Sur fond de mécontentements face à une politique injuste socialement et à un rétrécissement du débat, la recherche de ripostes et d’alternatives est à l’ordre du jour.
Avec Jacques Gaillot, Bertrand Gaufryau et Noël Mamère Citoyens d’ici et d’ailleurs Olivier Dartigolles Porte-parole du PCF Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot Sociologues, directeurs de recherche au CNRS
Pour une insurrection des consciences
par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologues, directeurs de recherche au CNRS Auteurs de Macron, entreprise de démolition, paru aux éditions de l’Atelier.
« De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous. De qui dépend qu’elle cesse ? De nous. » Bertolt Brecht. L’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée constitue un pas décisif dans la guerre de classe des plus riches contre les peuples. Le jeune banquier venu de la banque Rothschild représente désormais au sommet de l’État la synthèse des intérêts de l’oligarchie faisant fi des alternances entre la droite et la gauche libérale ou entre le public et le privé. Il signe également la fin du régime parlementaire : désormais la loi sera dictée par les lobbyistes industriels, bancaires, financiers, nationaux et internationaux. Ce sont eux qui, par la voie des ordonnances, feront la loi et inscriront dans le droit, la légalité de leurs intérêts privés. La « pensée unique » balaye toutes les fractures et transforme la violence des riches en une violence invisible, inaudible et indicible qui doit être ressentie comme une « donnée naturelle » allant de soi et donc intouchable. Les dominants parviennent à généraliser et à universaliser leurs valeurs, leurs modes de vie et leurs intérêts économiques et financiers. Mais cet arbitraire d’un droit conçu par et pour ceux qui cumulent richesses et pouvoirs doit être discret, méconnu, pour exercer son « efficacité symbolique », comme l’écrit Pierre Bourdieu, et obtenir la reconnaissance, voire la complicité des dominés. Si la mystification inaugurale de la loi présentée comme émanant de la volonté du peuple, alors qu’elle reflète avant tout celle des princes, était dévoilée, elle pourrait remettre en cause le respect des lois et le principe même de l’obéissance civique.
La domination des riches s’organise dans l’arbitraire des titres de propriété (usines, valeurs mobilières, médias, biens immobiliers, œuvres d’art…) détenus exclusivement par une seule classe sociale, celle des beaux quartiers.
Pour ceux et celles qui n’ont que leur force de travail manuelle ou intellectuelle à proposer aux propriétaires de tout poil, on peut comprendre que la tâche soit difficile bien qu’ils soient les majoritaires de la terre, ceux qui font fonctionner l’économie réelle. Pourtant ils sont incapables de mettre à bas cette oligarchie aujourd’hui mondialisée dont la prédation menace l’avenir de la planète et de l’humanité. Pourquoi cette incapacité ?
La déréglementation de la vie économique permet l’éclosion d’un cynisme individuel et collectif. C’est en affichant ouvertement son déni de la règle que le dominant prend le pas sur les dominés, eux-mêmes tentés de se replier sur un individualisme de dernier recours en abandonnant les luttes collectives. L’absence d’utopie entraîne l’aliénation de la conscience collective.
C’est à une insurrection des consciences que nous appelons en mobilisant nos travaux de recherche sur la classe dominante. La personnification des positions de pouvoir contribue à la prise de conscience du fait que le capitalisme permet à des êtres humains de voler et d’exploiter d’autres êtres humains. Un cannibalisme à abattre !
Des actions unitaires visant explicitement les prédateurs de haut vol seraient à même de faire vivre cet arbitraire des rapports de classe. Pourquoi ne pas organiser des manifestations dans les beaux quartiers et devant des immeubles symbolisant la spéculation financière et la fraude fiscale ? Renversons la violence symbolique en faisant vivre les riches sur le pied de guerre.
La riposte à la guerre sociale est un devoir citoyen ! Convergences…
Par Jacques Gaillot, Bertrand Gaufryau et Noël Mamère, Citoyens d’ici et d’ailleurs
Les derniers jours ont vu fleurir deux tribunes aux mots justes et forts. L’une, « Non à la casse du service public ferroviaire ! Pour la défense et le développement de tous les services publics ! », publiée dans l’Humanité le 3 avril, et la dernière ce 10 avril sur Franceinfo.fr, intitulée « Une sélection absurde », sur la loi ORE, dite d’orientation et de réussite des étudiants ! La première, dite tribune unitaire, n’est pas aussi anodine qu’il n’y paraît. D’aucuns diront qu’il s’agit d’une tribune de plus, de posture, d’une forme de populisme de gauche refusant les réformes qu’impose le monde dans lequel nous vivons et auquel nous devons préparer les générations futures. Depuis plus de trente ans maintenant, c’est la fin du modèle social que les politiques de droite et « dits de gauche » promettent.
Le social-libéralisme rampant, puis ayant pignon sur rue depuis quelques années et manifestement sans états d’âme depuis l’élection d’Emmanuel Macron, est à l’œuvre. Et pourtant, aujourd’hui, l’urgence sociale est plus que réelle. La « casse des services publics », vocable réservé autrefois à la gauche de la gauche, est bien une réalité, doublée d’un abandon des territoires urbains de banlieue, mais aussi des territoires ruraux touchés par une pauvreté endémique.
Oui, les mouvements qui se succèdent, ce sont des mouvements anti ! Jamais les gouvernements ne sont allés ouvertement aussi loin : antimigrants, et anti-associations d’aide aux migrants, antisyndicats et anti-dialogue social, antichômeurs et anti-Code du travail, anti-services publics, mais aussi fonction publique. Tous les signataires de cette tribune sont des résistants de ce creuset républicain protecteur des plus fragiles et plus faibles. Qu’ils soient fiers d’être des hussards de la République, ces hussards dont on réservait autrefois l’expression pour les maîtres d’école, de notre école, ce pilier intégrateur et émancipateur. La politique à l’œuvre aujourd’hui est une politique habile de « démolition sociale » et d’affaiblissement des territoires les plus fragiles déjà !
La démocratie sociale est contournée car elle est considérée comme conservatrice et les organisations syndicales comme des empêcheurs de réformes ! Les postes d’enseignants des écoles du milieu rural sont « dérobés » au profit de la réforme de l’école maternelle, qui peut s’avérer juste si les moyens réels sont attribués sans déshabiller des territoires fragiles. Les lignes de transport ferroviaire qui ont servi à désenclaver vont être supprimées au nom de la rentabilité ou de leur manque de rentabilité plus exactement.
Les chômeurs vont être davantage contrôlés, comme suspects a priori de fraude, tout comme les migrants dont le retour est programmé en écornant le devoir d’hospitalité qui a forcé le respect de notre pays dans le monde depuis toujours. Le Code du travail est devenu le drame national de ceux pour qui un acquis social est un gros mot mais aussi le symbole de tous les maux…
Les étudiants sont voués à faire l’objet d’une sélection favorisant les plus avertis et disposant de moyens culturels ou financiers pour mieux choisir les « voies de la réussite ». C’est la société de la concurrence qui veut s’emparer du pouvoir, via « la propagande antisociale » qui a envahi les médias. Heureusement, les hérauts ci-dessus, chantres de la coopération, de la démocratie sociale, sont des porte-voix pour que le progrès humain demeure notre frontière collective.
Citoyens d’ici et d’ailleurs, nous revendiquons la liberté de croire que demain peut rimer avec progrès économique, social et humain, sans casser les outils de régulation permettant aux plus fragiles de ne pas être relégués et à chacun de réussir individuellement dans le cadre du projet républicain.
Celle parue hier a vu le jour, faisant écho à la première, unitaire et plus large. Ici, plus de 400 enseignants et chercheurs, à leur tour, protestent contre un mode de sélection qui se substitue à un autre. Après celle qui avait abouti à l’absurdité du tirage au sort pour une filière mais aussi à laisser sur le bord de la route des milliers de néobacheliers par une sélection sur dossier. Le gouvernement préfère imaginer un mode de sélection au juste financement des besoins de l’enseignement supérieur, quelles que soient les modalités de formation.
Rationner le financement de l’enseignement supérieur devient l’alpha et l’oméga de la politique des services publics que met en œuvre le gouvernement. La loi d’orientation et de réussite des étudiants, dite loi ORE, n’est ni une loi d’orientation, ni de réussite. C’est la loi de la sélection par le rationnement des financements publics, une loi qui ne vise pas à élever le niveau de qualification des jeunes, mais à mettre en place une stratégie de sélection par un pseudo-examen des dossiers visant à faire des enseignants non pas des pédagogues dans l’âme, mais des chasseurs de têtes, comme l’exige la philosophie de cette loi ORE et de l’outil « politique » qui fait la part belle aux officines privées pour ceux qui ont les moyens de faire rédiger CV et lettre de motivation correspondant aux exigences de ce qu’insidieusement induit cette nouvelle pratique, fondée sur une vision concurrentielle et hypersélective de l’orientation.
Les 400 signataires de cette tribune rejoignent ceux qui se sont engagés dans la défense des services rendus au public. Qu’ils soient eux aussi remerciés pour leur mobilisation. Convergence est le mot juste qui fédère ces mouvements dont on aurait pu penser qu’ils ne soient que juxtaposés. À défaut de reprendre l’intégralité de la tribune, sa conclusion est simplement révélatrice de l’ambition de chacune et chacun des signataires.
Cette pseudo-réforme refuse le rôle millénaire dévolu à l’université : révélateur de talents, lieu où s’expérimente l’autonomie, où se développe l’esprit critique. « Pourquoi devrions-nous abandonner ce vivier et renoncer, par une sélection absurde, à donner leur chance à tous ceux qui ont le degré minimum, à savoir le baccalauréat ? La France est-elle riche à ce point de talents avérés pour que les enseignants renoncent à leur vocation première : former, éduquer et faire progresser vers les meilleurs niveaux ? »
Alors, citoyens d’ici et d’ailleurs, nous ajoutons volontiers nos noms aux signataires de ces deux tribunes !
L’exercice démocratique à tous les niveaux
Par Olivier Dartigolles, Porte-parole du PCF
L’élection d’Emmanuel Macron et de sa majorité n’est en rien le terminus de la crise politique et démocratique. On va vers de nouvelles secousses. Le paysage politique n’est pas stabilisé. L’arrogance de Macron, ses agacements répétés sont le signe d’une grande fébrilité. Deux aspects essentiels ont changé le climat au cours des derniers mois. D’abord une passion française pour l’égalité – la dignité – qui reste extrêmement forte. La politique de Macron, c’est l’inégalité, des arbitrages toujours en faveur des plus fortunés au détriment des plus modestes, des plus fragiles. Et puis la méthode autoritaire, la brutalité, le passage en force systématique apparaissent de plus en plus comme la carte d’identité du macronisme. C’est vécu de plus en plus négativement. Dans le moment présent, la première réponse est le développement des luttes avec la nécessité de déployer, partout dans le pays, auprès du plus grand nombre de personnes, un travail d’explications et de propositions. Il y a encore quelques semaines, l’Élysée et Matignon pariaient sur l’isolement des cheminots et sur une réforme ne l’obligeant pas à aller dans le dur de certains sujets : la dette, la mise en concurrence, l’avenir des petites lignes…
Comme on a pu le vérifier de manière spectaculaire lors de l’échange dimanche soir avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, et c’est aussi le cas lors des débats au Parlement, le macronisme n’aime pas la démocratie, le débat, la controverse. Ils marchent… mais, dès que leur pas est entravé, ils se retrouvent en réelle difficulté. La solution face à eux, c’est l’exercice démocratique à tous les niveaux, sur tous les sujets inscrits à l’agenda politique et social.
La seconde réponse, inscrite comme un chantier prioritaire dans la préparation du congrès extraordinaire du PCF, c’est de ne pas tomber dans le piège tendu par Macron et sa majorité : « Celles et ceux qui s’opposent à la politique actuelle seraient pour le statu quo et la conservation de l’existant. » L’urgence de transformations réelles pour un développement humain durable et les équilibres environnementaux est aujourd’hui ressentie par le plus grand nombre. Ça craque de partout. Il nous faut davantage faire le récit de la manière dont nous voulons répondre aux grands défis de la période. Dire nos possibles, nos espérances.
La question de l’unité dans les mobilisations en cours, les contre-offensives pour stopper Macron, et pour rassembler pour une politique de progrès, est convoquée dans une situation nouvelle. Qui ne ressemble à aucune autre auparavant. Tout cela se cherche, tâtonne avec un climat où cohabitent d’immenses doutes et l’envie d’y croire de nouveau. Travaillons à des processus citoyens, dans la durée, partant de questions très concrètes et se fixant comme horizon le fait d’atteindre l’objectif fixé au départ. J’en fais l’expérience à Pau dans le combat pour le logement social. Il y a eu des moments d’accélération qui donnent beaucoup d’espoir, des pauses, parfois aussi des journées noires, mais tout cela fait son chemin.
Ces trois dimensions (luttes, contenus, processus) sont des réponses déjà engagées dans le pays dans de nombreux domaines. C’est encore fragile. La question est maintenant celle d’un enracinement, d’un développement, d’un élargissement. Quelle alternative face à l’échec programmé du macronisme ? Je ne partage pas l’idée de ceux qui disent qu’un scénario à l’Italienne n’est pas envisageable en France. Le danger est réel. Ou alors une sortie par le haut, avec projet progressiste, solidaire, écologique.
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