Les livrets des évaluations Blanquer ne sont pas encore arrivés dans toutes les écoles et encore moins dans les mains de tous les professeurs de CP ou CE1. Mais déjà ils font du bruit. La question du boycott des évaluations ou de la remontée des résultats vers le ministère est posée dans plusieurs départements. Les critiques portent sur le contenu des évaluations qui serait décalé par rapport aux pratiques de classe, inadapté aux enfants voir les pousserait à commettre des erreurs. Mais des professeurs des écoles mettent aussi en cause le protocole de ces évaluations qui dépossède l’enseignant de la correction et lui renvoie des injonctions pédagogiques. La finalité d’évaluations de chaque élève interroge aussi : s’agit-il d’évaluer les élèves ou le « mérite » des enseignants et des écoles, sachant que trois évaluations ponctuent l’année : entrée en CP, mi CP et entrée en CE1.
La promesse ambigüe d’E. Macron
Après un premier essai raté début 2017 – le ministère avait du faire marche arrière après la publication d’évaluations de CP inadaptées aux élèves – l’éducation nationale remet ça à cette rentrée en doublant les années. Les évaluations auront lieu à la fin du mois de septembre en CP et en CE1 et au milieu de l’année en CP. Des livrets sont en cours de distribution dans les écoles. Les enseignants devront en saisir les résultats dans un site national et ils auront en retour l’évaluation de chaque élève et des consignes pour leur enseignement. Chaque inspecteur aura aussi les résultats de sa circonscription.
A l’origine de ces évaluations il y a une promesse du candidat Macron. « Nous introduirons, au début de chaque année, des bilans personnalisés, de la classe de grande section à la troisième, afin que les enseignants disposent d’une base fiable et utile pour mesurer les progrès de chaque élève, et qu’ils choisissent les meilleurs outils pour un enseignement adapté aux besoins de chacun » a annoncé Macron en 2017. Mais le 2 août 2018, le premier ministre donne un autre objectif à ces évaluations en liant ces évaluations des élèves à celle des établissements.
Début septembre, le ministre lui même entretient le débat. « On déploie ces évaluations pour que les professeurs aient des outils pour mieux connaitre les élèves », affirme JM BLanquer lors de sa conférence de presse de rentrée. L’entourage ministériel annonce des évaluations de grande qualité, construites par le Depp, la Dgesco et le Conseil scientifique. On promet qu’elles viseront seulement la réussite des élèves en fournissant aux enseignants des indications sur les difficultés de chacun de leurs élèves. Le traitement des résultats enverra sur des ressources pédagogiques mises en ligne par la Dgesco. On promet également que les inspecteurs auraient seulement un tableau de leur circonscription et non une vision précise des classes et des écoles comme un traitement numérique le permet. Mais dans Le Nouvel Obs du 30 aout, le ministre lui même explique comment les évaluations seront utilisées pour évaluer le mérite des enseignants d’un établissement et piloter leur paye….
En fait tous ces éléments font débat aujourd’hui dans les écoles : les tests proposés aux élèves, jugés parfois inadaptés, et les réponses apportées par le ministère à une classe et des élèves qu’il ne connait pas. Et aussi les objectifs poursuivis par le ministère à travers ces tests promis pour chaque année. Pour un diagnostic du système éducatif pas besoin de tester tous les élèves. Un échantillon suffirait. Alors s’agit-il d’évaluer les élèves ou chaque école et chaque enseignant à travers les résultats des élèves comme le ministre l’envisage pour la prime Rep+ ?
Des contenus jugés inadaptés
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la critique est partie des enseignants les plus attachés à évaluer en début d’année leurs élèves. Ces évaluations sont d’ailleurs déjà très généralisées en CP.
Or les livrets de CP et de CE1 font l’objet de critiques particulièrement à propos des livrets de français. On relève la lourdeur de la passation avec des livrets où les enfants vont devoir se repérer. D’ailleurs » aucun exercice n’est prévu pour évaluer ce que les élèves repèrent déjà visuellement à l’entrée en CP, et pour donner aux enseignants des pistes de travail », en ce qui concerne le repérage des mots, des phrases, des types d’écrits, relève une section départementale du Snuipp.
L’évaluation n’évalue pas la compréhension, ce qui choque plusieurs enseignants que nous avons consulté. Il n’y a pas de production d’écrit sauf de l’encodage. Des enseignants critiquent l’importance donnée à la phonologie dans ces évaluations. On sait que c’est un leitmotiv du ministre. « On s’intéresse beaucoup au décodage et peu à la compréhension », nous a dit par exemple Annabelle Cattoni, une enseignante.
Les enseignants relèvent de nombreuses sources de confusion dans les exercices ou des exercices difficiles voir trompeurs. Par exemple dans l’exercice 3 du cahier 1 on demande de repérer le mot qui débute par le même phonème que le mot cible. Or 6 lignes sur 9 proposent des images de mots qui finissent par des sons identiques ce qui va attirer l’attention des élèves à tort. Dans l’exercice suivant, pour 5 lignes sur 8, le mot dit par l’enseignant peut provoquer un rapprochement spontané avec l’une des 4 images sous les yeux des élèves, ce qui est une source d’erreur. « C’est impressionnant de proposer des réponses offrant à ce point des pièges », nous a dit une enseignante responsable départementale. Dans l’exercice suivant ce sont les dessins proposés qui ne sont pas clairs par rapport à la question. On retrouve les mêmes problèmes dans le livret 2. Le livret de maths semble mieux réussi.
En CE1 , en français, on demande aux élèves de comprendre un texte où on parle de « sommeil paradoxal », de « mélatonine » et de « glande pinéale ». Ca semble un peu compliqué pour des enfants qui entrent en CE1. En maths, des exercices semblent aussi complexes.
Les enseignants « dépossédés » et jugés ?
Les évaluations sont aussi critiquées sur la place donnée à l’enseignant. « On travaille depuis des années sur les évaluations et là ça tombe du ciel », relève A. Cattoni. « On ne conçoit rien, on ne corrige même pas. On est dépossédés ».
C’est aussi ce que nous a dit Rachel Schneider, secrétaire départementale du Snuipp 93. « Les collègues n’ont pas encore réalisé que c’est la première fois qu’on demande aux enseignants de faire passer des test qu’on ne leur permettra pas de corriger. Les évaluations apportent quelque chose aux enseignants quand ils analysent les réponses pour réfléchir aux apprentissages. Là ce n’est pas le cas et il y a un sentiment de dépossession très fort des enseignants ». Ou encore Luc Mamin, responsable du Lot et Garonne : « Les enseignants n’ont pas besoin d’envoyer les résultats à Paris pour aider leurs élèves ».
Alors si ces évaluations n’aident pas les enseignants , à quoi servent-elles ? « Qu’est ce qui sera fait de cette remontée des résultats ? », demande Céline Sierra, co secrétaire départementale du Snuipp 44. « On sait que les enseignants font leur propre évaluation diagnostic. Ces évaluations pourraient bien servir à évaluer les école et les enseignants et donc accélérer une mise en concurrence des écoles dont on sait bien qu’elle ne profite pas aux élèves ». « Si les résultats de chaque école sont divulgués cela va dénaturer la relation entre les enseignants et les parents, ce sera source de suspicion », confie Jean Philippe Gadier, co secrétaire du Snuipp 31.
Une résistance en construction ?
Aujourd’hui un syndicat enseignant, Sud Education, appelle les professeurs des écoles à ne pas faire passer les évaluations ou à ne pas faire remonter les résultats. Le Snuipp Fsu, premier syndicat du primaire, a publié un quatre page très critique également sur les évaluations. C’est cette semaine qu’il doit adopter une position sur ce qui sera fait ou pas sur le terrain. Les sections départementales du Snuipp sont divisées sur la question, d’autant que certaines n’ont toujours pas vu les évaluations. Dans plusieurs départements, le syndicat a déjà envoyé des consignes de boycott de la remontée des résultats vers Paris. D’autres départements ne souhaitent pas le faire. Le Se Unsa, second syndicat, a lui aussi demandé « que les évaluations diagnostiques ne fassent pas l’objet d’un protocole national avec remontées nationales » sans envisager un blocage de la saisie des résultats. L’avenir des évaluations pourrait bien se jouer sur cette question.
François Jarraud
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