A l’heure où le débat public a perdu toute crédibilité, à l’heure du discrédit du personnel politique, la seule manière d’exister, c’est d’enchaîner les transgressions, quitte à plonger dans une ère de post-vérité. Les déclarations de Laurent Wauquiez, délibérée ou non, ressemblent beaucoup à la stratégie adoptée par Donald Trump, explique Christian Salmon, auteur de la Cérémonie cannibale (éditions Fayard) et de Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (La Découverte).
L’entretien de Laurent Wauquiez sur BFM TV a été suivi mardi soir par 786 000 téléspectateurs en moyenne, dont un pic à 969 000 spectateurs. Un record pour la chaîne. Le président du parti Les Républicains a refusé de s’excuser à propos de ses déclarations chocs faites lors d’un cours donné sur les « enjeux de société » à l’EM Lyon, ancienne école de management devenue l’école des « Early Makers ».
« J’assume les propos qui ont été les miens, je n’ai pas de double langage », a expliqué le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne regrette que les mots prononcés au sujet de Nicolas Sarkozy, accusé d’espionner le conseil des ministres lorsqu’il était président. Valérie Pécresse qui ne fait « que des conneries », Alain Juppé qui a « totalement cramé les caisses » à Bordeaux et les « guignols d’En Marche » apprécieront.
Que ces propos aient été sciemment prononcés ou non, ils dénotent d’une transformation profonde de la vie politique, estime Christian Salmon, membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (EHESS/CNRS). Le buzz provoqué par les outrances de Laurent Wauquiez, qui dure depuis près d’une semaine, témoigne selon lui d’une évolution du langage et de la communication politique.
Il y a le « bullshit» que Laurent Wauquiez réserve sur les plateaux TV et ses vérités en coulisse, qui s’apparentent à des outrances et des provocations. Du « trash talk », pour reprendre un autre terme anglo-saxon. Ce double discours, voire ce cynisme, sont-ils une nouveauté ?
Christian Salmon. Il faut toutefois se garder de personnaliser des phénomènes qui sont devenus systémiques. La vie politique s’est transformée en une suite de provocations et de chocs. On est passé de l’incarnation de l’homo-politicus à son exhibition, et de son exhibition à sa carnavalisation. Lorsque la parole politique et le débat public ont perdu toute crédibilité, la seule manière d’exister sur cette planète du discrédit, c’est d’enchaîner les provocations et les transgressions. Quoi de plus transgressif que de dire à des étudiants : « vous savez les dés sont pipés, l’avant scène politique c’est l’univers du mensonge, une fake « politics » et moi je vais vous dire la vérité nue, sans détours, la vérité- trash. Fake news, alternative facts et trash-talks sont les nouveaux paramètres de la scène du discrédit politique.
Beaucoup de commentateurs comparent Laurent Wauquiez à Donald Trump. Existe-t-il une filiation, un lien, entre ces deux dirigeants de la droite contemporaine, au moins dans les mots choisis ?
Christian Salmon. Wauquiez essaie de se faire une place sur le champ de ruines de la droite en singeant Trump. Donald Trump représente une sortie du politique et une chute dans le carnaval. Mais cette sortie du politique a sa logique et son monde : le carnaval trumpiste animé par une haine radicale de « Washington ». Au premier rang, le clown, le bonimenteur, capable de capter l’attention des américains de base et des exclus du système qu’il divertit et venge par ses rodomontades et ses grossièretés et ses tweets compulsifs… mais derrière lui s’activent les déconstructeurs, animés d’une passion de la dérèglementation politique et administrative. C’est toute la trame institutionnelle de l’Etat fédéral qui est détricoté, département par département, règlement après règlement. L’ancien stratège de la Maison Blanche, Steve Bannon, appelle cela avec gourmandise la «déconstruction de l’État administratif». Au milieu du scandale incessant, il est facile de perdre de vue ce que cette administration réussit parfaitement et se révèle spectaculairement disciplinée, calculatrice et efficace. « Ma vie a été bouleversée par son élection, c’est un cauchemar national », explique Carter Goodrich, l’auteur de la une du New Yorker du 30 octobre dernier qui transforme Trump en clown maléfique. « Je suis toujours aussi abasourdi maintenant qu’il y a un an, la nuit des élections. » Et il ajoute : « C’est difficile de parodier cet homme… Il marche, parle déjà comme une caricature de lui-même. » « On ne peut pas protester à chaque décision; on ne ferait plus que ça », écrit aussi l’éditorialiste Michelle Goldberg. « Après l’élection de Trump, de nombreux libéraux s’étaient engagés à ne pas « normaliser » Trump. Mais une des leçons de cette année c’est que nous ne pouvons pas décider à quoi ressemble ce qui est normal. »
Peut-on dire aujourd’hui qu’un nouveau langage politique de post-vérité est en train de voir le jour ?
Christian Salmon. La confiance dans le langage s’est effondrée comme lors d’un krach boursier, ouvrant la voie à un nouveau régime d’énonciation qui maintient tous les énoncés sur le mode de l’indécidabilité. Et Trump a bâti son succès sur ses ruines. Ce n’est pas tant que le mensonge soit devenu la norme et que la vérité soit interdite ou exclue, c’est leur indifférenciation qui est désormais la règle. Ce nouveau régime de véridiction est d’ailleurs celui là même qui a cours sur les marchés financiers, alimentés autant par la rumeur que par les faits et où le cours d’une action n’a plus rien à voir avec la performance réelle d’une entreprise. De même que les gestionnaires de portefeuille ne se soucient pas du cours des actions de la veille, le président n’avait à se soucier de ce qu’il avait tweeté le jour précédent. L’essentiel étant d’alimenter la volatilité créée par des avis imprévisibles – une volatilité qui peut être dévastatrice pour ceux dont la réputation est en jeu, mais peut être extrêmement lucrative pour ceux qui savent comment la rentabiliser.
« L’affaire Wauquiez » est-il un épiphénomène ou signifie-t-il que le débat politique est de plus en plus réduit, voire condamné, à une succession de réactions en chaîne à des phrases chocs, de « punchlines » et de révélations accessoires ? Une sorte de parapolitique où le débat devrait se résumer à l’analyse de la mise en scène du personnel politique et des « fact checking » de fausses informations ?
Christian Salmon. Vérité et mensonge. « Bulshit » et « trash talk ». Raison et Folie. Original et Parodie. Toutes ces oppositions rassurantes ont été dynamitées par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Une nouvelle ère politique caractérisée par la simulation généralisée, le paranormal et la post vérité. Wauquiez pratique ce que Trump appelle l’« hyperbole vraie », « une exagération qui est une forme efficace de promotion ». Et dans la ruche des réseaux sociaux, c’est l’« hyperbole vraie » qui règle les échanges, avec ses bulles informationnelles indépendantes les unes des autres qui créent une sorte de huis clos informationnel, propice aux rumeurs les plus folles, au complotisme et au mensonge. Trump s’adresse via Twitter et Facebook à ses petites républiques du ressentiment qu’il réussit à fédérer en une masse survoltée. Une partie de la société a fait sécession aux États Unis et s’est retourné contre le système de représentation qui est devenu une parodie de lui même. Trump est leur héros. Wauquiez aspire à ce rôle. A coups de transgressions et de provocations Wauquiez est entrain de tracer sa route sur le chemin du post politique tel que l’avait dessiné Baudrillard. Selon lui, l’hégémonie ne s’affirmait plus seulement par l’exportation des techniques, des valeurs et des idéologies, mais par l’extrapolation universelle d’une parodie de ces valeurs. Il soulignait la puissance symbolique de la dérision et de la profanation des valeurs, cette impiété totale d’un peuple qui fascine tout le monde, vulgarité phénoménale, d’un univers (politique, télévisuel) enfin ramené au degré zéro de la culture. Mais qui est aussi le secret de l’hégémonie mondiale…. Je le dis sans ironie, et avec admiration : c’est ainsi, par la simulation radicale, que l’Amérique domine le reste du monde, à qui elle sert de modèle.
Juste avant l’investiture de Donald Trump, on a demandé à Newt Gingrish, son ex-meneur de claque, ce qu’il pensait de la décision du président de conserver son poste de producteur délégué de Celebrity Aprentice. Sa réponse en dit long. Il affirme que Trump commet une erreur parce qu’il va être le producteur délégué de quelque chose qui s’appelle le gouvernement des Etats Unis. Il aura la responsabilité d’un immense show télévisé intitulé « Diriger le monde ».
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