la lutte pour autant ! Ce n’est donc pas seulement une histoire de stratégie, de calcul et de probabilité de victoire. La dignité est une manière d’être au monde, de s’affirmer dans la lutte pour ne pas disparaître. D’ “être ouragans” et de renvoyer la prétendue civilisation à son néant.

Enfin, et très concrètement, ne pas laisser le monopole de la parole publique à nos ennemis. Nous devons les afficher publiquement, qu’ils aient honte au travail, devant leurs voisins ou pendant les repas de famille. Nous devons reprendre l’espace public, dénoncer leurs pratiques sur les marchés, sur les murs, dans les boîtes à lettres et les affaiblir politiquement. Si nous ne voulons pas laisser prospérer la réaction fascisante dans nos territoires ruraux, cette histoire est l’affaire de tou.te.s.

Un paysan du Tarn voisin


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