Sur les traces de Madiba, la lutte continue

Un siècle après la naissance du premier président de l’Afrique du Sud démocratique, son combat pour une société libérée de l’oppression raciste et de classe reste d’une brûlante actualité.

Il s’appelait Nelson Rolihlahla Mandela. Son destin était princier. Il est resté, pour tous les Sud-Africains, Madiba ou Tata. Un homme d’une envergure exceptionnelle, tant par son parcours que par son comportement. Aujourd’hui, il aurait eu 100 ans. La biographie de cet homme est si connue, retracée ici et là, surtout là par ceux qui l’ont ignoré lorsqu’il était enfermé dans le sinistre bagne de Robben Island, sur une île en face de la ville du Cap, qu’il n’est peut-être pas besoin d’y revenir. Lui, qui aimait à dire : « Je ne suis pas un saint », est, d’une certaine manière, canonisé. Mandela serait ainsi la bonne conscience de l’humanité. Faire oublier combien, lors du procès de Rivonia, qui l’a vu, lui et ses camarades, condamné à la prison à vie, il était totalement absent des radars du monde libre. En France, et ce n’est pas un hasard, c’est la députée du Parti communiste français (PCF) Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée des camps nazis, qui monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour dénoncer une sentence inique, un déni de justice, une volonté de punir ceux qui se battaient pour mettre fin au régime raciste de l’apartheid, qui avait le bon goût de se trouver dans le bon camp, celui des États-Unis et de l’atlantisme. Celui de la défense d’un monde se disant « libre » et qui n’était pourtant pas gêné par l’oppression des Noirs.

Une dynamique d’une ampleur inégalée

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, suivant en cela ce qui se passait déjà en Grande-Bretagne et dans plusieurs pays du nord de l’Europe, en France, sous l’impulsion de la Rencontre nationale contre l’apartheid (RNCA), du Mouvement contre l’apartheid et, au niveau politique, du Mouvement de la jeunesse communiste et du PCF, une dynamique d’une ampleur inégalée rassemble des dizaines de milliers de personnes. C’est un combat contre l’injustice, un combat pour la dignité autour du nom de Nelson Mandela. Mais c’est surtout un combat qui dépasse l’homme et l’Afrique du Sud. Rien ni personne ne peut justifier cette répression terrible, ce déni de droit.

À la mort de Nelson Mandela, en décembre 2013, combien de bonnes consciences se sont exprimées, oubliant leur soutien larvé à l’apartheid ? Larmes de crocodiles de femmes et d’hommes politiques qui couvraient tous les militants de l’ANC et du Parti communiste sud-africain (SACP) d’une ombre sinistre. Et, comme toujours, après une phase de victoire du mouvement progressiste, il faut vite réécrire l’histoire. Fin des organisations politiques, des syndicats, des associations, des mouvements religieux qui, en Afrique du Sud même, ont forgé la victoire. La libération du joug raciste ne serait due qu’à un seul homme, pour mieux noyer le mouvement collectif. Seul problème, l’histoire des hommes, la pensée qui subsiste, l’exemple donné (même si on ne voudrait l’attribuer qu’à un seul individu) résistent aux tentatives de détournement. Si Nelson Mandela subsiste dans le cœur de tous les habitants du monde, n’est-ce pas justement parce qu’au-delà de lui-même, il incarne ces valeurs universelles de solidarité, de fraternité, d’égalité et de liberté ? N’est-ce pas parce qu’au-delà de lui-même, des centaines de milliers de personnes à travers le monde se sont retrouvées dans ce « long chemin vers la liberté », pour paraphraser le titre de son autobiographie ?

De « sang royal », Mandela a été, au début de son engagement, un défenseur convaincu de la cause des Noirs, d’une africanité oublieuse du rapport de classes et de l’ensemble des populations vivant en Afrique du Sud. Son apprentissage du droit et, certainement plus encore, la rencontre avec des Blancs progressistes, communistes, ont élargi son domaine de pensée. Peu à peu, la nécessité de la lutte pour une société non raciale, prônée depuis 1921 par le Parti communiste, s’est imposée. La lutte armée, avec la création de la branche armée du Congrès national africain (ANC), Umkhonto we Sizwe (« la lance de la nation »), s’est aussi imposée. Et si certains veulent ignorer les noms de Joe Slovo, Chris Hani, Walter Sisulu ou Govan Mbeki, ils devraient se reporter à l’engagement de ces hommes sans qui Mandela n’aurait pas été.

Cent ans après sa naissance, il reste toujours vivant

Presque anecdotique, le nombre de rues dans le monde portant le nom de Nelson Mandela dépasse, et de loin, toutes les personnalités connues. Impossible d’ignorer, donc, cet engagement, ce courage et cette bravoure. Qu’il s’agisse du choix de continuer la lutte malgré la répression du régime et ses soutiens (il a été arrêté sur la foi d’un renseignement donné par la CIA au pouvoir raciste), de sa volonté de soutenir un changement des politiques publiques face à l’épidémie du sida qui ravage l’Afrique du Sud, de son engagement auprès des enfants ou de cet acte incroyable, celui de quitter le pouvoir après cinq ans passés à la présidence du pays – exemple donné à un continent trop soumis au néocolonialisme et au népotisme –, sa vie résonne de tout ce qui agite les honnêtes consciences humaines. En cela, cent ans après sa naissance, il reste toujours vivant, en Afrique du Sud comme dans le reste du monde. Comme l’inscrit le plasticien sud-africain Bruce Clarke dont nous reproduisons un portrait de Madiba dans ces pages : « A luta continua. » La lutte continue. C’est l’enseignement majeur de la vie de Nelson Mandela. Ni dieu ni maître, en quelque sorte. De la chrysalide Mandela s’échappent encore des millions de résistances.

Pierre Barbancey

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