Nouvel an chinois. Le dragon danse contre les préjugés

Les festivités du nouvel an chinois, ici à Paris dans le quartier Belleville, ont participé à modifier le regard sur les diasporats chinoises. Jonathan Sokoury/AFP

Les festivités du nouvel an chinois, ici à Paris dans le quartier Belleville, ont participé à modifier le regard sur les diasporats chinoises. Jonathan Sokoury/AFP

L’année du Chien s’ouvre ce vendredi. Des spectacles auront lieu sur tout le territoire. Retour sur une présence qui remonte, en France, au XIXe siècle.

Du fond de ses entrailles, le dragon protège ses enfants. Chinois, Maghrébins ou Antillais. Au cœur du quartier populaire des Olympiades, à Paris, la danse du dragon ne s’effectue pas « replié sur soi ». À la fin des années 1980, lorsque les premières fêtes du printemps (Nouvel An chinois) sont célébrées, les écoles d’arts martiaux sont peuplées de ces enfants venus du monde entier. « En France, ce sont très souvent des associations de commerçants qui favorisent les festivités.

Elles ont sans conteste modifié le regard sur les diasporas chinoises. Dans le 13e arrondissement (qui abrite la plus importante communauté asiatique d’Europe – NDLR), le défilé est devenu un événement réunissant des dizaines de milliers de personnes », relève le géographe Emmanuel Ma Mung, directeur de recherche émérite au CNRS. À l’origine de ces parades, le « Nian ». D’après la légende, cette bête féroce se terre dans les montagnes et hante les campagnes en fin d’année pour dévorer les paysans et leurs bêtes. Le démon craint toutefois la lumière et le bruit. Lanternes et pétards. Des campagnes chinoises à la dalle des Olympiades, la bête n’entrera jamais dans Paris grâce aux Teochew, ces Chinois arrivés d’Asie du Sud-Est dans les années 1970.

Le Nouvel An lunaire est devenu une institution

Avant eux, dès la fin du XIXe siècle, des colporteurs sont les premiers à faire le chemin jusqu’à la France. Venus de Chine par la Sibérie, Moscou et Berlin pour vendre des sculptures, ils sont « la première présence chinoise visible en France, précise Emmanuel Ma Mung, et déjà originaires d’une petite ville à soixante kilomètres de Wenzhou dont est en grande partie issue la minorité actuelle ». Avant la Première Guerre mondiale, les étudiants chinois, dont seront Zhou Enlai et Deng Xiaoping, futurs premier ministre et président de la République populaire, jouent un rôle important dans la construction des mouvements ouvriers. En 1916, deux ans après le déclenchement du conflit, la France part recruter en Chine une main-d’œuvre « sobre, robuste, endurante et docile », comme le stipule la note du haut commandement. Elle recrute alors près de 37 000 travailleurs contractuels, majoritairement dans la province du Shandong (nord-est), pour remplacer les hommes partis au front dans les usines d’armement, les ports, les mines, les exploitations agricoles et les forêts. Parmi eux, des paysans sans terre et sans travail, porteurs et ouvriers, majoritairement illettrés. Ceux qui ont été recrutés par la Grande-Bretagne sont chargés de creuser des tranchées, de décharger les munitions ou de récupérer les cadavres. Sans jour de repos, sauf lors des fêtes chinoises.

À la fin de la guerre, le gouvernement les renvoie. Seuls 2 000 à 3 000 de ces ressortissants restent en France « précisément du fait de la présence de ces fameux colporteurs du Zhejiang avec lesquels ils se comprennent », note Emmanuel Ma Mung. Cette communauté, qui a précédé les vagues suivantes de migration économique et politique, investit en Chine dès les années 1930. Dans le Fujian, un réseau routier est ainsi entièrement financé par ces Chinois d’outre-mer. Après la proclamation de la Chine populaire en 1949, les liens avec la diaspora, accusée de trahir la révolution, se distendent. « Il faudra attendre Deng Xiaoping qui, contrairement à Mao, a vécu à l’étranger pour que s’instaurent des mesures de libéralisation permettant de faciliter les allers-retours entre la Chine et l’étranger et de favorisation des investissements », rappelle Emmanuel Ma Mung. L’opération se révèle intéressante car, parmi les Chinois d’outre-mer, les tycoons d’Asie du Sud-Est ont essentiellement fait fortune dans l’industrie. « Les zones de développement économique recoupent les zones de migration de l’est et du sud de la Chine. Le décollage de la Chine est donc très largement dû aux investissements des Chinois d’outre-mer », insiste Emmanuel Ma Mung.

En France, les lois Pasqua, Debré puis Sarkozy sur l’immigration durcissent les conditions d’entrée et de séjour des étrangers. Plongés de force dans l’illégalité, ils sont condamnés à travailler clandestinement dans des conditions indignes. Tout est en place pour que la droite mette en cause un système opaque. Avant d’accéder au poste de directeur de la Cité de l’immigration puis de Défenseur des droits, le maire du 13e arrondissement Jacques Toubon pointait du doigt une « communauté à travers laquelle on ne voit pas ». Selon Emmanuel Ma Mung, « les médias présentaient alors des documents incroyables sur la mafia avec des sous-entendus racistes allant du non-respect des normes françaises aux chiens servis dans les restaurants ».

La droite sarkozyste louera quelques années plus tard « l’intégration » des Chinois, leur « réussite scolaire et économique », pour mieux fustiger les autres minorités. Après la mort de Zhang Chaolin à Aubervilliers en 2016, d’autres commerçants et associations se sont mis à organiser des parades du Nouvel An au-delà de la place d’Italie, du 13e arrondissement et de Belleville, toujours dans ce souci de combattre les préjugés. Le Nouvel An lunaire « a mis un peu de temps à se mettre en place. Aujourd’hui, c’est une institution et c’est quelque chose de magnifique », disait la maire de Paris, Anne Hidalgo, suggérant d’étendre la démarche au Nouvel An amazigh (berbère).

Lina Sankari, rubrique internationale

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