«Sans aides, comment permettre la conversion au bio ?»

Annie Le Goff pense que la «  botte secrète   » du chef de l’État en matière de bio a toutes les chances de se résumer à du « pas grand-chose ». Thierry Pasquet/Signatures

Annie Le Goff pense que la « botte secrète » du chef de l’État en matière de bio a toutes les chances de se résumer à du « pas grand-chose ». Thierry Pasquet/Signatures
Le président de la République promet un plan pour le bio. Les acteurs de la filière observent cette « opération séduction » avec scepticisme et pointent les incohérences de ce gouvernement qui, il y a quelques mois, décidait de supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique.

En cette fin février, après des semaines de pluie, le soleil a enfin percé les nuages. Depuis quelques jours, la cinquantaine de vaches d’Annie et Jérôme Le Goff ont retrouvé les champs. Pelage d’hiver, boue séchée sur les croupes, les bêtes paissent tranquillement, loin de l’effervescence de la première ferme de France, qui s’apprête à ouvrir porte de Versailles. Et où le président de la République, confronté à la crispation d’un monde agricole secoué par des années de crises sanitaires et économiques, va tenter de redorer son blason. Au menu : les premiers arbitrages sur le plan d’investissement de 5 milliards d’euros, et le plan en faveur de la filière bio.

Dans les campagnes, les principaux intéressés observent cette opération séduction avec scepticisme. Producteurs de lait bio à Évran, dans les Côtes-d’Armor, les Le Goff ne manquent pas de pointer les « incohérences » de ce gouvernement qui, il y a quelques mois, décidait de supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique (prime versée pour consolider le nouveau modèle économique des fermes passées au bio) et promet à présent un plan de développement de la filière. « Le bio est en pleine expansion. Ce qui nous guette, c’est la tendance à son industrialisation. Cela peut mettre en danger toute la filière », analyse Annie, membre de la Confédération paysanne, tout en guidant son troupeau vers l’étable. « Attention, la confiance que les consommateurs ont dans le bio peut tomber très vite… », prévient-elle.

Annie et Jérôme Le Goff la cultive depuis longtemps. « Mes parents, raconte-t-elle, étaient agriculteurs et utilisaient des pesticides. Moi, je ne voulais pas faire comme eux. Je voulais maîtriser le produit du champ à l’assiette. » En 1994, le couple reprend donc une petite exploitation, déjà bio, située à Évran. Et pour être « le plus proche du consommateur », ils se lancent dans la production de fromage. Une passion. « On aime parler fromages. Même pendant nos vacances, on va visiter des fromageries », confie l’exploitante…

Au fil des ans, la ferme des Aulnays s’agrandit, passant de 28 à 62 hectares. Elle compte aujourd’hui, en plus des deux chefs d’exploitation, deux salariés. Avec son cheptel d’une cinquantaine de vaches laitières de type jersiaise (ces petites vaches de couleur caramel), nourries à l’herbe, le couple produit du camembert bio et deux fromages maison – le Jersy, de type brie, et la Petite Marceline, proche du saint-marcellin –, à hauteur de 20 tonnes par an. La production est essentiellement destinée aux grossistes de la région (voire d’Alsace ou d’Allemagne), mais les Le Goff vendent aussi au détail. « Nous refusons en revanche de vendre aux grandes surfaces, bien qu’elles nous sollicitent régulièrement », assume avec fierté Jérôme.

Au total, 67 % du lait est transformé en fromage, le reste part en laiterie. Bio cela va sans dire. Chez Biolait pour être plus précis. Et là aussi, les perspective sont plutôt encourageantes. « La coopérative nous achète les 1 000  litres à 430 euros, contre à peine 330 euros en conventionnel. Et, surtout, nous avons une visibilité sur plusieurs années, au moins jusqu’en 2021. En gros, les prix sont déjà négociés, ce qui permet d’assurer un prix aux producteurs. Biolait a déjà prévendu 93 % de sa production annuelle pour l’année 2018. En 2017, la coopérative a écoulé 180 millions de litres de lait. Cette année, ce sera 253 millions de litres, soit + 43 % ! C’est une laiterie où le pouvoir appartient aux producteurs ! », détaille Jérôme Le Goff, comme un pied de nez au « juste prix » vanté par Emmanuel Macron.

La bio demande plus de main-d’œuvre

À ce jour, l’exploitation des Le Goff a atteint son « régime de croisière ». Et ici, rien ne se perd, tout se valorise. Le système est basé sur la valorisation de l’herbe et l’on produit des céréales bio pour nourrir les animaux. Le petit-lait, résultat de la fabrication du fromage, sert à engraisser des cochons (bio) sur paille. Même le bocage environnant est valorisé, transformé en plaquettes de bois déchiquetées pour chauffer l’exploitation, y compris le lait destiné à fabriquer du fromage.

Désormais, les Le Goff suivent avec attention les annonces gouvernementales. « À l’époque où l’on a démarré, nous n’avions pas d’aide au maintien. En revanche, nous avons bénéficié à plusieurs reprises de l’aide à la conversion. C’était bienvenu : quand vous achetez des terres essoufflées, ces aides nous laissent le temps de leur redonner vie », précise Annie. « Cette prime permet aussi d’embaucher un salarié », renchérit Jérôme, rappelant que la bio demande plus de main-d’œuvre. « Ces aides ont peut-être été dévoyées du temps où elles n’étaient pas plafonnées, mais ce n’est plus le cas », insiste Annie.

En outre, la militante pense que la « botte secrète » du chef de l’État en matière de bio a toutes les chances de se résumer à du « pas grand-chose » : principale mesure attendue, la promesse de campagne d’augmenter le bio dans la restauration collective n’est pas mauvaise en soit. Mais comment, et avec quels moyens ? Comme le rappelle Annie Le Goff, « sans aides, il va être difficile d’assurer un rythme de conversion conséquent ».

Alexandra Chaignon, Rubrique Une planète et des hommes

En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.