Emmanuel Macron a-t-il choisi de se moquer des paysans ?

Un accord avec le Mercosur conduirait à une chute importante et durable des cours de la viande bovine en Europe et surtout en France. Ici, dans un abattoir à Buenos Aires. Photo : Juan mabromata/AFPUn accord avec le Mercosur conduirait à une chute importante et durable des cours de la viande bovine en Europe et surtout en France. Ici, dans un abattoir à Buenos Aires. Photo : Juan mabromata/AFP

Alors que le Commissaire européen en charge de l’agriculture annonce une nouvelle crise de surproduction laitière en Europe est-ce vraiment le moment de conclure  un accord de libre échange avec le Mercosur pour importer toujours plus de viande bovine en  France comme a  laissé entendre le président Macron lors de ses vœux au monde paysan dans le Cantal ?
A quoi peut servir de voter au printemps prochain une loi visant à partir des coûts de production pour tenter définir les prix payés aux paysans si le pays est inondé de produits importés qui provoqueront l’effondrement des cours sur le marché intérieur ?
Phil Hogan, le commissaire  européen en charge de l’agriculture a été clair le 29 janvier dernier devant les ministres européens de l’Agriculture réunis à Bruxelles. Selon lui, la croissance de la production laitière en 2017 « n’est tout simplement pas tenable dans le marché actuel ». Il a indiqué que la production laitière avait progressé de 9,1% en Irlande, de 4,9% en Pologne, de 3,9% au Royaume Uni. Il a ajouté que la hausse globale de la production européenne pour le seul mois de novembre 2017 était de 6% tandis que 380 000 tonnes de poudre de lait écrémé  résultant de la surproduction de 2015 et 2016 sont toujours stockées, ce qui ne manquera pas de pousser les transformateurs à faire baisser le prix du lait en 2018. Stéphane Travert, le ministre  français de l’Agriculture participait à cette réunion. Mais il s’est bien gardé de communiquer sur le sujet de retour à Paris.

Il y aura bientôt des ventes accrues de vaches de réforme

Un prix du lait en baisse en 2018, faute de vouloir réguler l’offre au niveau européen – comme ont permis de la faire les quotas laitiers pendant plus de 30 ans- aura plusieurs conséquences en France. Outre la baisse de revenu des éleveurs laitiers, cela débouchera aussi sur des ventes accrues de vaches de réforme afin de réduire la production laitière. Du coup, ce n’est pas le moment de signer un accord de libre échange entre l’Union  européenne et les pays du Mercosur.
Pourtant, il apparaît que la France, qui a le plus à perdre dans cette affaire, a donné son accord pour que l’offre européenne d’importation annuelle de viande bovine sud américaine soit de 99 000 tonnes à tarif douanier de 7,5% seulement au lieu des 70 000 tonnes de l’offre précédente faite par l’Europe. Et on sait que les pays du Mercosur veulent obtenir 150 000 tonnes ! Ce contingent s’ajourerait aux 67 000 tonnes sans droits de douanes accordées au Canada avec la conclusion du CETA. Du coup, un accord avec le Mercosur conduirait à une chute importante et durable des cours de la viande bovine en Europe et surtout en France dont le troupeau de bovins allaitants est de loin le plus important. Il réduirait aussi les débouchés en Europe pour les broutards nés en France, faisant baisser leur prix.
Mais un tel accord toucherait aussi le secteur de la volaille et celui de la viande de porc. Les pays du Mercosur exportent déjà beaucoup de viande en Europe depuis un précédent accord qui avait introduit des nouvelles normes, avec les  viandes « saumurées» détaxées, destinées à l’industri  agroalimentaire européenne pour les « plats préparés » et les conserves.

Ce n’est pas ainsi qu’on freinera le réchauffement climatique

Du côté des végétaux, l’accord en cours de négociation prévoit un contingent d’exportation de maïs doux sud américain détaxé pour la consommation humaine. Un tel contingent, dont le volume est aussi en cours de négociation, ne pourrait que réduire les contrats que les producteurs de maïs doux ont actuellement avec les transformateurs en France. Même les producteurs de betteraves à sucre pâtiraient de cet accord puisqu’il est prévu que l’Europe importera 120 000 tonnes par an de sucre de canne supplémentaire.
Du côté des exportations européennes, on évoque la possibilité de vendre plus de voitures  et de pièces détachées aux pays du Mercosur. Mais cela  peut se traduire ensuite par des délocalisations d’usines dans ces pays. La Commission parle aussi d’exportations possibles de produits laitiers européens, affirmant même que 350 produits de ce type bénéficiant d’une indication géographique protégées (IGP) font partie de la négociation. Cela portera sur des petits volumes, lesquels ne seront pas suffisants pour éviter la nouvelle crise laitière qui se prépare en Europe.
Dans le Figaro éco du 10 février Jyrki  Katainen, vice président finlandais de la Commission européenne déclarait à propos de cette négociation: «tous les Etats membres soutiennent le mandat de négociation de l’UE n(…) D’un côté nous devons obtenir un meilleur accès au Mercosur, en particulier pour les produits agricoles et l’industrie automobile. La France en sera le premier ou le deuxième bénéficiaire…». On peut se demander comment ?
Qui plus est, en ce début de siècle marqué par le réchauffement climatique, conclure  un accord de libre échange avec le Mercosur pour importer plus de soja sud américain pour nos vaches laitières, poulets et cochons tout en augmentant les importations de viandes sud américaines conduit au paradoxe suivant : on accélère la déforestation en Amazonie pour fournir l’Europe en tourteaux et en viandes qu’elle peut produire sur son sol. On aboutit à mettre une partie croissante de nos campagnes en friche en ruinant nos éleveurs par concurrence déloyale qui réduit notre souveraineté alimentaire en accentuant le réchauffement climatique. C’est donc cela la Politique  européenne d’Emmanuel Macron ?

 
Gérard Le Puill
Journaliste et auteur

 
 


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