À Miramas, les cheminots de la gare de triage du Sud-Est ont pu constater depuis 2006 les effets de la libéralisation : un non-sens économique et écologique. Ils profitent du mouvement de grève pour porter des solutions alternatives.
Rien ne prédisposait les hommes à développer une ville aux portes de la plaine steppique, aride et hostile, de la Crau. C’est pourtant là que la population de Miramas s’est fixée au rythme de l’extension du réseau ferroviaire. Les premiers baraquements ouvriers du XIXe siècle ont donné naissance à une cité cheminote à l’identité marquée. Ici, on sait que le rail est consubstantiel au développement du territoire et de l’industrie. La casse du fret ferroviaire n’a pas épargné l’immense gare de triage de Miramas. Configurée initialement pour traiter 3 000 wagons par jour, la plateforme n’en trie aujourd’hui plus que 500.
Sur tout le territoire, le rail est délaissé au profit de la route, résultat d’une politique du tout-concurrence. La libéralisation du secteur, en 2006, n’a pas permis son développement, loin de là. Ce sont pourtant les mêmes arguments qui sont aujourd’hui employés lorsqu’il s’agit de promouvoir le « nouveau pacte ferroviaire » du gouvernement.
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Entre le port de Marseille-Fos et le « triangle d’or de la chimie » qui s’étend de Berre à Martigues, on sait que l’avenir du ferroviaire n’est pas qu’une affaire de cheminots. Depuis le début du mouvement contre le projet de réforme ferroviaire, les agents du fret de Miramas sentent un soutien certain. « On a lancé une collecte qui prend bien. Certains salariés du privé nous expliquent que si les cheminots sont perdants, ils le seront tous au bout du compte, aussi bien au niveau social qu’économique. Les clients du fret sont les entreprises du territoire. C’est pour cela que nous visons une stratégie de développement plutôt que celle de déclin et de filialisation proposée par le rapport Spinetta et le gouvernement aujourd’hui », explique Robin Matta, secrétaire des cheminots CGT de Miramas.
Pas besoin, d’ailleurs, de franchir la Manche pour trouver un contre-modèle de privatisation et d’ouverture à la concurrence. « On prend souvent l’exemple de l’Angleterre, mais nous avons, ici au fret, cette expérience depuis 2006. Si cela avait marché, pourquoi le gouvernement ne prend pas l’exemple du transport de marchandises pour soutenir sa réforme ? » avance encore le syndicaliste. De fait, l’expérience a fait chou blanc et la libéralisation a eu un impact sur le travail lui-même. « Les conditions de travail se sont dégradées depuis 2006. Il n’y a plus d’évolution de carrière, les agents sont démotivés. On a du mal à trouver des conducteurs et les jeunes démissionnent de plus en plus, ce qui est nouveau », confirme Stéphane Douai, agent d’exécution. Autre conséquence : du fait de la segmentation des métiers et du cloisonnement des activités imposés par la direction de la SNCF, les cheminots ne peuvent plus aider leur collègue si celui-ci est débordé. « Il faut que je le regarde se dépêtrer seul, ce qui n’a de sens dans aucune entreprise. Je suis entré à la SNCF en 2002, je ne suis pas un vieux cheminot, mais je ne reconnais plus mon entreprise. Avant, je prenais du plaisir à aller au travail. On demande aujourd’hui aux cheminots qui avaient à cœur d’effectuer une mission de service public de se comporter comme des intérimaires de la grande distribution », regrette Stéphane Douai.
Le choix politique qui a précédé au tout-camions contrevient en tout point à la logique du Grenelle de l’environnement et de la COP21. Fabrice Tränkle, secrétaire à la communication des cheminots CGT de Miramas, pointe l’hypocrisie d’un pays où seuls « 10 % des marchandises voyagent par le chemin de fer ; où 400 gares de triage et points de desserte ont fermé en quinze ans malgré un objectif de 25 % de fret ferroviaire fixé par le Grenelle de l’environnement à l’horizon 2020. Nous savons bien que, sur les derniers kilomètres, les camions sont nécessaires. Pour le reste du transport, il s’agit d’un choix de société ». En réalité, ce choix coûte très cher aux usagers, qui financent non seulement l’entretien du réseau routier non concédé au privé, mais paient les péages pour des voies saturées par les camions.
Des territoires entiers sont menacés par la fermeture des gares de triage
Nuisances sonores, embouteillages… dans le golfe de Fos où cancers, asthme, diabète et sclérose en plaques se sont multipliés, on sait que les accidents de la route liés à la saturation du réseau sont également monnaie courante. « On parle du coût du ferroviaire, mais est-on prêt à payer un peu plus cher pour une meilleure qualité de vie ? » renchérit Fabrice Tränkle, qui souligne que le transport routier n’a pas généré d’emplois en France puisque l’immense majorité des transporteurs battent pavillon étranger. Pis, en 2008, la SNCF rachète Geodis et devient ainsi le premier transporteur routier de France, et organise en son sein la concurrence. Un non-sens pour les cheminots, alors qu’un seul train peut transporter les marchandises contenues dans 55 poids lourds de 32 tonnes. Soit 3,5 fois moins de CO2 émis. Depuis 2006, la casse du fret a lancé 1,8 million de camions supplémentaires sur les routes de France, chaque année. Dans le triangle de la chimie, une trentaine de sites sont classés Seveso 2. « Nous convoyons des matières dangereuses, nos trains sont remplis de produits chimiques comme le chlore, dont le transport est interdit sur le réseau routier. A-t-on conscience de ce que cela signifierait de les jeter sur les routes ? » interroge Fabrice Tränkle.
Depuis le début de la grève, certaines entreprises spécialisées disent craindre un impact sur leur chiffre d’affaires avoisinant le milliard d’euros. En soutien au gouvernement, le patronat explique ne pas pouvoir se relever de trois mois de grève. Selon l’Association française du rail, qui rassemble les opérateurs privés alternatifs à Fret SNCF (Colas Rail, ETF Services, Euro Cargo Rail, Getlink, ETMF, LINEAS, RegioRail, T3M…), deux jours de grève se traduiraient ainsi par une semaine d’activité perdue. Or, selon Fabrice Tränkle, « depuis la libéralisation, on a pu constater que des territoires entiers sont menacés par la fermeture des gares de triage. Lorsqu’une gare ferme, les usines sont menacées à leur tour. C’est toute la logique qu’il faut revoir. Les machines et le réseau sont vieillissants, nous sommes conscients des investissements que cela implique. C’est pour cela que nous nous battons pour rester dans la sphère publique. Ce sont des choix d’aménagement du territoire qui engagent les collectivités et l’État ».
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