Suppressions de postes dans l’éducation nationale. Vrai-faux virage ou refus de priorité ?

Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du SNES pose, le 06 septembre 2010 à Paris, en marge d’une manifestation d’enseignants contre la réforme menée par le ministre de l’éducation Luc Chatel. La grève organisée en collèges et lycées a réuni de 5,6 % de grévistes selon le ministère de l’Education nationale à 30 % selon ce syndicat, soit un mouvement plutôt faible alors que la grève de mardi s’annonce forte dans les écoles primaires.AFP PHOTO BERTRAND LANGLOIS

Rappel des faits Appel à la grève le 12 novembre dans l’éducation nationale. L’annonce de la suppression de 1 800 postes en 2019 cadre mal avec le discours du gouvernement visant à faire de l’école une « priorité ».
Marine Roussillon Maître de conférences à l’université d’Arras et responsable du secteur école du PCF
Frédérique Rolet Secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU
Catherine Nave-Bekhti Secrétaire générale de la fédération Sgen-CFDT

Ce qui se dessine, c’est le démantèlement du service public national

Marine Roussillon

Maître de conférences à l’université d’Arras et responsable du secteur école du PCF

Avec l’annonce de suppressions de postes dans l’éducation nationale, Blanquer et Macron s’inscrivent dans la continuité de la politique menée par Sarkozy – faut-il rappeler que l’actuel ministre fut l’un des hommes clés de la politique éducative de la droite ? Ces nouvelles suppressions interviennent alors que notre système éducatif est déjà exsangue. Depuis plus d’une décennie, les conditions d’éducation de nos enfants ne cessent de se dégrader. Résultats : une crise du métier d’enseignant, dont témoignent les difficultés à recruter ; la réduction du temps passé à l’école, qui n’avait pourtant pas cessé d’augmenter depuis le XIXe siècle ; un accroissement sans précédent des inégalités entre les territoires et les familles.

La rhétorique de la « priorité » – à l’éducation, au primaire… – est mise au service de l’amplification des inégalités et de la casse du cadre national du service public : il s’agit toujours de déshabiller Pierre pour (mal) habiller Paul. L’école, pour faire réussir tous les enfants, n’a pas besoin d’être « prioritaire » : elle a besoin d’un développement de l’ensemble des services publics, pour sécuriser la vie des enfants et de leurs familles. Au sein même de l’éducation nationale, à quoi peuvent bien servir des CP à 12 si les enfants sont plus de 30 en CM1 ? Quant aux dispositifs spécifiques à « l’éducation prioritaire », ils contribuent à faire une école différente là où se concentrent les difficultés sociales, au mépris de l’exigence d’égalité.

Les suppressions de postes ne sont pas une simple mesure budgétaire : il s’agit d’un outil extrêmement efficace pour imposer des réformes qui vont à l’encontre des aspirations des enseignants, des personnels, des jeunes et de leurs familles. Le chantage aux moyens est la meilleure arme d’un ministère de plus en plus autoritaire.

Organiser la dégradation du service public tout en entretenant les aspirations légitimes des jeunes à l’éducation a ainsi pour conséquence de développer le recours au privé : au nom de la « pédagogie », Blanquer se fait le VRP de l’enseignement privé et des multinationales de l’edtech. Il instrumentalise les exigences des familles pour contraindre les collectivités locales à prendre en charge une part de plus en plus importante de la dépense éducative. Ainsi, en décrétant la scolarité obligatoire dès 3 ans, il ne change rien aux politiques nationales, ne fait rien pour améliorer les conditions d’accueil en maternelle, mais il oblige les municipalités à financer les maternelles privées au même titre que les publiques. Au lycée, les suppressions de postes seront un moyen d’imposer une réforme largement contestée et de faire accepter la réduction du nombre d’heures de cours. Enfin, l’insupportable pénurie que ces nouvelles suppressions provoqueront permettra d’imposer le recours à des personnels moins qualifiés et moins payés que les enseignants, en dehors du statut de la fonction publique : déjà, des modifications de statut permettent d’exiger des Atsem qu’ils prennent en charge des activités pédagogiques et la loi Blanquer prévoit de demander aux surveillants de remplacer les profs absents. Ce qui se dessine, c’est le démantèlement du service public national au profit d’une école à la carte, différente en fonction des familles et des territoires. Dans l’éducation comme ailleurs, il s’agit de casser tous les cadres collectifs qui auraient pu protéger les salariés et les citoyens de demain.

Dans les mobilisations qui se développent, les communistes portent un tout autre projet pour l’école et la société : il ne s’agit pas seulement de créer tous les postes nécessaires pour répondre aux besoins, de la maternelle à l’université, mais bien de mettre ces moyens au service d’une transformation du système éducatif, pour que tous les jeunes s’approprient une culture commune ambitieuse, leur permettant de maîtriser leur avenir comme celui de la planète.

Nous courons à la catastrophe

Frédérique Rolet

Secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU

L’éducation nationale a subi énormément de suppressions de postes sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Les créations de postes qui ont suivi n’ont pu permettre de rétablir le nombre d’enseignants alors que le nombre d’élèves augmentait – on sait qu’après des suppressions de postes il est très difficile de retrouver la situation de départ, les étudiants se détournant des concours de l’enseignement. En annonçant des suppressions de postes pour le budget 2019 mais aussi pour les années suivantes dans l’optique de supprimer 50 000 emplois dans la fonction publique d’État – l’éducation nationale constituant près de la moitié des fonctionnaires d’État –, le gouvernement est en train véritablement de plomber l’avenir au-delà même de la situation présente. Donc, à la fois, c’est un virage et c’est évidemment en contradiction avec tout ce qui peut être dit par le ministre sur l’ « école de la confiance ». Quand on fait confiance aux personnels, on leur donne aussi les moyens de travailler, ce qui ne va pas être le cas. Or, on le voit notamment avec les problèmes de violence qui se sont révélés récemment, il y a, dans les établissements scolaires, un besoin très important de postes d’enseignants, de conseillers principaux d’éducation, d’assistants d’éducation, de psychologues, etc. Tout cela est complètement balayé d’un revers de main par le gouvernement.

C’est la FSU qui est à l’initiative de l’appel à la grève du 12 novembre. Dès l’annonce des orientations budgétaires, en septembre, nous nous sommes aperçus que les enjeux étaient très graves et que, quelles que soient les différences d’appréciation des politiques éducatives entre les organisations syndicales, il était vraiment impératif de mettre tous les collègues dans la mobilisation, en grève et dans la rue, et qu’il y ait une réaction collective. Sinon, nous courons à la catastrophe pour notre système public d’éducation. Le sens des réformes est clair. Dans l’enseignement professionnel, où l’on diminue l’horaire des élèves, les collègues de l’intersyndicale ont chiffré à 2 600 les suppressions de postes programmées à terme. C’est le même constat dans la réforme des lycées généraux et technologiques. Le ministre, d’ailleurs, ne s’en est pas caché puisqu’il a déclaré qu’il y avait encore des classes, dans les séries littéraires par exemple, où les effectifs étaient moins importants et que la réforme allait permettre de mettre davantage d’élèves dans les classes du fait de la disparition des séries, de la mise en place d’enseignements communs, de la réduction de l’offre de formation. Tout cela afin de permettre des économies. Dans les collèges, où l’augmentation démographique est sensible en ce moment, le gouvernement sait très bien qu’il ne peut pas tellement supprimer de postes. Dans ce contexte, ce sont les lycées, professionnels ou LEGT (lycée d’enseignement général et technologique – NDLR), qui vont avoir à rendre des moyens. La perspective n’est pas du tout celle de la démocratisation – on ne dit rien de l’éducation prioritaire par exemple – mais une logique comptable et de sélection, corrélée à l’idée qu’avec du management, qu’avec des pressions sur les personnels, on peut faire la même chose avec moins de moyens. Évidemment ce sont les élèves qui vont en pâtir les premiers, et c’est pour cela que le Snes et la FSU ont considéré qu’il était vraiment impératif, au-delà des divisions, que tout le monde s’entende pour donner un vrai signal d’alerte.

Il est prioritaire d’investir dans la jeunesse

Catherine Nave-Bekhti

Secrétaire générale de la fédération Sgen-CFDT

Après un quinquennat de créations de postes, et de programmation pluriannuelle des emplois, c’est le retour des suppressions nettes de postes à l’éducation nationale. 1 800 postes supprimés par rapport à plus d’un million d’emplois, cela peut sembler dérisoire, et l’appel à la grève et à l’action le 12 novembre disproportionné. Le Sgen-CFDT vous invite à aller plus loin que ce chiffre synthétique.

Oui le ministère de l’Éducation nationale reste prioritaire en termes de budget. Oui la priorité au premier degré est réaffirmée à juste titre. Au Sgen-CFDT, nous ne contestons pas le choix d’accorder plus de moyens aux écoles REP et REP+. La dotation renforcée est une de nos revendications pour l’éducation prioritaire. Cependant, il était possible de le faire autrement que par le dédoublement et sans nourrir une défiance née de classes ailleurs surchargées.

Cette priorité au premier degré sur fond de suppressions nettes de postes implique des suppressions plus importantes ailleurs. Et, de ce point de vue, l’éducation n’est plus prioritaire.

En deux lois de finances, le gouvernement d’Édouard Philippe aura effacé les créations d’emplois administratifs du quinquennat précédent. L’Éducation nationale est un ministère sous-administré. Certains considèrent que ces suppressions ne sont pas problématiques, les fonctions dites supports ne produiraient pas le service rendu au public. Cette vision étriquée nie la réalité des conditions de réalisation du service public. Qui assure la paie de tous les agents ? Qui assure l’affectation de tous les agents ? Qui assure l’adéquation entre les ressources humaines disponibles et les remplacements à assurer dans plus de 53 000 écoles, collèges et lycées ? Les 600 suppressions en deux ans vont dégrader les conditions de travail des personnels administratifs et générer une tension forte pour maintenir la qualité de service rendu à la population.

Dans le second degré, les suppressions d’emplois ne sont pas soutenables. Pas soutenables au regard de l’augmentation attendue du nombre d’élèves. Pas soutenables au regard de réformes dont la structure n’est pas source d’économie de moyens. Pas soutenables au regard de l’enjeu majeur qu’est l’amélioration de l’accompagnement des élèves, de tous les élèves dans la construction de leur parcours d’orientation du collège au postbac. Le gouvernement ne se donne pas les moyens de réussir ses réformes.

Enfin, il renonce à créer des emplois là où les besoins sont pourtant forts : l’éducation nationale manque cruellement de médecins scolaires, de médecins de prévention pour ses personnels. Elle manque aussi de cadres pédagogiques, d’infirmiers et infirmières et d’assistant.e.s de service social.

Créer des postes n’assure pas qu’ils soient pourvus, nous le savons bien : le Sgen-CFDT fait régulièrement le compte des postes non pourvus et constate le manque d’attractivité de certains métiers. L’attractivité passe par l’amélioration de la rémunération et des conditions d’exercice dans tous les services, écoles et établissements. Le Cnesco l’avait montré, pour améliorer l’attractivité, il faut donner de la visibilité aux étudiant.e.s sur les débouchés offerts et cela passe par la programmation pluriannuelle des emplois. Nous la demandons mais restons sans réponse de la part du ministère. Si c’est le signe d’une gestion d’abord budgétaire, c’est une grave erreur, c’est renoncer à donner au service public de l’éducation nationale les moyens humains de ses missions.

Oui, il est prioritaire d’investir dans la jeunesse car elle est l’avenir de notre société. Il s’agit d’investir et de concevoir des politiques publiques ambitieuses pour déjouer le déterminisme social non seulement dans l’éducation et instruction scolaire, mais globalement dans la formation initiale et dans l’ensemble des politiques de jeunesse. Ce n’est hélas pas le signal donné par les suppressions des postes dans les champs de l’enseignement scolaire, de l’enseignement agricole et par la stagnation des emplois dans les politiques jeunesse et sports.

 


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