Le service public, une exigence démocratique ?

Entretiens réalisés par Anna Musso
Pour Gérard Aschieri  : « Les services publics se sont construits autour d’un certain nombre de principes, comme l’égalité, la continuité, l’adaptabilité, la laïcité.    » Richard Damoret/REA

Pour Gérard Aschieri : « Les services publics se sont construits autour d’un certain nombre de principes, comme l’égalité, la continuité, l’adaptabilité, la laïcité. » Richard Damoret/REA

Table ronde avec Nicolas Matyjasik, politologue, Sciences-Po Lille, Gérard Aschieri, professeur honoraire, représentant de la FSU au Conseil économique social et environnemental et Claudine Boisorieux, maire (DVG) de Clamecy (Nièvre).

Rappel des faits. Réformes de l’hôpital, du baccalauréat et de l’accès à l’université, casse de la SNCF par ordonnances… le gouvernement démantèle un à un les services publics, citoyens et syndicats se préparent à une forte mobilisation.

Réformes de l’hôpital, du baccalauréat, de la SNCF… comment analysez vous la politique du gouvernement en matière de service public ?

Nicolas Matyjasik On remarque une certaine urgence à agir : il faut être dans la démonstration de la modernité. Aller vite, utiliser un champ lexical qui induit la rationalisation, la transformation, allumer différents feux pour être en mouvement et insaisissable pour ses adversaires. Un engrenage de réformes, pointillistes et peu coordonnées, qui manque d’une vision globale sur ce que doivent être les services publics au XXIe siècle. Cette question de l’État, de nos services publics est pourtant essentielle car elle est au carrefour de la réflexion sur notre avenir commun. Elle conditionne ce que nous souhaitons pour le vivre-ensemble, le maillage de nos liens sociaux et de nos territoires. Depuis une soixantaine d’années, les gouvernements successifs se sont empressés de vouloir moderniser l’État, ce que montrent très bien les travaux du politiste ­Philippe Bezes (Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française), sans penser ce que devait être l’État. Avec en toile de fond, depuis les années 1980, cette fameuse saillie de Reagan : « L’État est plus le problème que la solution. » Il faut donc réduire les périmètres d’intervention, libéraliser. C’est l’ère des méthodes privées appliquées aveuglément à la sphère publique, le new public management. Les fonctionnaires sont trop souvent et depuis bien longtemps des boucs émissaires, ils sont des chiffres que l’on pourrait baisser à l’infini. Ce culte du chiffre est absurde, il faut le désacraliser. Les fonctionnaires, ce sont des femmes et des hommes engagés, ce sont des visages, ce sont les artisans de la République du quotidien. Car ce sont des métiers et des vocations qui, s’ils étaient supprimés, réduits ou transférés au privé, rendraient notre vie plus coûteuse, plus angoissante. Imaginez si nous devions payer directement, par nous-même, pour notre santé, notre sécurité, l’éducation de nos enfants ou le régime de retraite de nos parents.

PARIS - Le 14 mars 2016 - GÉRARD ASCHIÉRI - Débat des "Lundis de la Gauche", sur les primaires de gauche, au siège du PCF, avec Gérard Aschiéri, président de l'institut de recherche de la FSU, membre du CESE, Gérard Filoche, membre du bureau national du PS, Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty international France, Alain Gresh, journaliste, spécialiste du Moyen-Orient et Pierre Laurent Secrétaire national du PCF. - Photo Patrick NussbaumGérard Aschieri Les réformes sont de nature diverse, mais selon moi, elles sont sous-tendues par deux constantes : d’une part la volonté de réduire à tout prix les dépenses publiques, d’autre part la promotion de l’initiative privée et de la concurrence, y compris entre les individus, considérées a priori comme plus efficaces pour répondre aux besoins. Cela ignore ou minore délibérément ce que sont les fonctions des services publics : permettre à chacun où qu’il soit de bénéficier de l’effectivité de ses droits, droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à la mobilité, etc. ; prendre en compte le temps long, contribuer à l’aménagement du territoire et au développement durable, bref prendre en charge l’intérêt général. C’est pour cela qu’ils se sont construits autour d’un certain nombre de principes, comme l’égalité, la continuité, l’adaptabilité, la laïcité. Et s’ils ont un coût, il ne faut pas oublier ce qu’ils apportent en termes aussi bien économiques, sociaux, environnementaux que politiques : ils sont un des éléments centraux de la cohésion de la société. Certes, ces bénéfices sont difficilement évaluables, mais on ne peut les ignorer.

Claudine Boisorieux Nous constatons au niveau national et plus particulièrement au niveau rural les difficultés de fonctionnement de plus en plus grandes de nos services publics, auxquels nous sommes attachés. Cette notion recouvrant la participation de tous au service de chacun. Quel que soit le secteur, nos services ne correspondent plus aux besoins, à notre époque, à la demande de la population. Des réformes sont nécessaires. Encore faut-il ne pas précipiter les décisions et ne pas supprimer avant d’avoir trouvé les solutions de remplacement. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la santé, l’enseignement et les transports. Ces réformes, qui mettent en jeu non seulement le service public mais l’organisation de notre société, sont particulièrement complexes. Dans le domaine de la santé par exemple, chaque débat nous montre une complémentarité nécessaire mais difficile à trouver entre service public et médecine libérale.

Justement, face à sa disparition dans les territoires, que reste-t-il de l’esprit du « service public » ?

Claudine Boisorieux Fixer des seuils de fréquentation pour des installations en secteur d’isolement géographique, peu urbanisé, hors de l’influence des grands pôles donne aux habitants le sentiment d’être abandonnés et de voir diminuer de plus en plus la sécurité à laquelle ils ont droit, comme sur le reste des territoires plus urbanisés. Ceci est un constat et une solution n’est pas facile à trouver. Elle demande discussions, concertation avec les différents partenaires. Ne donnons pas le sentiment aux habitants de nos campagnes qu’ils sont abandonnés par l’État et que leur vie a moins d’importance que celle des habitants des métropoles. Dans notre territoire, où les médecins ne s’installent pas, généralistes ou spécialistes, les urgences de jour et de nuit sont le recours de notre population.

Gérard Aschieri La réduction des moyens des services publics, leur disparition d’un certain nombre de territoires mais aussi la gestion managériale qui s’y est déployée leur rendent de plus en plus difficile d’assurer efficacement ces missions dans le respect de ces principes. L’égalité de traitement est souvent mise à mal, aussi bien pour les agents que pour leurs usagers. Cela fait perdre de vue le sens de leurs missions, sape les fondements du vivre-ensemble et mine la confiance de la société. Le gouvernement est en train de faire voter une loi intitulée « Pour un État au service d’une société de confiance » : la politique qu’il mène envers les services publics va à l’encontre de cette intention affichée. Or, comme le rappelait le Cese dans un avis récent sur ce projet de loi (1), notre « pacte social (…) plonge ses racines dans les principes constitutifs des services publics et de la fonction publique qu’il s’agit de réaffirmer ».

Nicolas Matyjasik Une certaine forme de schizophrénie est palpable : les Français sont attachés à leurs services publics mais ils sont toujours défiants à l’endroit de ceux qui les délivrent. Aujourd’hui, les services publics sont notre bien commun, garants de l’intérêt général. Chaque citoyen doit se retrouver en eux et se sentir considéré. Soyons clairs : quand les services publics faiblissent, la France recule, la République perd du terrain. On le voit bien dans nos territoires, avec une montée du Front national, qui joue sur cet abandon.

En quoi est-il urgent de préserver les services publics et comment les développer ?

Gérard Aschieri Les réactions aux suppressions des services publics montrent l’attachement envers eux et les arguments avancés dans les batailles locales renvoient précisément à la conception des services publics que je viens de développer : derrière ces mobilisations, ces protestations, on perçoit la conscience qu’il existe des besoins collectifs et un intérêt général qui dépasse la somme des intérêts particuliers et que la concurrence ne permet pas d’y répondre de façon efficace. En même temps, il ne faut pas se cacher que les Français sont sensibles à l’idée de réduction des déficits publics et qu’ils ont parfois le sentiment que les services publics ne répondent pas assez bien à leurs attentes, ne prennent pas assez en compte leur situation spécifique. Les batailles à mener doivent en tenir compte : il est urgent de défendre les services publics mais aussi de débattre et d’agir pour qu’ils aient les moyens d’assurer l’ensemble de leurs missions et de s’adapter aux besoins dans leur diversité et leur évolution. Cela implique notamment d’agir pour une fiscalité juste et véritablement redistributive. Et je suis également convaincu qu’il faut en démocratiser la gestion en associant mieux les personnels et les usagers, qui doivent pouvoir faire entendre leur expérience professionnelle et leur expérience d’usage dans les décisions à prendre.

Claudine Boisorieux Je ne me crois pas capable seule de proposer une solution mais je suis convaincue de la nécessité de sauver nos campagnes. Dans un futur proche, sans doute les habitants des villes seront-ils bien heureux de pouvoir s’y réinstaller. Encore faut-il qu’ils y trouvent les écoles pour leurs enfants et les transports en commun indispensables. Arrêtons l’exclusivité des TGV, pensons aux TER et, en règle générale, équilibrons les efforts du pays sur l’ensemble de nos territoires.

Nicolas Matyjasik Il y a une urgence démocratique, celle de reconnecter les citoyens avec la chose publique. Plutôt que de s’enfermer dans des discours techniciens sur le volume de la dépense publique ou le statut des fonctionnaires, il serait préférable de créer un espace public où nous pourrions échanger, dialoguer sur l’action publique de demain, celle du XXIe siècle, la bâtir avec les citoyens. Les collaborations entre services publics et société civile se développent, il faut y être attentif. Sans pour autant que cela soit synonyme d’une diminution irréfléchie du rôle de l’État, comme cela a été le cas au Royaume-Uni avec le programme de Big Society de David Cameron. Il y a une culture nouvelle de l’interaction entre public et privé, de l’expérimentation, de l’évaluation et de l’innovation publique à construire. Se connecter davantage sur les initiatives de la société civile qui viennent compléter et améliorer les politiques publiques. La préservation de nos services publics et leur amélioration sont un enjeu essentiel. Nous devons lutter contre cette « phobie d’État », pour reprendre les mots du philosophe Michel Foucault. L’étendue des possibles est vaste, propulsée par les potentialités numériques.

(1) Avis « Avant-projet de loi pour un État au service d’une société de confiance », rapporteure Nicole Verdier-Naves, novembre 2017.
Au service de l’intérêt général

En 1911, selon les mots du juriste Léon Duguit, le service public recouvre « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par l’intervention de la force gouvernante ».

Anna Musso

 


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