L’enquête d’Envoyé spécial sur Les révoltés du Linky pose les questions du droit de refuser ce compteur, de leur pose imposée, du coût pour l’usager, de l’emploi chez Enedis, de la santé, des données personnelles…
Peut-on refuser de remplacer son compteur par un Linky ?
Le dispositif légal réglementant le déploiement des compteurs Linky ne prévoit pas le consentement des usagers. La seule obligation pour Enedis est d’envoyer un courrier aux abonnés (locataire des lieux ou propriétaire) concernés 45 jours avant la date du rendez-vous pour procéder au changement de compteur. Et pas question d’accepter des rendez-vous par téléphone, SMS, mail ou avant ce délai. Cela permet aussi d’être présent le jour J notamment pour celles et ceux dont le compteur est à l’extérieur.
En HLM, selon la CNL « la plupart des bailleurs sociaux facilitent le déploiement des compteurs Linky sans demander l’avis des locataires alors que bon nombre refuse. »
Ce délai de 45 jours laisse du temps à toutes personnes qui refusent de changer son compteur par un Linky de :
– prendre contact avec sa municipalité pour savoir si elle a pris une délibération contre l’installation des compteurs Linky sur son territoire ou alerter les collectifs locaux de citoyens dont les coordonnées peuvent être demandées par mail sur le site http://refus.linky.gazpar.free.fr/
– envoyer une lettre recommandée avec avis de réception à Enedis pour lui signifier un refus-individuels-ou-collectifs ça peut se faire au niveau d’une copropriété et bien-sûr de la commune,
– ne pas ouvrir sa porte aux installateurs. Ils n’ont aucun droit de rentrer chez vous en application de l’article 432-8 du code pénal qui sanctionne: « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi ».
Il faut donc observer deux points :
– la violation concerne le domicile, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, le local d’habitation, mais également ses dépendances (cave, terrasse, balcon, jardin ou cour) à condition que ces dépendances soient closes : aucune protection ne peut être reconnue à une cour ou un jardin ouvert sur l’une de ses faces, ce qui permet l’accès à tout venant ;
– si l’occupant a donné son accord, même tacitement, il n’y a pas d’infraction. Sur ce point, la jurisprudence considère qu’une porte (ou un portail) fermée à clé peut être apparentée à un refus implicite. Par extension, on peut considérer qu’une porte (ou un portail), fermée mais pas à clé pourrait être également apparentée à un refus tacite. Toutefois, rien n’est certain sur ce point, dans la mesure où la jurisprudence ne s’est pas clairement positionnée.
L’article L226-4 du code pénal y voit lui une atteinte à la vie privée.
S’expose-t-on à des sanctions en cas de refus ?
Contrairement à ce qui se dit, la loi de transition énergétique ne sanctionne pas le refus individuel de changer son compteur existant contre un Linky. Il faut le savoir même si Enedis (ex ERDF) prévoit de la contourner. La CRE (commission de régulation de l’énergie) menacerait de taxer 19 euros HT par mois le relevé manuel des compteurs à tous ceux qui refusent Linky (dont le relevé se fait à distance). Ce qui serait illégal !
De même est illégale la menace de couper l’électricité pour forcer l’implantation d’un compteur.
Enedis affirme dans ses courriers que c’est obligatoire ?
Dans le courrier qu’il envoie aux usagers, Enedis se retranche derrière les articles L341-4 et R431-4 à R431-8 du code de l’énergie pour écrire que c’est obligatoire.
Prenez le temps de les lire, rien ne dit que c’est obligatoire. D’ailleurs dans son rapport du 7 janvier 2018 la Cour des comptes rappelle que la Directive européenne n’impose les compteurs Linky que si c’est avantageux pour le consommateur. Ce qui ne semble pas le cas selon les rapporteurs de la Cour et met donc Enedis et l’Etat français en infraction avec la directive européenne.
Déjà 8 pays européens, s’appuyant sur cette directive, ont renoncé au déploiement de compteurs intelligents type Linky : Belgique, République Tchèque, Lituanie, Lettonie, Slovaquie, Portugal, Slovénie + l’Allemagne qui limite le sien à 15% des usagers (c’est également expliqué dans le rapport de la Cour des comptes téléchargeable ci-dessus pages 246-247).
Le député LFI, Bastien Lachaud a déposé, le 16 mai 2018, une propsition de loi autorisant consommateurs et maires à s’opposer à l’installation de compteurs Linky.
Il est proposé à cet effet de modifier l’article L341-4 du code de l’énergie ci-dessus afin qu’il soit clairement indiqué que « il ne peut être procédé à une installation des dispositifs prévus (compteurs Linky) sans le consentement exprès et écrit du consommateur. »
A défaut, c’est un délit d’atteinte à la vie privée tel que prévu par l’article L226-4 du code pénal.
La proposition de loi va jusqu’à autoriser les municipalités à s’opposer à l’installation de ces dispositifs, par délibération du conseil municipal.
Des parlementaires de tout bord demandent l’arrêt de la pose forcée des compteurs Linky
– Laurence Cohen groupe CRC au Sénat
– Clémentine Autain groupe FI à l’Assemblée nationale
– Patricia Mirallès groupe LRM à l’Assemblée nationale
La pose d’un compteur Linky est-elle gratuite ?
Oui de même que la dépose de l’ancien compteur ! Cependant, contrairement à ce qu’affirme Enedis, l’article R341-7 du code de l’énergie dit bien que le financement est assuré par les consommateurs via le TURPE – tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité à raison de 1 à 2 euros par mois prélevés sur les factures d’électricité… jusqu’à atteindre le coût du compteur Linky (de 130 à 240 euros prévisionnels).
Ce tarif figure sur les factures de tous les usagers comme vous pouvez le vérifier et a été augmenté de 2,71% le 1er août 2017. Explications sur la plaquette_tarifaire_janvier_2018
Au final, Enedis va se rembourser les 5,7 milliards d’euros sur les factures des consommateurs. Précisons que le montant de 5,7 milliards d’euros est un chiffre prévisionnel, à combien se montera-t-il réellement à l’issue de l’installation des 35 millions de compteurs Linky ?
C’est d’ailleurs confirmé dans le rapport de la Cour des comptes qui dit bien que le coût d’installation des compteurs Linky est « une avance faite par Enedis, remboursée par les consommateurs à partir de 2021. »
Celle-ci conclut que le programme Linky « privilégie la satisfaction des besoins du distributeur (ENEDIS) mais… les préoccupations du consommateur d’électricité (protection des données personnelles, sécurité informatique, questions sanitaires autour des ondes électromagnétiques, droit de la consommation, maîtrise de la demande d’énergie) ne semblent pas être au cœur du dispositif ».
Ondes électromagnétiques est-ce que ça craint ?
D’abord la question sanitaire et celle de la protection des données personnelles n’ont pas été suffisamment prises en comptes selon la Cour des comptes (pages 262-263 du rapport).
Les consommateurs et de nombreuses communes se posent en effet la question : Linky émet-il des ondes électromagnétiques qui vont s’ajouter à celles émises par les téléphones portables, les antennes-relais, la Wifi, les télécommandes etc. ? Le principe de précaution ne doit-il pas s’appliquer ?
L’ ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) dit qu’il n’y a pas de danger ni de risque sanitaire dans son rapport compteurs-communicants-des-risques-sanitaires-peu-probables
En gros, Linky utilise la technologie du CPL (courant porteur en ligne) et respecte les normes européennes quand au champ électromagnétique.
Cependant, l’ANSES reconnaît que ces compteurs communicants sont installés au moment où les objets connectés se multiplient ainsi que la numérisation des services et des infrastructures. Pensez qu’à un moment donné vous allez vous retrouver avec trois compteurs communicants (eau, électricité et gaz) chez-vous + tous les objets connectés ! Elle recommande donc que « le développement des objets connectés s’accompagne de normes techniques afin de ne pas exposer les personnes »… aux ondes électromagnétiques.
Alors pas de problèmes d’ondes électromagnétiques ? Pas sûr à la lecture de l’alerte du CRIIREM – Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques
Selon lui, « les mesures citées dans le dossier de l’ANSES sont incomplètes puisqu’elles n’incluent pas les champs d’induction magnétique et les champs électriques 50 hertz. ».
Et les données personnelles ?
Selon la Cour des comptes, « les compteurs Linky permettent aux consommateurs de suivre leur consommation personnelle et maîtriser leurs économies. Sauf que c’est compliqué car le compteur lui-même fournit peu d’information et Enedis non plus. Pour cela il existe la facture qui doit être détaillée mais n’est délivrée que tous les 6 mois. »
Il existe encore l’afficheur porté, gratuit pour les consommateurs en situation de précarité énergétique, facturé pour les autres (son financement se fait par la CSPE – contribution au service public de l’électricité qui ne cesse d’augmenter et d’alourdir les factures). Il existe enfin Internet qui permet de consulter son propre compte. Cependant la Cour des comptes relève qu’actuellement « le taux d’ouverture de compte par les usagers disposant d’un compteur Linky est peu élevé (1,5%). »
Et puis introduire chez les habitants, sans leur consentement, un objet connecté est illégal comme le rappelle la CNIL dans sa mise en demeure à Direct Energie
Les délibérations prises par les communes pour s’opposer au déploiement des compteurs Linky sont-elles réglos ?
Oui dans la mesure où elles n’ont pas été annulées par le Tribunal administratif et encore…
Il est donc faux de faire croire que toutes les délibérations et tous les moratoires pris par les communes ont été annulés comme rappelé ici delibs-anti-linky-pas-annulees
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut avoir bien en tête que « les ouvrages des réseaux publics de distribution appartiennent aux collectivités territoriales » – article L322-4 du code de l’énergie
ENEDIS en est le concessionnaire et le gestionnaire dont les missions sont définies à l’article L322-8 du code de l’énergie
C’est exactement ce que rappelle le rapport de la Cour des comptes (page 245).
Alors légaux ou non ces délibérations et moratoires pris par les communes ?
– « Non », selon l’AMF (association des maires de France) et la FNCCR (fédération nationale des communes concédantes de réseaux). Pour elles, « L’installation des compteurs Linky est une décision de l’État, conforme aux directives européennes. »
Egalement interpelée par de nombreux parlementaires, à l’image du député Philippe Kémel questions.assemblee-nationale ,la ministre de l’écologie s’est retranchée derrière l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2013
– « Si ils sont légaux » considèrent les élus et juristes opposés à l’installation des compteurs Linky. Parce que les communes en restent proprietaires même après en avoir transféré la compétence AOD (autorité organisatrice de la distribution d’électricité) à un Syndicat départemental d’énergie (SDE).
De toute façon ce n’est ni à l’Etat ni au préfet de juger illégales les délibérations. Seul le tribunal administratif est compétent.
Les communes peuvent télécharger le KIT JURIDIQUE mis à leur disposition à cet effet.
Qu’en est-il de l’emploi et du service public ?
Le rapport de la Cour des comptes ne cache pas que au bout du compte « Enedis va réaliser un bénéfice de 500 millions d’euros » sur le dos des usagers et « des économies d’emplois (5 000, 10 000 ?) notamment de releveurs à domicile et d’intervenants. »
D’ailleurs, il suffit de discuter avec l’agent venu relevé le compteur pour comprendre que Linky va supprimer des emplois de releveurs mais aussi d’intervenants puisque les interventions se feront à distance… et le service public qui va avec comme le souligne le communiqué de la CGT énergie
Sa conclusion : « le compteur Linky est l’outil idéal au service des fournisseurs pour développer le marché permettant la multiplication des offres commerciales. In fine, c’est donc le service public et l’emploi qui supportent pour leur compte le coût du projet. »
La CGT énergie revendique « 0 suppression d’emplois et un maintien des effectifs à 36 053 ainsi que du service public» et le fait savoir par de nombreuses actions
Actuellement, le reportage d’Envoyé spécial l’a souligné, la pose des Linky est effectuée par des salariés d’entreprises sous-traitantes. Ces salariés sont à peine formés, payés au rendement.
Rappelons que dès son lancement la CGT mines-énergie s’est opposée au compteur Linky comme elle s’explique dans son dossier Linky
Mais elle estime que « Enedis (ex ERDF) n’est pas seule responsable, c’est l’Etat qui est à l’origine de cette situation». Et précise qu’il « ne faudrait pas que cet épisode serve une nouvelle fois à dénigrer un modèle de service public qui a fait ses preuves et qui reste sur certains territoires le seul encore présent. »
Cependant aux dernières nouvelles, Enedis est devenue une entreprise comme les autres qui roule pour les intérêts de ses actionnaires et sous-traite fabrication, pose et, depuis peu, relevé des compteurs à des entreprises privées pas toujours françaises. Par exemple, cette année, Enedis a chargé Solution 30 de relever les compteurs… à la place de bon vieil agent EDF devenu Enedis. Entre parenthèses ce sous-traitant d’Enedis est basé au Luxembourg – à lire dans Capital.fr Solution-30-profite-a-plein-de-la-pose-de-ces-compteurs-Linky
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