Comment réduire la dépendance aux produits phytosanitaires ?

Entretiens croisés réalisés par Jérôme Skalski
Les lobbies poussent toujours les agriculteurs à consommer des produits phytosanitaires afin d’obtenir plus de rendements sur les productions. Getty Images/iStockphoto fotokostic

Les lobbies poussent toujours les agriculteurs à consommer des produits phytosanitaires afin d’obtenir plus de rendements sur les productions. Getty Images/iStockphoto fotokostic

Table ronde avec Jean-Paul Douzals, responsable de l’équipe de recherche procédés, environnement, pesticides et santé de l’UMR Itap à l’Irstea Montpellier, Luc Servant, président de la chambre d’agriculture de Charente-Maritime et membre du bureau de l’Apca et Raymond Girardi, secrétaire général du Modef.

Rappel des faits. Les substances chimiques, souvent identifiées abusivement aux « pesticides », font l’objet d’un rejet croissant de la part des citoyens. Une agriculture moderne doit pouvoir intégrer cette revendication légitime.

Les produits phytosanitaires sont régulièrement mis sur la sellette. Est-ce justifié ?

jp Douzalsfourni par luilibre de droitJean-Paul Douzals Les produits phytosanitaires sont mis sur le marché avec un protocole d’autorisation de mise sur le marché validé par les autorités. Cependant, les évolutions des pratiques et la meilleure connaissance des modes de contamination nécessitent de revoir les scénarios d’exposition des opérateurs ou de travailleurs exposés. C’est un axe de travail porté par l’unité mixte de recherche Itap du centre Irstea de Montpellier.

Luc Servant Si on se place sur un terrain juridique, on peut dire que ce n’est pas justifié puisque les produits qu’on utilise sont autorisés par différentes procédures et ont reçu une autorisation. D’un autre côté, on peut comprendre la demande de la société et des consommateurs, qui se disent que s’il est possible de produire des produits alimentaires sans produits phytosanitaires, il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Nous, en tant que producteurs agricoles, nous disons qu’il est possible de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires mais que cela entraîne des surcoûts de production du fait de la mise en œuvre d’autres techniques de production et qui ont d’autres conséquences par ailleurs, notamment pour ce qui est de l’utilisation de l’énergie, du temps de travail mais aussi de la quantité produite et de la qualité, problèmes auxquels il faut trouver des solutions.

Raymond Girardi, General Secretary of the MODEF (Defense Movement for Family Producers), a French agricultural union, poses on August 20, 2015 at a market in Paris. Each year, the MODEF organizes a market to denounce abusive margins taken by the retail industry. AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTINRaymond Girardi La France est un grand pays agricole avec de multiples productions utilisant des produits phytosanitaires. Les lobbies poussent les agriculteurs à consommer des produits phyto afin d’obtenir plus de rendements sur les productions. Le syndicat majoritaire a incité les agriculteurs à se spécialiser et à concentrer les productions, entraînant le développement de maladies et de parasites. Les produits phytosanitaires sont utilisés pour la prévention, le contrôle ou l’élimination d’organismes jugés indésirables, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux, de champignons ou de bactéries. Ils sont destinés à protéger les végétaux contre tous les organismes nuisibles et les biocides, qui sont, d’une manière large, destinés à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles. Cependant, la nocivité des produits phyto pour l’homme et son milieu soulève l’inquiétude des populations. Du fait de leur usage étendu, aussi bien en zone agricole qu’en zone non agricole, de leur caractère persistant et de la présence de résidus dans les milieux et dans l’alimentation, ces produits posent un réel problème de santé publique puisque l’ensemble de la population est susceptible d’être exposé.

Existe-t-il des alternatives à leur utilisation ?

Raymond Girardi Le Modef a su garder une ligne claire depuis sa création en 1959, il représente les petites et moyennes exploitations à taille humaine. Il est porteur d’une agriculture rémunératrice, citoyenne, solidaire, durable, responsable, respectueuse des hommes et de l’environnement. Nous mettons en avant plusieurs leviers afin de diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires, tels la mise en place d’une formation adaptée pour les futurs agricultrices et agriculteurs, la garantie de pouvoir dégager un revenu avec des prix rémunérateurs, le développement de techniques et du conseil aux agriculteurs, notamment dans le cadre de l’agriculture raisonnée.

Il est clair pour nous qu’il faut donner plus de moyens financiers pour l’agriculture biologique, revenir à des exploitations à taille humaine et plus diversifiées pour éviter la concentration qui favorise le développement des agressions extérieures de toute nature. Par ailleurs, nous militons pour faire connaître les solutions techniques existantes, développer la recherche publique pour apporter les solutions manquantes ou les solutions nouvelles nécessaires, faire accepter une baisse de la productivité avec la condition que le revenu de la famille ne soit pas diminué, ainsi qu’obtenir des distributeurs d’autres critères de commercialisation que ceux d’aujourd’hui. Autres pistes que nous faisons valoir, la réutilisation ou la création de variétés adaptées pour ce mode de production, la mise au point de variétés résistantes aux maladies et parasites et, pour le moins, l’utilisation de celles qui existent et qui parfois sont interdites par la réglementation. En un mot, la pratique d’une agriculture basée sur l’agronomie et la vie du sol.

Jean-Paul Douzals La question soulève deux problématiques : comment utiliser moins de produits et développer les alternatives à leur utilisation ? L’agriculture de précision est utilisée pour optimiser les pratiques, réduire significativement les doses utilisées en appliquant « la bonne dose au bon endroit et au bon moment ». Les capteurs optiques et méthodes de traitement pour la détection précoce des maladies cryptogamiques des plantes sont à la base de l’évaluation des besoins. Ils peuvent être utilisés avec, si nécessaire, l’intervention de drones ou de robots qui communiquent et interagissent avec les systèmes d’informations (SI) et les outils d’aide à la décision (OAD – logiciels). D’après les observations obtenues, l’agriculteur décide du moment et de la quantité de produits à appliquer. Différents outils d’aide à la décision couplés à des modèles et référentiels permettent de l’y aider. Par exemple, la méthode PoD Mildium, basée sur l’expertise, permet de réduire la fréquence de traitement et les doses de 50 %.

L’unité mixte de recherche (UMR) travaille sur l’optimisation des pratiques de pulvérisation car elles se révèlent souvent inadaptées. Un mauvais réglage ou des conditions atmosphériques inadaptées entraînent des sur- ou sous-dosages et des risques environnementaux accrus. Dans le cadre d’Écophyto, l’Irstea a développé avec l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) un banc EvaSprayViti ; une vigne artificielle modulable qui permet une mesure objective et répétable de la qualité de pulvérisation appliquée par les différents matériels et pratiques de pulvérisation. Les perspectives de réduction des quantités à appliquer peuvent aller jusqu’à 50 % des doses actuelles pour une même efficacité. Multiprimé, ce banc d’essai ouvre la voie d’un système de labellisation et de recommandations, et en cela participe à l’amélioration de la précision des pulvérisateurs. Un nouveau banc, EoleDrift, tient compte de la dérive subie par les produits phytosanitaires sous un vent connu.

L’UMR travaille également sur les techniques d’application des produits alternatifs, l’objectif est de mettre en place des protocoles d’évaluation de la performance d’application et de nouvelles solutions d’épandage pour les produits de biocontrôle. La robotique est également une alternative intéressante. L’Irstea est leader en France en recherche en robotique agricole. Ses objectifs principaux sont l’amélioration de la navigation, la sécurité et le lien entre hommes et robots, et enfin la collaboration entre robots (flotte de petits robots). Couplés au numérique, ces robots permettent une précision déterminante dans la réduction des pesticides. L’institut est cofondateur, avec Axema (syndicat français des industriels de l’agroéquipement), de RobAgri, une association créée fin 2017 pour le développement de la robotique agricole et qui fédère 62 acteurs nationaux publics et privés.

Luc Servant C’est vraiment le rôle des chambres d’agriculture que de rechercher l’ensemble des alternatives qui existent. Il y a effectivement le plan Écophyto, grâce auquel nous accompagnons les agriculteurs dans le cadre des fermes défis avec un label défi pour voir, sur une exploitation agricole où l’on applique ces alternatives, les conséquences qui en dérivent en termes de production, de coût de revient et de résultats.

Dans certaines situations, les alternatives existent mais entraînent un surcoût. Dans d’autres situations, des alternatives n’existent pas. Dans la lutte contre certaines maladies et contre certains ravageurs, on peut mettre en œuvre toutes les techniques nécessaires pour anticiper et réduire le risque d’attaque. En revanche, quand l’attaque est présente, on est parfois dans une situation où il n’y a pas vraiment d’alternative. Donc il faut être accompagné par la recherche-innovation, qui doit mettre des moyens forts pour trouver des alternatives.

C’est vrai que l’on fait souvent le parallèle avec l’agriculture biologique en se disant qu’ils produisent sans produits phytosanitaires. Mais c’est le plus souvent avec un niveau de production qui est moindre. Bien entendu, c’est différent selon les cultures et les productions mais, globalement, il y a quand même une baisse de production et, en tout cas, une fluctuation de production qui est beaucoup plus forte, avec des années où il y a très peu de pertes et des années où il y en a de très importantes. Or, aujourd’hui, le rôle de l’agriculture est de pouvoir approvisionner tous les ans en permanence avec suffisamment de production agricole pour nourrir le monde. Donc si les alternatives existent, nous les favorisons dans la mesure où il n’y a pas de répercussions économiques pour l’agriculteur et où l’on peut quand même produire, par rapport à la mission qui nous est confiée, qui est de produire et d’alimenter tout le monde.

Quels leviers législatifs ou autres mobiliser en vue de promouvoir un progrès de l’agriculture en la matière ?

Jean-Paul Douzals Une étape prioritaire consiste à identifier et promouvoir les appareils qui permettent des applications plus précises et qui offrent donc des perspectives de réduction de dose. Une labellisation des pulvérisateurs viticoles est en cours avec l’Axema. Ensuite, si le contrôle des appareils en service est obligatoire au bout de cinq années de service, ce contrôle pourrait être étendu aux appareils plus récents afin de détecter plus rapidement d’éventuels dysfonctionnements. Par ailleurs, instaurer les missions d’aide au réglage optimisé pour le GIP Pulvés (1) permettrait de systématiser les actions volontaires des instituts techniques, des chambres d’agriculture ou du réseau des Cuma (2). L’usage de moyens d’application réduisant les impacts pour les opérateurs et l’environnement (drones ou robots) est très fortement contraint du point de vue réglementaire. Un assouplissement de la réglementation est nécessaire pour permettre une plus large diffusion de ces techniques.

Luc Servant Plutôt que de passer par la loi et le levier législatif, nous préférons engager une dynamique qui aille dans ce sens en nous donnant les moyens au niveau de la recherche, de l’innovation et du développement pour trouver les alternatives et pour accompagner les agriculteurs. L’incitation est clairement exprimée par les attentes des consommateurs et de la société. Les agriculteurs ont compris. Ce qu’ils attendent maintenant, ce sont essentiellement des réponses techniques.

Raymond Girardi Le Modef exige que la prochaine politique agricole puisse jouer un rôle essentiel afin de baisser l’usage des produits phytosanitaires. Pour cela, le syndicat des exploitants familiaux souhaite que les méthodes soient incitatives et non contraignantes comme actuellement. Il faut faire appliquer les mêmes règles du jeu sur l’ensemble de l’Union européenne au niveau de l’utilisation des produits phytosanitaires et au niveau social. L’UE doit être une protection efficace contre les importations abusives qui n’ont aucune garantie sanitaire. Elle doit garantir l’équité de la concurrence dans l’Union et pour les produits importés hors UE. Aujourd’hui, dans les faits, il n’y a pas de règles respectées. La prochaine PAC doit favoriser le maintien des exploitations familiales, limiter l’influence des lobbies sur les décideurs et obtenir une agriculture rémunératrice plutôt qu’une agriculture très productiviste sans garantie de revenu.

Il ne faut pas oublier effectivement que la mission première des agriculteurs est de nourrir les êtres humains et que la France est déficitaire sur de nombreuses productions. L’objectif pour le Modef est de couvrir les besoins alimentaires de la France en mettant en place une agriculture la plus respectueuse possible de l’environnement et des êtres vivants qui le composent.

(1) GIP Pulvés : groupement d’intérêt public pour le contrôle obligatoire des appareils d’application de produits phytosanitaires. (2) Coopératives d’utilisation de matériels agricoles en commun.

LES PHYTOS, quèsaco ?

Selon le site Internet du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le terme « pesticides » couvre deux catégories de produits : les biocides, ou désinfectants, définis comme les substances actives ou produits « destinés à détruire, à repousser ou à rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre de toute autre manière, par une action chimique ou biologique » ; les produits phytopharmaceutiques. Le terme « pesticides » est souvent entendu comme « produits phytopharmaceutiques » ou « phytos ».

La revue de presse

Le Figaro 12 octobre 2017

« L’industrie des produits phytosanitaires sera “le grand gagnant” en cas d’interdiction d’utilisation de l’herbicide glyphosate », a estimé jeudi Philippe Pinta, président de l’AGPB, le syndicat des producteurs de blé. « Le grand gagnant d’une suppression du glyphosate, ce sera les boîtes phyto », a déclaré à l’AFP M. Pinta, expliquant : « Le glyphosate, depuis vingt ans, est tombé dans le domaine public. Un litre de glyphosate de base, ça vaut 3 euros-1,50 euro. Demain, si c’est un produit nouveau, avec le brevet pendant vingt ans, on s’en prend plein la figure sur le prix. »

Libération 26 février 2018

Via la robotisation, des outils numériques ou des produits de biocontrôle, la profession agricole, parfois mise en accusation, compte bien devenir actrice d’une réduction de l’usage des pesticides, tout en rappelant que le zéro phytosanitaire « n’est pas possible ». « Dire qu’on est addict aux phytos est blessant », a déclaré lundi la présidente de la FNSEA, premier syndicat agricole français, lors d’une conférence de presse au Salon de l’agriculture à Paris.


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.