En 2012, il faisait la campagne de Jean-Luc Mélenchon et soutenait Chavez. Par glissements, il applaudit Zemmour, Ménard, et mène à présent la formation FN de Sciences-Po, qui vient d’être reconnue.
Sur une vidéo postée sur Twitter ce week-end, en plein congrès du FN, on entend Davy Rodriguez, numéro 2 du Front national de la jeunesse et assistant parlementaire de Marine Le Pen et Sébastien Chenu, proférer une insulte raciste, « espèce de sale nègre ».
Selon BuzzFeed, elle vise le vigile d’un bar à Lille (Nord). Davy Rodriguez nie les faits mais il a été suspendu. En octobre 2015, Rue89 avait remonté la timeline de son compte Facebook public. (De nos archives) Pour devenir une association de Sciences-Po, le FN doit recueillir 120 suffrages sur plus de 10 000 étudiants, en quatre jours de vote. Dès le premier jour, ce jeudi en milieu de journée, il a déjà obtenu le nombre de voix nécessaire.
Les cinq jeunes frontistes de l’école, qu’on a vus partout début septembre, même au « Grand Journal », ont réussi leur pari. L’un d’entre eux, Davy Rodriguez, a un profil plus intéressant que les autres. Il a participé à la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012.
Sa page Facebook, qui est publique, est consacrée à la politique. En remontant sa « timeline », de 2012 à aujourd’hui, il est possible de suivre sa lente évolution idéologique. Et de comprendre (un peu) ce qui l’a mené de l’extrême gauche au Front national.
« I ♥ communism »
Avril 2012, à quelques jours de l’élection présidentielle. Davy Rodriguez poste une photo d’une réunion de campagne du Front de Gauche. Il est à la tribune, avec sa chemise et sa petite bouteille d’eau. Il fait partie de l’équipe. Dans les commentaires, il se montre optimiste et répond ainsi à un ami d’une autre sensibilité :
« S’il passe au second tour, tu seras obligé de voter pour Méluche. »
Hiver 2012, il poste un montage Photoshop. On y voit Marx, Engels, Jaurès et Mélenchon sur un fond rouge (au lieu de Lénine et Staline). Quelques mois plus tard, il publie une photo d’Hugo Chavez, autre homme admiré. Légende :
« Le représentant de la résistance à l’oppression sur tous les continents et dans tous les cœurs. »
En avril 2013, il appelle tous ses amis à participer à la marche pour la VIe République, parce qu’il y en a « marre des pourris ». Dans les commentaires, un ami lui rappelle le slogan historique du Front national, « Tête haute, mains propres ». Il répond :
« Tu parles du conseiller de Marine Le Pen ? Ou de la mairie de Vitrolles ? Ou même celles de Toulon et Orange ? »
A cette époque, Davy Rodriguez est très anti-FN. Il publie un article de Mediapart sur le compte suisse de Jean-Marie Le Pen et un autre qui raconte les « fréquentations douteuses » de Marion Maréchal-Le Pen.
Au cours du printemps 2013, il se nourrit des interventions de François Delapierre, Eva Joly et Maxime Gremetz. Il les aime (son amour pour Alexis Tsipras se déclarera plus tard).
Il explique vouloir mettre fin à la « personnalisation » de la politique. Il vomit l’austérité et « l’impérialisme yankee » (et Tafta, l’accord de libre-échange en négociation entre l’Europe et les Etats-Unis) – sur ces sujets, le Front de gauche et le FN se rejoignent. L’étudiant publie une vidéo intitulée « Vague de nostalgie pour l’ancienne RDA » avec ce commentaire :
« I ♥ communism. »
« Fuck les religieux mégalos »
Au moment de la promulgation de la loi Taubira, qu’il défend, Davy Rodriguez s’en prend beaucoup au Front national.
Il relaye une note de blog de Caroline Fourest sur les « homophobes » qui l’ont insultée à Nantes. En commentaire d’une intervention de Marion Maréchal-Le Pen à l’Assemblée à propos du « mariage pour tous » :
« Jeune fille en détresse souffrant d’une diction digne de Jean-Pierre [sic] Belmondo après son accident vasculaire cherche désespérément une/un orthophoniste pour l’aider. Homosexuel.le.s s’abstenir ! Votre très dévouée Poujadiste, Marion. M Le Pen. »
Davy Rodriguez balance une vidéo de Youssoupha, le clip officiel de « Espérance de vie », avec cette citation en exergue :
« Fuck les religieux mégalos, je préfère un athée qui se comporte comme un croyant qu’un croyant qui se comporte comme un salaud. »
A cette époque, il se moque aussi de la chute dans la piscine de la présidente du FN :
« J’aimerais incarner le peuple, j’aimerais incarner le peuple. Mais j’ai une piscine, la ligue la ligue. Mais j’ai une piscine, la ligue à Marine. »
Il aime les Femen et il se réjouit d’avoir trouvé « sept ouvrages de Jean Jaurès annotés par Soboul ».
LA FRANCE !
Ce printemps là, Davy déclare un intérêt pour Eric Zemmour (intérêt qui ne cessera de s’affirmer) en postant l’une de ses chroniques sur l’euro. Et un ami se moque aussi de son patriotisme, à l’occasion d’un post sur le festival interceltique de Lorient :
« Parce que pour Davy, il n’y a ni Bretagne, ni rien d’autre. Il n’y a que la France ! LA FRANCE ! Et en dessous ? RIEN ! »
Début juin 2013, l’étudiant poste une pétition de Change « pour soutenir les gens du voyage qui se font virer sans même respecter les gosses et les malades dans les aires ». Plus tard, il écrira :
« Quand je vois cette raclure de Chevènement qui trouve l’expulsion de Leonarda normale qui cite Jaurès, ça me donne envie de vomir. »
Le jour de la mort de Clément Méric, l’étudiant écrit sur son mur « FILS DE PUTES DE FACHOS », avant de relayer un communiqué du groupe antifascite Paris-Banlieue.
Il poste la chanson « Les Anarchistes » de Léo Ferré.
Fin juin, il qualifie Edwy Plenel de « seul journaliste encore potable (OK j’exagère un peu) » et il poste une vidéo d’une chanson de Kerry James :
« On ne s’intègre pas dans le rejet/ On ne s’intègre pas dans les ghettos français, parqués / entre immigrés, faut être sensés. »
Août 2013. Emmanuel Zemmour, président de l’Unef, pense que le port du voile à l’université est minoritaire et que les catholiques posent plus de problèmes de laïcité au sein de l’enseignement supérieur. Davy Rodriguez dit qu’il s’agit d’une « belle interview » et il commente :
« Moi, j’ai jamais eu de problème de femmes voilées au lycée, par contre, j’ai eu des mecs qui refusaient les théories de l’évolution parce que soi-disant Dieu, blablabla. »
« On fête la victoire de l’Algérie »
Rentrée 2013. Davy Rodriguez a visiblement la même position que le FN (et la Russie) sur le conflit syrien. Pro-Bachar el-Assad.
« Moi, pour l’instant, je ne connais qu’un seul camp qui ait utilisé du gaz sarin dans le conflit syrien. Et c’est bien « L’Armée syrienne libre » (ASL), soi-disant des « rebelles ». »
Et en novembre 2013, pour la première fois, il s’indigne contre le « communautarisme » à l’occasion du match France-Algérie :
« A Villepinte, on fête la victoire de l’Algérie en foutant le feu au bus. J’aimerais bien que cesse ce communautarisme imbécile, que ces gens aiment la France au point de d’abord fêter notre victoire et qu’on incarcère ces délinquants pour un bon petit moment. »
Puis :
« Ce ne sont pas des Algériens qui manifestent pour la victoire de l’Algérie : mais des Français. Dans ces manifestations, je te défie de trouver un Algérien de nationalité. Non, ce n’est pas un problème de délinquance ordinaire. C’est un problème, donc, d’assimilation républicaine. »
Dans les commentaires, on lit le premier coup de gueule de N., élue socialiste et personnage récurrent de sa timeline :
« Nan mais alors toi t’es mort dans le film avec ton statut ! Moi je suis de nationalité algérienne et je suis heureuse ! Et ça te gêne parce que je ne fête pas autant la victoire de la France ? ? »
Au fur et à mesure, cette préoccupation identitaire sera de plus en plus présente sur sa page.
« Retourne au château de Montretout »
Début 2014, Davy Rodriguez adore encore deux chroniques d’Eric Zemmour, l’une sur Dieudonné, l’autre (pro-russe) sur l’Ukraine.
Il entretient une relation ambiguë avec le FN. Il dit en janvier :
« Merci l’Union européenne de détruire notre santé ! Mais bien sûr, si l’on proteste contre l’Union européenne, on est FORCEMENT comme le FN. Faut pas du tout se poser de questions, hein. »
Et deux mois plus tard :
« Bravo aux ouvriers de cette usine qui savent où se trouvent leurs intérêts de classe. Le FN n’a rien à faire dans les usines ouvrières, qu’il retourne au château de Montretout de Mme Le Pen. Vive les ouvriers conscients. »
« La crispation identitaire »
Mai 2014, il se met à victimiser le FN, tout le monde les embête…
A propos du maire FN de Villers-Cotterêts qui refuse de fêter l’abolition de l’esclavage dans sa ville :
« Flash info : la non-commémoration de l’abolition de l’esclavage fait augmenter le chômage de trois points. Ah, en fait non. On s’en fout alors, non ? »
Puis :
« Que [François Hollande] ne cherche pas des boucs émissaires de son inefficacité et de son inaction en dehors de son gouvernement ou de son parti, encore moins au FN qui n’a jamais gouverné en France. Je ne suis pas d’accord avec leur programme, pour autant, ils ne sont ni responsables, ni coupables. »
Et juin 2014, son approche de la question rom semble avoir changé :
« Avec le lynchage quasi à mort de ce pauvre Rom de 16 ans, le système a réussi à dresser les pauvres contre les pauvres. Il faudra intégrer à notre système de pensée que l’économie ne fait pas tout. La crispation identitaire qu’il peut exister parfois est supérieure en violence à la domination économique. »
Ménard, initiative pleine de bon sens
Juillet 2014, Robert Ménard est maire de Béziers depuis trois mois. Davy dresse un bilan mitigé :
« Une initiative pleine de bon sens. Les mineurs n’ont rien à faire dehors le soir tard. Pour autant, rien n’excuse les mesures scandaleuses prises par Ménard quant aux enfants de chômeurs et les activités périscolaires. »
Il a complètement changé d’avis sur les Femen (comme beaucoup de gens) :
« La moitié en prison pour dégradation de Notre-Dame et l’autre moitié, on peut les renvoyer dans le pays du milliardaire Soros ? »
En octobre 2014, à l’occasion d’un fait divers, il dit aussi tout autre chose sur le voile :
« Encore une fois, ce sont les non-dits, la timidité d’une société dont les individus ne savent pas se définir collectivement et l’absence de débat qui créent ce malaise. »
Sur les questions sociétales, l’étudiant se crispe aussi. Il était pour le « mariage pour tous ». Il est contre la GPA et il parle en ces termes de l’avortement :
« Je n’ai pas dit qu’il y avait plus d’avortements qu’avant. Ni moins d’ailleurs. C’est tout le problème, il n’y a pas eu réduction. »
Pour un débat sur l’identité nationale
Décembre 2014, il partage un article de Causeur sur le problème d’assimilation à Créteil. N., l’élue de gauche, est lassée :
« J’ai pris le temps de lire l’article… Je me demande comment on peut écrire : “Une ville où le référent français a disparu pour laisser s’épanouir 1 000 nationalismes exotiques”… Bref. »
L’étudiant partage un extrait de « L’Identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut. Après l’attaque de Charlie Hebdo, voici ses recommandations :
« Bravo aux forces de l’ordre. Pourtant, le travail n’est pas fini : il nous faut tirer les leçons de cet événement. Pour empêcher l’islamisme de se propager, plusieurs solutions : […] en finir avec la censure de ceux qui sonnent l’alerte ; […] imposer la République, qui n’est pas un régime neutre, dans tous les quartiers, tous les lieux de culte… Partout sur le territoire national. »
Quelques jours plus tard, il dit qu’il est temps d’organiser un « vrai débat sur l’identité nationale et les valeurs de la République ».
« Je t’assure qu’à force, tu gonfles… »
Fin janvier 2015, Davy Rodriguez poste un article du Figaro, « Quand des salafistes offrent le Coran en plein Paris ». Il demande qu’un « ménage » soit fait. N., l’élue socialiste, n’en peut plus :
« La laïcité n’est pas l’absence de religion. Mais sérieux, Davy Rodriguez De Oliveira, tu manques cruellement d’objectivité, ce n’est pas la première fois que tu prends en grippe l’islam. Puisque tu m’as invitée à boire un café républicain, moi je t’invite à venir discuter avec des représentants de la communauté, qu’en dis-tu ? Au moins, tu pourras un peu mieux maîtriser des concepts et mots que tu uses à mauvais escient. Et là, je suis polie… Mais je t’assure qu’à force, tu gonfles… »
En mars 2015, devant « Des paroles et des actes » :
« Macron se défend bien, mais Philippot est définitivement au-dessus avec un discours cohérent, social et patriote. »
Et deux jours plus tard, le rappeur Youssoupha réapparaît sur sa timeline, mais pour être moqué cette fois-ci :
« Sciences-Po, cette école où l’on refuse de donner un bon amphi à Jean-Luc Mélenchon, où l’on refuse qu’Eric Zemmour vienne faire une intervention.. Mais où l’on donne l’amphi symbolique à Youssoupha pour dire, par exemple : “Les médias expliquent le vote FN comme un vote contestataire, comme un message que les gens essaient de faire passer. Mais non : ils sont racistes. Ils n’envoient pas de message. S’ils veulent le faire, qu’ils envoient un texto, frère.” Bientôt, un cours d’économie dispensé par Arthur, un cours de droit fiscal donné par Gad Elmaleh et un cours de droit public par Dieudonné. »
« On a vu pire comme élément nazi »
Au printemps 2015, la conversion a eu lieu. Selon Davy Rodriguez, le FN n’a plus vraiment de racines nazies :
« Si tu suis bien l’histoire du FN, JMLP [Jean-Marie Le Pen, ndlr] a très vite renié Ordre Nouveau pour l’identité du FN. JMLP était le directeur de campagne de Vignancourt… On a vu pire comme élément nazi. »
Il a honte d’avoir voté Mélenchon en 2012. Et il trouve que Jacques Sapir est « visionnaire » et « courageux » de prôner une alliance avec le FN.
En septembre, l’étudiant poste une photo de son équipe FN en train de tracter « contre l’obscurantisme religieux » à Saint-Ouen-l’Aumône, à l’occasion du salon de la femme musulmane.
N., l’élue socialiste de sa ville, attaque :
« Je dirais plutôt que vous étiez là pour désinformer les habitants, diviser et répandre vos propos nauséabonds… »
« Dire qu’on ne défend pas les femmes… »
Ce mercredi, Davy Rodriguez a posté un communiqué du FN Val-d’Oise dans lequel Jean-Michel Dubois, secrétaire départemental, s’oppose à « l’accueil de clandestins » et à la « déferlante migratoire ».
Ce jeudi matin, il a appelé ses amis à voter pour le FN Sciences-Po. Dans les commentaires, des amis lui disent qu’il se trompe. L’un d’eux :
« Ce n’est pas ton parti qui dit défendre les femmes et les travailleurs mais n’a pas voté une seule fois en ce sens dans les différentes instances nationales et internationales où il est représenté ? Pitié Davy, non seulement tu n’es pas capable de me dire ce que vous faites à Sciences-Po si ce n’est du coup de com’ permanent, mais en plus tu essaies de nous convaincre de la noblesse de ton parti dont les personnalités tombent quand même beaucoup plus souvent sous le coup de la loi pour des questions de corruption et propos injurieux que le mien… »
Davy Rodriguez lui répond :
« La semaine dernière, on a distribué des tracts pour lutter contre le salon de la femme musulmane. C’est gonflé de dire que l’on ne défend pas la femme. »
Making of
La page Facebook de Davy Rodriguez, l’un des meneurs très médiatisés du FN à Science Po, est publique et très active. A Rue89, nous avons pris le parti de traiter cette page Facebook comme un document. Une matière exploitable en soi.
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