Objet de controverse, le projet d’enfouissement de déchets radioactifs Cigéo de Bure est devenu source de tensions. Pour calmer le jeu, le gouvernement promet d’engager un débat public en septembre. Retour sur les questions posées.
Que faire des déchets hautement radioactifs ? Voilà le défi que tente de relever la France avec son projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Non sans controverse. Questionné, critiqué, remis en cause… Cigéo – c’est son nom – ne fait pas l’unanimité. La semaine dernière, Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique, a confirmé qu’un débat public national sera organisé sur le sujet entre septembre et décembre prochain. L’Humanité revient sur les questions posées.
1 Bure, un géant aux pieds d’argile ?
Stocker les déchets nucléaires ? L’idée n’est pas nouvelle. Plusieurs systèmes ont d’ores et déjà été testés à travers le monde : dans le granit, le sel, l’argile. Le granit a le gros inconvénient de se fracturer et d’être très hétérogène ; le sel, lui, est corrosif pour les matériaux de coffrage et peut être dissous facilement par l’arrivée d’eau. Le stockage en profondeur (– 500 mètres) dans les argilites du callovo-oxfordien apparaît à ce jour comme la moins mauvaise solution. C’est ce qui est envisagé à Bure, non sans soulever de critiques scientifiques.
Pour Bernard Laponche, physicien nucléaire et membre de l’association Global Chance, « les risques d’incendie, d’explosion ou encore d’infiltration d’eau sont réels et connus depuis le départ ». Certes, admet-il, l’argile révèle des capacités à retenir la radioactivité intéressantes. Mais le stockage en profondeur sur plusieurs milliers d’années – c’est ce que prévoit Cigéo – implique que tout fonctionne parfaitement tout au long de cette période. « Si, par exemple, un problème de ventilation devait survenir, la réaction pourrait créer de l’hydrogène, qui est un gaz inflammable. Au bout d’une semaine, sans réparation, cela peut exploser. »
La question des alvéoles où seront entreposés les déchets nucléaires est également posée : « Ne vont-elles pas bouger au cours des siècles ? En cas d’accident, on sait que ce n’est pas en quelques heures que l’on pourra les déplacer. »
Une argumentation réfutée point par point par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), chargée de piloter le projet. « Cigéo a été réfléchi entre autres par les géologues, explique Frédéric Plas, son directeur scientifique. Le Bassin parisien, où se trouve Bure, est connu pour ses caractéristiques stables depuis des milliers d’années. Les risques sismiques y sont très faibles. » La géologie permet d’avoir une estimation de l’évolution de la terre sur de très longues périodes, poursuit-il, assurant que l’Andra s’est attachée à envisager tous les risques. « Nous avons pu étudier le rôle de ces couches argileuses face à la radioactivité grâce au phénomène du réacteur nucléaire naturel d’Oklo, au Gabon (phénomène découvert en 1972 par le laboratoire de l’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte). Il est entouré d’une argile qui a confiné la radioactivité depuis des lustres. Nous avons aussi travaillé en labo sur des carottages d’argile. Nous avons, enfin, imaginé que des forages soient effectués à cet endroit dans des centaines d’années. Même si nous savons qu’il n’y a ni géothermie exceptionnelle, ni nappe d’eau, nous avons voulu en connaître les impacts. Et l’on sait qu’aucun TGV d’eau contaminée ne remontera à la surface. »
2 y a-t-il d’autres alternatives ?
Ce débat est ouvert depuis les prémices du projet. « Cela a nourri de très nombreux débats scientifiques, rappelle Frédéric Plas. Du plus farfelu au plus sérieux. » Ainsi, l’idée d’envoyer ces déchets en direction du Soleil, ou encore de les enfoncer dans la zone de subduction du manteau terrestre, « infaisable techniquement », explique encore le directeur scientifique de l’Andra. D’autres solutions plus sérieuses ont vu le jour. Entre autres, celle dite de la séparation-transmutation. Frédéric Plas, tout comme Bernard Laponche, sont d’accord sur ce point : cette technique, qui consiste à faire bombarder des noyaux radioactifs par des neutrons, lesquels noyaux se cassent et perdent de leur radioactivité, existe en laboratoire. Le problème est que l’opération n’a pas été réalisée ailleurs et implique, en outre, de séparer complètement tous les déchets.
Dès lors, la phase industrielle paraît pour l’instant bien compliquée et coûteuse. « Mais la science du nucléaire n’a qu’une centaine d’années », argumente Bernard Laponche. « Elle peut encore faire beaucoup de progrès, poursuit le physicien nucléaire. Ce que je reproche à Cigéo, c’est d’aller trop vite. Pourquoi ne pas avoir commencé sur un plus petit projet, afin de se faire une idée précise des caractéristiques du lieu ? » Pour Frédéric Plas, la séparation-transmutation, outre le fait qu’elle ne puisse être réalisée de manière industrielle dans l’immédiat, a un défaut majeur : « Cela produit d’autres déchets. La solution est intéressante mais ne résout pas non plus le problème des déchets de longue vie et de haute activité. »
Reste enfin le stockage à sec en subsurface. Cette technique existe déjà en France, avec les verres produits à la Hague qui contiennent des produits de fission. « Il s’agit de creuser des galeries dans des collines où l’on entrepose les déchets. De nombreux instruments surveillent les possibles fuites radioactives. S’il y a le moindre problème, il est possible de les retirer à tout moment », explique Bernard Laponche, avant de s’étonner : « Cette solution a tout de suite été balayée par l’Andra, poussée en cela par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), qui prônait l’enfouissement en profondeur. Elle a pourtant été développée aux États-Unis après l’échec de son projet d’enfouissement de Yucca Mountain. Aujourd’hui les containers de ce stockage en subsurface américain sont fournis par Areva. »
3 La société ou la terre, question éthique
Est-ce à la terre ou aux sociétés de demain de gérer nos déchets nucléaires ? Voilà l’ultime question soulevée. « Le choix de l’enfouissement en couche géologique profonde est une logique d’oubli », pointe Bernard Laponche, qui plaide pour une solution permettant la réversibilité. « Cigéo ne fait pas disparaître les déchets, il les cache et impose de façon irréversible aux générations future une pollution de la croûte terrestre sur durée illimitée. » Frédéric Plas veut, quant à lui, faire confiance à la nature et à la science. « Notre projet est évolutif tout long de sa première phase (100 ans – NDLR), souligne-t-il. L’entreposage pérenne en subsurface souvent préconisé pose cette autre question : qu’est-ce qui se passe en cas de rupture sociétale ? Laisser à porter de main nos déchets, c’est dire aux générations futures : débrouillez-vous avec. Bure est une combinaison du sociétal et du scientifique. »
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