Terrorisme : Combattre et assumer la complexité

Les meilleures affiches du concours sur l’égalité homme-femme/Pinterest.

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Par Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité, député au Parlement européen, vice-président du groupe de la Gauche Unitaire Européenne/Gauche Verte Nordique (GUE/NGL).

Devant le drame de Trèbes et l’altruisme héroïque et bouleversant du lieutenant-colonel de la gendarmerie Arnaud Beltrame qui a sacrifié sa vie pour en sauver une autre, la France entière se recueille, refusant de s’habituer à l’horreur même quand celle-ci vient se manifester dans la banalité du quotidien d’un supermarché d’une petite ville éloignée de la capitale. Ne pas s’habituer à l’horreur c’est d’abord communier entre citoyens, manifester sa peine comme son indignation. La réaction solidaire de tous les cultes est à cet égard une bonne chose pour le pays. C’est aussi chercher à comprendre et donc permettre de lutter contre la gangrène fanatique et ses terribles conséquences.

Pourtant, dès qu’un attentat terroriste survient pullulent les bonimenteurs qui viennent partout clamer qu’ils ont « la » solution pour éradiquer ce fléau. Et cette solution, comme à chaque fois, emprunte le sentier de la démagogie pour détériorer l’état de droit et faire progresser l’arbitraire.
La décence minimale, l’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire commande d’affronter la complexité d’une menace lourde pour notre pays et nos concitoyens mais aussi pour des dizaines de peuples au premier rang desquels les peuples du Proche et Moyen-Orient. Cette complexité devrait interdire d’affirmer qu’une seule solution, comme toujours d’ordre sécuritaire, permettrait de mettre à bas la menace terroriste.
Ces postures de facilité ne sont au fond qu’impostures. Nous voulons affronter la complexité et soulever quatre grandes questions.
Les enjeux de sécurité publique
Elles sont essentielles et premières pour garantir la sureté de tous nos concitoyens. En matière de sécurité comme en toute chose, l’efficacité est le contraire de l’agitation. Cette agitation verbale dont nous rabat les oreilles l’extrême droite et la droite en perdition.
Des progrès importants ont été réalisés pour pister et cerner les potentiels terroristes dont le nombre a cru au fur et à mesure que Daesh reculait sous les coups de la coalition. Mais enfermer tous les fichés S comme le proposent de concert M. Wauquiez et Mme le Pen, c’est court-circuiter les processus qui permettent aux forces de l’ordre et aux services de renseignements de remonter des filières et donc de nous prémunir de nouveaux attentats. C’est donc mettre en danger de nouvelles vies humaines ! La sécurité est une affaire de professionnels et de technique qu’il convient de ne pas parasiter par des polémiques stériles. La coordination entre pays européens et pays tiers a fait des progrès mais demande encore et toujours à être approfondie. Il faut enfin débloquer des moyens financiers et surtout humains pour assurer une surveillance au plus près des personnes repérées, les empêcher de nuire et remonter aux donneurs d’ordre.
La  géopolitique
Les guerres semées par les interventions militaires occidentales depuis trente ans, le chaos qui en résulte et les centaines de milliers de morts, le choc des civilisations mijoté par des cabinets noirs, est une cause essentielle de l’émergence et de la propagation du terrorisme islamiste.
La honte ne semble pas atteindre Manuel Valls qui, surenchérissant sur la droite et l’extrême droite, affirme vouloir « interdire le salafisme », alors qu’en tant que premier ministre il a fait la promotion permanente et sans nuances des pays qui le font prospérer, au premier rang desquels l’Arabie Saoudite.
Croit-il par ailleurs que c’est par une interdiction que le combat contre l’obscurantisme peut être gagné ? Faut-il abandonner en rase campagne le combat politique pour se réfugier derrière la censure d’une idéologie, aussi détestable soit-elle ? Quel précédent cela créerait-il dans un pays qui se réclame encore de la liberté ?
La France doit repenser son rapport au monde arabe, repenser la nature de ses alliances pour faire avancer les logiques de paix et non les seules logiques commerciales. Le dialogue avec les monarchies théocratiques qui inspirent et financent la mafia terroriste d’une main, et garantissent les intérêts du marché capitaliste dans sa forme la plus sauvage de l’autre, doit s’engager sur de nouvelles bases.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur les massacres de masse, au Yémen ou en Syrie, ou sur l’épuration ethnique des kurdes par la Turquie d’Erdogan que la France jugulera la menace terroriste. Au contraire, elle laisse ainsi le terreau fertiliser.
La question idéologique
Face au « choc de modernité » de ces dernières décennies s’affirment partout, en Europe comme dans le monde arabo-musulman, des réflexes réactionnaires, la négation des idées de progrès et universalistes, jusqu’aux possibilités de vivre ensemble, quel que soit son culte ou son origine, dans la liberté et l’égalité.
Face à l’échec des dirigeants nationalistes arabes corrompus et autoritaires s’affirme dans le monde arabe une idéologie politico-religieuse qui prend appui sur les pertes de repères sociaux et la pauvreté. L’atonie des mouvements sociaux, ou de l’arc en ciel progressistes souvent réduits au silence, a laissé dans de nombreux pays le champ libre à des idéologies réactionnaires qui ont justifié une forme de violence politique et sociale et qui cherche à s’immiscer dans les consciences de jeunes européens, jusque dans nos quartiers populaires.
Il faut urgemment avancer un projet politique neuf, qui ne peut reposer que sur une visée de progrès social général, en faisant la promotion partout et tous le temps des libertés individuelles et collectives, de l’égalité sociale et politique et de la possibilité d’une fraternité humaine. Il faut également remettre l’ouvrage sur le métier sur la grande et fondamentale question de la laïcité. Ce combat d’ordre idéologique ne pourra se mener qu’à la condition de prendre appui sur des progrès réels et matériels pour l’ensemble de la population. Il est en somme corrélé et conditionné par le combat social.
La question sociale
Les processus de radicalisation sont complexes mais les profils des assassins se ressemblent trop pour ne pas interroger ce terreau originel commun de la petite délinquance, du larcin et de l’usage répété de stupéfiants, quand ce n’est de son commerce, cette vie appauvrie par la subsistance quotidienne, le désert social et la relégation à partir desquels s’exacerbent les démons identitaires.
Comment une infime partie de cette vaste jeunesse française laissée à l’écart de la République et de la vie sociale peut-elle tomber avec une facilité déconcertante dans les mailles du filet djihadiste, succomber à la haine de son pays et sombrer dans l’idéologie de mort, jusqu’à mourir elle-même ? Voilà qui devrait nous interroger. Une urgence nationale devrait être décrétée pour l’égalité sociale et politique, des moyens dégagés pour l’éducation et la culture, les loisirs et le sport, le logement et l’emploi, dans les quartiers aujourd’hui laissés à l’abandon, afin de cesser de faire mentir la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Là où progresse la République sociale, pourra reculer l’obscurantisme.
C’est en affrontant chacun de ces enjeux avec patience et sérieux, en conservant nos principes et notre unité, sans céder aux sirènes hurlantes de la démagogie et de la division, que nous pourrons prétendre mener un combat sérieux contre le terrorisme.
Retenons pour finir la force de ces mots de la mère d’Arnaud Beltrame, incroyable de pudeur et de dignité, qui, à la question « comment rendre hommage à son fils ? », répond : « En étant davantage citoyen, faire le bien autour de soi, ne pas avoir peur, continuer de vivre, apprécier la vie, aimer la vie, s’émerveiller devant une fleur qui s’ouvre, devant la mer, la montagne ».
La résistance de l’esprit, la force des principes de justice et de droit construits à travers les épreuves de l’histoire, et la capacité d’émerveillement, toujours, devant la beauté du monde sont  les manifestations de tout ce qu’abjurent les assassins et sûrement les armes les plus puissantes pour les réduire au silence.

Patrick Le Hyaric

Directeur de l’Humanité

 


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