Justice. Le réseau social Facebook etait poursuivi, jeudi, à Paris, pour avoir censuré, en 2011, le compte d’un internaute qui avait publié l’image du célèbre tableau de Gustave Courbet.
Facebook peut-il imposer à la France sa vision de la liberté d’expression ? Et le géant américain du Net a-t-il des comptes à rendre à la justice de l’Hexagone ? Mine de rien, derrière le vernis du célèbre tableau de Gustave Courbet l’Origine du monde, ce sont de lourdes questions que va devoir trancher la quatrième chambre du tribunal de grande instance de Paris, ce jeudi après-midi.
Le réseau social fondé par Mark Zuckerberg y est poursuivi pour censure après avoir fermé le compte d’un internaute français, Frédéric Durand-Baïssas. Ce professeur des écoles parisien de 59 ans, père de trois enfants et féru d’art, avait eu le tort de publier sur son compte, en février 2011, une image du chef-d’œuvre de Courbet, qui représente le sexe et le torse d’une femme nue, allongée sur le dos. « En fait, il s’agissait d’un lien vers deux documentaires d’Arte sur l’histoire du tableau, que j’avais trouvés très intéressants. J’utilisais le réseau pour ça, à l’époque : partager mes découvertes sur des expos, des artistes de rue, écrire de petits commentaires… », raconte le passionné, à mille lieues d’imaginer, alors, que cette publication allait lui valoir une quelconque réprimande.
« J’étais choqué d’être assimilé à une sorte de pornographe »
La réplique de Facebook fut pourtant cinglante : « sans préavis ni justificatif », le compte de Frédéric Durand-Baïssas était tout simplement effacé de la carte. L’enseignant tombe des nues, mais essaie néanmoins de faire valoir son point de vue, en contactant Facebook par mail. Sans succès. Le 4 octobre 2011, il se résout donc à assigner le géant du Net en justice pour demander la réactivation de son compte, au nom de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. « Je trouvais ça extrêmement choquant d’être assimilé à une sorte de pornographe, et Courbet avec moi. C’est cette pudibonderie mal placée qui m’a révolté et poussé à aller en justice », raconte le professeur des écoles, qui ne savait pas, hier, s’il pourrait assister à l’audience.
Guère pressé de répondre de ses coups de ciseaux intempestifs, Facebook s’est lancé en 2011 dans une sorte de guérilla judiciaire, multipliant les recours contre l’instituteur, avec à chaque fois un argument massue : domiciliée en Californie, la société ne peut, d’après elle, être jugée qu’aux États-Unis. Un raisonnement cassé à deux reprises depuis par la justice française. En mars 2015, le tribunal de grande instance de Paris qualifiait d’« abusive » la clause exclusive de compétence, signée par chaque utilisateur de Facebook, qui désigne un tribunal californien comme seul habilité à trancher les litiges. Une logique confirmée en février 2016 par la cour d’appel de Paris. « Le juge a dit alors que les usagers de Facebook étaient des consommateurs comme les autres et qu’à ce titre ils devaient être protégés par la loi française », explique Me Stéphane Cottineau, l’avocat du plaignant.
Ce dernier espère que l’audience de ce jeudi permettra enfin de « parler du fond ». « Je n’en fais pas un combat cocardier, mais il s’agit quand même de savoir si Facebook peut nous imposer sa vision de la liberté d’expression. Sur ce réseau, tenir des propos racistes ou homophobes est souvent moins risqué que de montrer un bout de sein… Facebook, c’est Tartuffe ! » persifle Me Cottineau, qui appelle l’entreprise américaine à « ne pas confondre art et pornographie ». Peint en 1866, l’Origine du monde avait été commandé à l’artiste par un diplomate turc, Khalil Bey, pour garnir sa collection de tableaux érotiques. « Grâce à la grande virtuosité de Courbet, au raffinement d’une gamme colorée ambrée », cette œuvre « échappe au statut d’image pornographique », assure le musée d’Orsay, où elle est exposée depuis 1995.
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