Laïcité, non à la révision de la loi 1905

Le 9 décembre est la journée de la laïcité depuis la signature le 9 décembre 1905 de la loi de séparation entre l’Église et l’État, pilier de la République française. Cette année, l’anniversaire se fête sur fond d’inquiétudes avec des projets gouvernementaux de révision de cette loi pour encadrer plus étroitement les mouvements religieux. Les organisations laïques dont la FSU mettent en garde contre des modifications qui fragiliseraient cet équilibre plus que centenaire.

Le communiqué

Des projets de révision de la loi de 1905 seraient à l’étude. S’il s’agit de mieux encadrer des dérives intégristes mettant en cause les principes et valeurs de la République, le titre V de la loi, intitulé Police des cultes fournit l’arsenal juridique suffisant. S’il s’agit de financer les cultes de quelque manière que ce soit, on entrerait alors dans une procédure concordataire que la loi de 1905 avait précisément pour but d’abolir. Les organisations laïques soussignées, réunies le jeudi 22 novembre 2018 à Paris, mettent en garde contre toute modification de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, quelles qu’en soient les voies. Cette loi est un pilier fondamental de la République. Pour assurer à chaque citoyen la liberté de conscience, elle a instauré un juste équilibre entre la garantie du libre exercice des cultes et la neutralité confessionnelle de l’État. Les organisations signataires rappellent donc solennellement l’intangibilité des principes solidairement posés par la loi :

  • Article 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
  • Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

Elles demandent, par-delà les débats inutiles que suscitent ces projets de révision, que soit déjà et complètement appliquée la loi.

Les sIgnataires:

loi 1905

Édouard Louis « La politique réapparaît comme ce qu’elle est : une question de vie ou de mort »

« Le mot misérabilisme est une stratégie supplémentaire pour faire taire les discours sur la souffrance. Ça veut dire : ferme-là. » Magali Bragard

« Le mot misérabilisme est une stratégie supplémentaire pour faire taire les discours sur la souffrance. Ça veut dire : ferme-là. » Magali Bragard

Gilets jaunes. L’écrivain Édouard Louis analyse cet élan protestataire qui donne de la voix aux couches populaires réduites au silence.

Vous avez diffusé un texte sur les réseaux sociaux qui raconte vos difficultés à écrire sur les gilets jaunes. De quels obstacles s’agit-il ?

Édouard Louis Une violence de classe extrême s’est abattue immédiatement sur ce mouvement social, une violence qui m’a totalement paralysé, et qui, je crois, a paralysé beaucoup de monde. La bourgeoisie et une partie des médias se moquaient des personnes qui chantaient, qui dansaient sur les barrages. Certains journalistes ou « politiques » passaient les images en boucle, ils les postaient sur les réseaux sociaux, et ça les faisait rire. Ils traitaient les gilets jaunes de ploucs, de barbares, ils parlaient d’eux comme ils parlent des bêtes, des enfants, ils les qualifiaient d’irresponsables, de brutes qui détruisent l’économie. Pour moi comme pour beaucoup, le mouvement des gilets jaunes a commencé par des images : des corps d’ouvriers, de personnes précaires, pauvres, des corps presque invisibles en temps normal, détruits par l’exclusion sociale ou le travail, sont apparus.

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Une nouvelle manifestation en musique in DDM

Les lycéens devant le théâtre Olympe de Gouges./ Photo DDM, Manuel Massip
Les lycéens devant le théâtre Olympe de Gouges./ Photo DDM, Manuel Massip

Nouvelle manifestation des lycéens à Montauban hier, toujours en musique. Ils étaient plusieurs centaines, devant le lycée Michelet où seuls les professeurs ont pu rentrer. On comptait des élèves de Michelet, de Bourdelle et de Theas à Montauban. Les lycéens de Moissac et de Castelsarrasin se sont aussi joints au mouvement. L’un des organisateurs de la manifestation a rappelé qu’il voulait une marche pacifique. Les jeunes ont donc défilé, en fanfare dans les rues, s’arrêtant devant la mairie, le théâtre ou encore l’inspection académique.

«On veut plus de moyens pour financer les options artistiques à Michelet», a déclaré Christophe, l’un des représentants des lycéens.

Une délégation de jeunes a été reçue en fin de journée à la permanence de la députée Valérie Rabault pour lui exposer leurs revendications.

VIOLENCES CONTRE LES LYCÉEN.NE.S : « Indigné, le PCF lance un appel aux élu.e.s »

Vendredi, 7 Décembre, 2018
Alors que les manifestations se préparent, que les lycéen.ne.s et étudiant.e.s s’organisent, des images insoutenables ont été diffusées hier sur les réseaux sociaux montrant des lycéen.ne.s entre 15 et 18 ans, genoux au sol et mains sur la tête.
Rien ne justifie l’emploi de telles méthodes. Ces procédés humiliants sont indignes. Le gouvernement doit réagir.
Le PCF lance un appel aux élu.e.s visant à affirmer la nécessaire protection des jeunes face aux violences policières qui se sont multipliées ces derniers jours.
« Le gouvernement déchaîne une violence inouïe contre les lycéens et les lycéennes mobilisés.
A Garges, dans le Loiret, à Bordeaux… tellement, trop de blessés. Des arrestations, des gardes à vue pour un tag comme à Ivry… Le pouvoir perd les pédales et semble chercher la bavure. Nous n’acceptons pas cette instrumentalisation politique. Nous refusons la surenchère violente et sécuritaire voulue par Macron et qui peut conduire au drame.
Ces lycéennes et ces lycéens sont des enfants. Des enfants de la colère, nos enfants après nous, celles et ceux qui savent mieux que personne que si rien ne change, ils seront sacrifiés. Avec l’ultra-sélection de la réforme du lycée, du bac et Parcours Sup, ce n’est même plus un plafond de verre qui les attend mais un plafond de béton. Leurs revendications sont légitimes et justes. Elles défendent l’égalité. Nous les soutenons.
Les lycéens et lycéennes, comme tout citoyen, ont le droit de manifester pour se faire entendre. Ce droit constitutionnel doit être garanti. C’est, en temps normal, le rôle du pouvoir exécutif : garantir les droits fondamentaux dont celui de manifester et assurer le maintien de l’ordre public. Manifestement, le pouvoir exécutif est défaillant. Il explique aux lycéens qu’il ne faut pas manifester, il donne des ordres inacceptables aux forces de l’ordre, il entérine et minimise les violences policières.

Nous refusons de voir la jeunesse maltraitée.

Aux côtés des organisations lycéennes, étudiantes, des fédérations de parents d’élèves, des syndicats enseignants, notre devoir comme élus de la République est de veiller à ce que la protection des jeunes soit assurée. Face à la défaillance de l’État, nous, élus de la République, nous engageons à protéger notre jeunesse. Aux lycénnes et aux lycéens, aux étudiantes et aux étudiants, nous disons : si vous choisissez de manifester, nous serons à vos côtés. Nous serons avec vous devant les lycées et les universités, dans les cortèges. Nous mettrons tout en œuvre pour vous protéger. Vous pouvez compter sur nous.

Nous appelons toutes les élues et tous les élus de la République à garantir le droit de manifester des jeunes scolarisés mobilisés contre la sélection et pour l’égalité.

Nous appelons toutes les élues et tous les élus à ne pas faire d’amalgame entre les lycéens et les casseurs.
Nous appelons l’Etat à ne pas commettre de violences contre nos enfants. »
Parti communiste français

Panique médiatique face aux gilets jaunes (ACRIMED)

https://www.acrimed.org/IMG/jpg/1-26.jpgpar Pauline Perrenot, pour ACRIMED

C’est peu dire que la tonalité médiatique générale vis-à-vis des gilets jaunes, et celle des éditorialistes en particulier, a changé depuis la journée de mobilisation du samedi 24 novembre, et, plus encore, depuis celle de samedi 1er décembre. Dans un premier temps, les grands éditorialistes se sont interrogés avec condescendance, en donnant parfois l’impression d’observer les gilets jaunes comme de petites bêtes curieuses. Certains se sont mis en scène, en s’engageant ouvertement en faveur d’un mouvement qu’ils pensaient pouvoir résumer à la seule remise en cause d’une taxe sur le carburant [1]. Mais le discours médiatique dominant est désormais tout autre. Face à un mouvement qui s’inscrit dans la durée, à la diversité et à l’ampleur de ses revendications, à sa popularité, face aux violences protéiformes de certaines manifestations et à la situation de crise politique dans laquelle elle est en train de plonger le gouvernement, les grands pontes du système médiatique resserrent les rangs. Depuis la manifestation du samedi 1er décembre, l’heure est au rappel à l’ordre.

Une chose est sûre : la journée de mobilisation du 1er décembre a fasciné les chaînes d’information en continu qui ont commenté de manière ininterrompue les « scènes de chaos dans Paris »… et beaucoup effrayé les éditorialistes [2]. Devant les menaces que représente le mouvement des gilets jaunes, les gardiens médiatiques de l’ordre social se mobilisent pour prescrire des mesures de « sortie de crise ». Un « journalisme de solutions » qui témoigne de la profonde panique qui gagne les médias dominants – et leurs porte-parole auto-proclamés…

Des journalistes en conseillers médiatiques du prince

À commencer par la presse écrite. Dans son éditorial du Figaro, Alexis Brézet voudrait se faire calife à la place du calife (03/12). Il fixe pour le gouvernement la « priorité des priorités », à savoir le « rétablissement de l’ordre républicain » après le « désastre national » en employant « y compris la proclamation de l’état d’urgence […] afin que cesse l’intolérable ». Puis il se fait prescripteur de mesures pour « apaiser cette révolte qui fait courir de graves risques à l’équilibre politique et social du pays » : « renouer – tout de suite – le dialogue, et, pour renouer le dialogue, il faudra bien, par quelque bout que l’on prenne la chose, concéder aux « gilets jaunes » un trophée symbolique. »

L’éditorialiste poursuit en révélant les deux inquiétudes majeures qui l’animent, et à travers lui, l’ensemble de la noblesse médiatique. La première, le blocage des futures réformes : « Plus le temps passe, plus le prix à payer pour rétablir le calme sera élevé. Et plus la capacité du gouvernement à mener demain la moindre (vraie) réforme sera entamée. » La seconde, la crainte que se matérialise dans les esprits une conscience de classe un peu trop appuyée : « [Dans] nos démocraties mijotent tous les ingrédients d’une nouvelle lutte des classes qui met à rude épreuve la cohésion des nations. […] C’est sans doute que le vieux clivage droite-gauche, à côté de tant de défauts, avait aussi quelques qualités : en récusant la froide logique des intérêts, il permettait au pays de s’affranchir en partie des affrontements de classe. » Une crainte qui explique la violence de ses confrères, dont Gaëtan de Capèle qui signait le 1er décembre un éditorial digne d’une production de chien de garde aguerri :

Combien de temps encore la France pourra-t-elle supporter le psychodrame des « gilets jaunes » ? Tout a été dit sur les ressorts de cette jacquerie numérique. Aussi compréhensif soit-on pour ce qu’ils incarnent, les « gilets jaunes » sont engagés dans une surenchère qui conduit tout droit dans une impasse. Exactions inexcusables, revendications abracadabrantesques, mépris des institutions… tout cela déconsidère leur combat.

Tout comme les défigurent les éditoriaux du Figaro

Le Monde n’est pas en reste : Jérôme Fenoglio pointe « une impuissance de dix ans à réellement répondre aux conséquences de la crise de 2008 » et une « faillite des gouvernements successifs, [qui] a laissé prospérer la colère sur le plus puissant des ferments, le sentiment d’injustice, à la fois territorial, fiscal et social. » Un constat qui ne le conduit évidemment pas à remettre en cause ni la légitimité ni le fond des politiques libérales menées depuis (plus de) dix ans – et pour cause, le quotidien de référence s’en étant systématiquement fait le relais – mais à d’abord accuser « l’instabilité » des gilets jaunes qu’il peine à cerner, avant d’en appeler à… une réforme, pour poursuivre les réformes !

[Il y a une] instabilité permanente chez les protestataires, où les revendications s’accumulent et finissent par s’annihiler à force d’être contradictoires, où les porte-parole sont délégitimés à la seconde où ils apparaissent, où la discussion permanente ne permet ni de s’entendre entre soi ni d’écouter ce que pourraient proposer les gouvernants. C’est encore plus compliqué face à un pouvoir exécutif qui n’arrive pas à se libérer des multiples disruptions qu’il avait théorisées pour construire son nouveau monde. […] La page blanche sur laquelle devaient s’écrire les réformes est devenue une scène désertée que le parti présidentiel ne parvient pas à occuper. […] Le courage réformateur mis en avant se heurte à l’image de « président des riches » accolée en raison des premières décisions fiscales, notamment sur l’ISF. Il sera difficile d’en sortir sans amender en profondeur un mode de gouvernance […]. Cette réforme-là est la plus exigeante de toutes : elle commence par soi-même pour parvenir enfin à convaincre les autres.

Au Parisien, Stéphane Albouy en appelle quant à lui à Emmanuel Macron pour « trouver les mots et les réponses concrètes de nature à apaiser le pays. » (03/12). En bon conseiller en communication gouvernementale, il analyse ensuite cette démarche : « Il ne s’agirait pas ici d’un recul mais d’un geste indispensable pour que le reste du quinquennat ne soit pas hypothéqué et que des réformes aussi nécessaires que celles de l’assurance chômage ou des retraites puissent être un jour engagées par ce gouvernement. » Dès le lendemain, visiblement inquiet de l’inaction du gouvernement, un second éditorialiste, Nicolas Charbonneau, cherche d’autres interlocuteurs pour parvenir à ce que le quotidien appelle de ses vœux, « l’union nationale » (04/12) : « La sortie de crise viendra probablement d’hommes et de femmes responsables, de ceux qui écoutent, prennent des décisions et les assument. De ceux qui proposent et construisent, pas de ceux qui commentent. » Et à en croire sa une du 4 décembre, Le Parisien a une solution toute trouvée :

Choisir comme « réponses » à cette crise les « propositions » du patron du Medef, il fallait le faire ! Si nous n’osons penser que la rédaction du Parisien ignore les enjeux de classe qui se jouent dans le mouvement des gilets jaunes, on peut dire avec certitude qu’elle a, dans ce jeu-là… choisi son camp !

Il en va de même à France Info, où Olivier de Lagarde cherche une sortie de crise en parlementant avec… Pierre Gattaz :

Pierre Gattaz, comment expliquer finalement ce désespoir ? Quand on se met à casser, certes on est en colère mais on n’est pas seulement en colère contre l’augmentation de 6 centimes du gasoil ! […] La question, c’est de savoir tout de même si à partir d’aujourd’hui, les réformes vont être possibles ou est-ce que finalement le gouvernement va être complètement bloqué ? (« Les informés », 1er décembre)

Sur BFM-TV (03/12), le jeu est le même, et si Bruno Jeudy prône une « inflexion sociale », elle n’est encore une fois qu’instrumentale : « Faire une inflexion, mettre un genou à terre, accepter de reculer, l’expliquer et peut-être de relancer un quinquennat qui aujourd’hui effectivement est en train de… de… de se jouer dans les heures qui viennent. » Une position qui fait écho aux propos que le même Laurent Neumann tenait quelques jours plus tôt : « Le problème, c’est que si Emmanuel Macron cède aujourd’hui, il n’y a plus de réforme d’assurance-chômage, il n’y a plus de réforme de la fonction publique, il n’y a plus de réforme des retraites ! » [3].

La même ligne est prescrite en continu sur BFM-TV par Ruth Elkrief, communicante de la première heure du gouvernement macroniste, qui n’hésite pas à reprendre sévèrement le moindre faux pas d’une consœur qui paraîtrait desservir un peu trop le gouvernement :

– Anna Cabana : Alors moi ce que je retiens de la journée, c’est cette phrase d’un ami d’Emmanuel Macron qui dit : « Au fond les gilets jaunes, c’est irrationnel, mais il faut enfourcher la fureur des temps ». […]
– Ruth Elkrief : Pardonnez-moi Anna, non mais c’est exactement qu’Emmanuel Macron a un problème de communication avec les gilets jaunes. […] Si je peux traduire, ce que devrait dire le premier ministre demain [pour] se sortir d’une telle crise en ayant quand même… sans perdre trop la face, c’est : « il faut lâcher parce que comme ça on pourra continuer à réformer le pays, sinon on pourra pas continuer ». Donc c’est une façon de dire qu’en fait, on ne renonce pas à continuer à réformer le pays mais que, on ne pourrait pas si on ne lâchait pas, et donc ça sera la façon à partir de demain d’expliquer. […] Ça aurait pu être une crise beaucoup plus contenue et beaucoup plus minime si ça avait été négocié et géré tout de suite.

Le gouvernement remercie pour la traduction.

En quête désespérée de paix sociale depuis dimanche, les éditorialistes incarnent ainsi à l’extrême un de leurs rôles médiatiques traditionnels : celui de gardien de l’ordre social. Désormais prescripteur des mesures de « sortie de crise », ce « journalisme de solutions » est le signe d’une profonde panique : celle de voir remis en cause un ordre social, économique et politique que les médias dominants ont contribué à légitimer depuis des décennies, en soutenant quasi unanimement les vagues de réformes structurelles menées par les gouvernements successifs depuis les années 1980 [4] ; et celle de voir vilipendé le candidat incarnant cette fièvre « réformatrice » auquel ils auront fait beaucoup de publicité lors de la campagne présidentielle et dont ils relaient assidûment la communication et la « pédagogie » depuis [5]. Une telle déstabilisation douche ainsi une grande partie des espoirs médiatiquement soutenus, nés avec Emmanuel Macron, et provoque le désarroi : quid de la « faisabilité » des prochaines réformes dans un tel contexte de crise ? Quelle « personnalité » à sa place pour « maintenir le cap » dans un tel contexte de défiance vis-à-vis de la classe politique et après que les grands médias ont affiché des mois durant la promesse du « nouveau monde » ?

C’est à la lumière de ces différents éléments que l’on peut comprendre les réactions des éditorialistes des médias dominants, relativement homogènes, allant de l’indignation à la panique, en passant par des conseils et des méthodes pour « sortir de la crise ». L’heure est chez eux au calcul politicien et au mépris de classe : si certains d’entre eux réclament des « gestes forts » ou des mesures en faveur des gilets jaunes, ce n’est évidemment pas au nom d’une quelconque justice sociale, mais uniquement par charité symbolique qui, selon eux, fera taire la colère.

Des journalistes arbitres de la légitimité des revendications

Face à la menace du mouvement des gilets jaunes, les éditorialistes ne se contentent pas de se faire conseillers du prince et prescripteurs de solutions de sortie de crise ; ils s’attachent également à distinguer les revendications légitimes du mouvement… des autres, qu’il convient de démonter en règle.

Sur le plateau du JT de France 2 (01/12) aux côtés de Nathalie Saint-Cricq, Justine Weyl, journaliste au service économique de la rédaction, passe au crible la revendication de hausse du SMIC formulée par les gilets jaunes :

Sur l’augmentation du SMIC à 1300€ net par exemple, ça parait assez improbable [parce qu’] une telle augmentation de 10% coûterait des millions aux entreprises mais aussi à l’État […] Peu de chance donc que ce vœu soit exaucé. […] En revanche d’autres revendications sont plausibles et rejoignent même des objectifs du gouvernement.

Alexandra Bensaïd, également présente comme « experte » en économie, corrobore :

Qu’est-ce qui est réaliste, est-ce que augmenter le SMIC c’est réaliste ? C’est certain que pour les économistes ça améliore le pouvoir d’achat ; mais d’un autre côté augmenter le SMIC c’est un chiffon rouge pour les employeurs ; les plus éloignés de l’emploi auraient encore plus de risque de ne pas être recrutés ; or faire baisser le chômage, c’est à la fois une revendication des gilets jaunes et c’est aussi un but du gouvernement. […] L’impossibilité ce soir, c’est bien de répondre à l’ensemble des protestataires.

La journaliste donne ainsi son verdict d’impossibilité des hausses de salaire… en reprenant mot pour mot les arguments du patronat.

Même posture chez Jean-Claude Dassier, qui rivalise d’arrogance sur CNews (03/12) : « Tout n’est pas possible. C’est pas le pays des mille et une nuits ! Il n’y a pas d’argent dans ce pays autant que le souhaiteraient… on le souhaite tous d’avoir des augmentations ! »

Des propos si émouvants que nous proposons de lancer une campagne : une augmentation pour Jean-Claude Dassier !

Sur BFM-TV (03/12), Nathalie Lévy tente quant à elle de raisonner Jean-François Barnaba, gilet jaune, présent en plateau :

– Nathalie Lévy : Vous savez bien que la liste elle est trop longue pour que tout soit validé ! […] Alors… les trois [mesures] plus urgentes alors, dites-nous !
– Jean-Francois Barnaba : La baisse des taxes, la baisse [il insiste], […] l’augmentation des salaires et des pensions, la restauration des services publics, la démocratisation des institutions et […] la restauration de l’ISF. […]
– C’est pas de même nature, et tout ne sera pas possible. […] Tout sera pas possible en même temps, là, en l’espace d’une semaine, on pourra pas avoir la baisse des taxes, on pourra pas avoir l’augmentation des salaires, tout sera pas jouable, tout sera pas acceptable pour le gouvernement !

Enfin, sur le plateau de Pascal Praud sur CNews (03/12), les ténors du système médiatique qui discutent chaque jour entre amis prescrivent à leur tour ce qui est faisable… ou non :

– Pascal Praud : Par exemple, les APL. C’est vrai, Gérard Leclerc, quand on a dit « baisse de cinq euros », ça ne nous a pas paru, cinq euros, une somme à ce point énorme que les Français aillent dans la rue ! Mais au-delà des cinq euros, il y avait quelque chose de symbolique manifestement, c’est un fait personne ici n’est monté au créneau pour les cinq euros de manière aussi importante…
– Gérard Leclerc : […] C’est-à-dire… il faut mettre les choses à plat sur la fiscalité. Mais faut bien voir qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, tout et son contraire. Vous ne pouvez pas dire d’un côté « on baisse les impôts », les impôts et les taxes, et d’un autre côté « on maintient voire on développe un certain nombre… par exemple les dépenses euh les investissements publics, les dépenses publiques, les aides sociales etc. »

Ajoutons également le propos de Nicolas Doze sur BFM-TV le 5 décembre, qui se résume en une phrase :

Avec, à la clé, un argument sans faille :

Des journalistes organisateurs du « dialogue social »

Autre préoccupation des éditocrates : trouver des interlocuteurs pour leurs débats médiatiques, mais également pour le gouvernement. Car les grands médias, qui peinent à comprendre le mouvement des gilets jaunes, ont également des difficultés à identifier, sélectionner ou légitimer des porte-parole susceptibles de devenir de bons clients médiatiques [6]. Cela tient à plusieurs raisons : la pluralité des interlocuteurs qui jamais – ou rarement – ne se revendiquent comme « porte-parole » sur les plateaux ; ou encore la multiplication et la diversité des revendications mises en avant selon les gilets jaunes invités.

Tant est si bien qu’on assiste à une situation surprenante : certains éditorialistes en arrivent à regretter les « corps intermédiaires », en particulier les syndicats, qu’ils malmènent pourtant le reste du temps en période de mobilisations sociales !

La remise en cause des corps intermédiaires, systématiquement contournés depuis le début du quinquennat, est un handicap majeur, alors qu’ils seraient si cruciaux pour canaliser un conflit social de ce type. (Le Monde, 4/12) [7]

Et c’est bien là un problème majeur auquel sont confrontés les éditorialistes : le bouleversement des règles du fameux « dialogue social » institutionnalisé, dont le commentaire (interview à l’issue des réunions, description des rebondissements et des positions syndicales et gouvernementales, etc.) résumait traditionnellement la couverture qu’ils font des mobilisations sociales en tant que spectateurs et arbitres des négociations.

Désormais, les éditorialistes semblent se vivre non seulement plus comme arbitres, mais également acteurs du « dialogue social », remplaçant au pied levé les « partenaires sociaux » défaillants. Avec des propos qui témoignent, ces derniers jours, d’une véritable violence de classe qui se décuple.

Ainsi de Christophe Barbier sur BFM-TV (03/12) :

La première solution politique, c’est de dialoguer avec tout le monde et d’annoncer des choses concrètes. […] S’ils obtiennent quelque chose de concret, notamment symbolique, c’est-à-dire la suppression de la hausse des taxes prévue en janvier sur le carburant, eh bien ils annoncent le renoncement à une manifestation à Paris, samedi, pour éviter les violences. Qu’ils retournent dans les petites villes, dans les villages, sur les ronds-points, dans la proximité avec les gens comme le 17 novembre, et qu’ils arrêtent de fantasmer sur la prise de la Bastille, même si c’est l’Arc de triomphe.

Face à l’absence de négociation, Nathalie Saint-Cricq perd également patience sur le plateau du JT de France 2 (02/12) :

Édouard Philippe doit négocier avec des gens qui ne sont pas organisés. On l’a dit, toute cette semaine, ce soir, ils sont en train de téléphoner – je les ai eus tout à l’heure – aux huit gilets jaunes. On leur répond : « non, je peux pas venir ce jour là parce que je travaille, parce que j’ai les enfants jusqu’à 18h… » Donc négocier avec des gens qui n’ont pas envie de négocier c’est quelque chose d’assez compliqué [8].

Jean-Michel Aphatie n’est pas en reste dans la matinale d’Europe 1 (04/12) :

Nous n’avons aucun interlocuteur crédible pour représenter un mouvement qui génère une violence immense et qui menace la nation. […] C’est une forme d’irresponsabilité́ politique que nous n’avons jamais connue.

Dans l’émission Punchline (03/12), Jean-Claude Dassier sermonne les gilets jaunes :

Les gilets jaunes refusent même d’aller énoncer leurs revendications et négocier ou discuter ! […] Je pense qu’il est plus que temps pour ce mouvement, qui a sa légitimité, qui a ses raisons, de se structurer, y a pas de mouvement qui ait un avenir politique et social s’il ne se structure pas ! […] Je souhaite surtout que […] le contact ait lieu évidemment et que surtout il soit positif, qu’on enchaîne vite. Parce qu’il y a déjà eu beaucoup de temps de perdu, maintenant il faut accélérer. Encore une fois, la France peut pas supporter un week-end prochain comme celui que nous avons vécu.

Et on peut dire que l’éditorialiste ne perd pas de temps. En direct du plateau, il amorce lui-même une séance de négociation avec José Espinoza, pour le moins surréaliste, qui synthétise ce mépris de classe :

– José Espinoza : Donnez de l’argent sonnant et trébuchant et vous verrez que le mouvement… [Coupé]
– Jean-Claude Dassier : 200 euros et c’est fini ?!
– J.E : 200 euros pour le SMIC.
– J-C. D : Et c’est terminé ? Bon, on a là une négociation. 200 euros pour le SMIC, on va téléphoner à Matignon, on a la clé. On va bien trouver 200 euros…
– J.E : Il a bien trouvé 40 milliards pour le CICE.
– J-C. D : D’accord ! Pour combien de personnes à votre avis, à vue de nez ? 200 euros pour combien de personnes ?
– J. E : Oh eh bien pour l’ensemble des smicards, ils sont nombreux. Et il y a 40 milliards à récupérer du CICE […] alors qu’on le donne aux patrons sans contrepartie !

Si certains n’hésitent donc pas à conseiller le gouvernement voire à négocier pour lui, l’errance du Premier ministre et du président tend à faire paniquer les relais les plus dociles de la macronie ! Ainsi de Nathalie Saint-Cricq, qui semblait particulièrement perdue, comme un député qui n’aurait pas reçu ses éléments de langage, au lendemain de la journée de mobilisation de samedi 1er décembre :

[Emmanuel Macron] n’a pas pris la parole ce soir, probablement parce que… qu’est-ce que vous voulez qu’il dise ! Ils ont l’impression que […] même si c’était la baisse ou le moratoire sur la taxe du carburant, on lui dirait « ok c’est bien mais ça suffit pas, il faut l’ISF », et après on lui dirait « mais ça suffit pas, faut encore autre chose », donc il a effectivement compris que le fait de reculer, on insisterait surtout sur le recul et non pas sur les choses sur lesquelles il a reculé, donc c’est relativement complexe. […] Qu’est-ce qu’il peut faire ? […] Comme manifestement toute la dramaturgie est en train de se faire entre Macron versus le reste du monde, ou plus exactement le reste de la France, il a intérêt à remettre du corps intermédiaire.

Rassurons nos lecteurs : cette absence n’était probablement que passagère. La veille, la cheffe du service politique de France 2 était plus revendicative :

Non, il ne peut pas donner l’impression de plier […], il ne peut pas donner l’impression que les gilets jaunes ont obtenu gain de cause. […] Le problème pour Emmanuel Macron, c’est que s’il recule, il se dit que les prochaines réformes ce sera à chaque fois la même chose donc c’est ni dans son tempérament de reculer, et en plus il y a une deuxième crainte, c’est qu’il se dit que à chaque nouvelle réforme […] il y ait une nouvelle structure gilets jaunes qui, à chaque fois qu’il essaie de bouger, le fasse reculer ; soit il considère qu’au bout d’un an et demi de quinquennat il faut qu’il fonce avec les risques de casse, soit il recule ; on va voir assez rapidement s’il ne trouve pas une solution intermédiaire. (JT France 2, 1er décembre)

Et pour la trouver, il pourra s’inspirer des conseils de Nathalie Saint-Cricq.

***

La journée de mobilisation du 1er décembre a, semble-t-il, contribué à une panique médiatique croissante face au mouvement des gilets jaunes. Si les premières inquiétudes ont porté sur les conséquences des blocages sur l’économie, ce sont désormais les revendications (irréalistes) du mouvement et les scènes de violences (condamnables) lors des manifestations qui sont désormais dans le viseur médiatique. Et les éditorialistes se mobilisent : en prescrivant conseils et méthodes pour que le gouvernement « sorte de la crise » ; en faisant le tri entre bons et mauvais gilets jaunes selon que leurs revendications sont jugées « légitimes » ou « surréalistes », et leurs comportements, « pacifique » ou « extrémiste » ; ou encore en faisant mine d’organiser le « dialogue social » avec les gilets jaunes, et mieux permettre de canaliser la colère populaire. À cet égard, ce journalisme d’élite parfaitement ignorant des préoccupations quotidiennes des gilets jaunes, joue parfaitement son rôle de gardien de l’ordre social.

Pauline Perrenot (avec Maxime Friot)

[1] Nous y revenons dans un précédent article.

[2] Nous reviendrons, dans un prochain article de notre série, sur cet épisode de journalisme de maintien de l’ordre, co-produit sur les plateaux avec les forces de police, leurs représentants syndicaux et institutionnels.

[3] Cité par Samuel Gontier dans son article, « La France de Patrick Sébastien et les gilets jaunes de Jean-Michel Aphatie ».

[4] Les exemples sont légion mais non exhaustifs : réforme de la sécurité sociale de 1995, réformes des retraites en 2003, en 2007 et en 2010, LRU en 2007, 2008, puis, plus récemment, la réforme du code du travail en 2016, les ordonnances Macron en 2017, la réforme de la SNCF au printemps 2018, etc. Pour différents exemples, on pourra se reporter à l’ample littérature d’Acrimed consacrée au thème « Médias et mobilisations sociales ».

[5] Voir notre rubrique consacrée à Emmanuel Macron.

[6] Nous y reviendrons dans un prochain article, certaines figures désormais médiatiques comme Benjamin Cauchy, peuvent à elles seules illustrer le rôle de légitimation publique, par les médias, de personnalités pourtant problématiques, ayant été ouvertement exclues, en particulier pour des raisons idéologiques, de collectifs locaux.

[7] Belle déclaration que celle de Jérôme Fenoglio, au passage, illustrant en creux le rôle fantoche qu’il prête aux syndicats dans la société !

Manifestations/Gilets jaunes : « La réponse du gouvernement ne peut pas être la surenchère sécuritaire »

Samedi va être une journée de mobilisation importante dans tout le pays pour le progrès social, la démocratie et le climat.

De nombreux lycéens sont blessés ou gardés à vue suite aux mobilisations lycéennes de ce jour.

La réponse au profond mouvement populaire qui s’exprime ne peut pas être une surenchère sécuritaire. Le gouvernement porterait une lourde responsabilité s’il n’apportait pas une réponse politique rapide aux demandes formulées par les Français, qu’ils aient un gilet jaune ou non. C’est désormais au Président de la République de parler au pays avant les manifestations de ce samedi.

Les communistes considèrent que les violences, d’où qu’elles viennent, n’offrent aucune perspective.

Le PCF appelle à amplifier le mouvement et appelle le gouvernement et le Président de la République à changer le cap de sa politique. Il appelle nos concitoyen.ne.s à manifester pacifiquement en ce sens. Les élu.e.s et militant.e.s communistes seront mobilisé.e.s partout en France pour faire valoir la nécessité de vraies mesures en faveur du pouvoir d’achat.

Aux côtés des citoyen.ne.s mobilisé.e.s, les communistes sont déterminé.e.s à faire progresser les mesures suivantes :

– Hausse du Smic de 200€ net et augmentation des pensions de retraites

– Ouverture des négociations salariales dans le public comme dans le privé

– Rétablissement de l’impôt sur la fortune

– L’application de l’égalité salariale femmes/hommes

Aujourd’hui, les gilets jaunes, robes noires, blouses blanches, cols bleus portent un espoir pour le pays. Leur mouvement est celui de la dignité. Samedi, les mouvements citoyens, syndicaux, associatifs, politiques doivent converger.

Manifestations du 8 décembre : Climat, relever le défi !

Tout le monde s’accorde devant l’urgence climatique … mais les actes ne suivent pas ! Trois ans après l’Accord de Paris, la France ne tient pas ses engagements (en augmentant ses émissions de CO2), et il en est de même de la très grande majorité des pays.

Il manque 15 à 20 milliards d’euros par an au budget de l’État pour tenir nos engagements climatique, modifier nos modes de transports, rénover les logements, modifier nos mode de production et de consommation. C’est pourquoi le gouvernement doit prendre des mesures pus ambitieuses que celle d’augmenter les taxes sur l’essence et le diesel !
Si le climat était une banque, il serait sauvé depuis longtemps ! Inventons un nouveau modèle économique, social, écologique qui place l’être humain et la planète au cœur de tous ses choix.
Sachant que, en France, transport et logement sont les 2 plus gros émetteurs de CO2 responsables du réchauffement climatique, voici quelques mesures pour réduire l’effet néfaste sur le climat :

Quelques mesures prioritaires :

– Taxation du kérosène

– Gratuité des transports en commun.

– Développement du transport ferroviaire fret et passager

– loi favorisant les circuits courts, agricoles comme industriels et pénalisant les délocalisations de productions et les importations.

– plan massif de rénovation des logements pour permettre à chacun d’économiser l’énergie (et réduire la facture !).

Ces premières mesures peuvent être appliquées rapidement. Le rétablissement de l’ISF (Impôt Sur la Fortune), la taxation exceptionnelle des bénéfices des compagnies pétrolières, le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales et la lutte contre l’évasion fiscale permettraient amplement de financer ces propositions.

Malgré les injonctions du gouvernement à renoncer à manifester, nous renouvelons pour notre part, au côté des organisateurs, notre souhait de manifester pour le climat. Participons massivement aux marches citoyennes pour le climat du 8 décembre.

Organisations syndicales: communiqué commun national

Les organisations syndicales CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, et FSU se sont retrouvées ce jeudi 6 Décembre pour échanger sur l’actualité sociale.

Elles rappellent que, depuis des mois, face aux inégalités sociales et territoriales, elles ont réclamé des politiques publiques permettant de la justice sociale. Elles rappellent aussi que, depuis des mois, elles ont appelé le gouvernement à les écouter à travers un véritable dialogue social.

Aujourd’hui, dans un climat très dégradé, la mobilisation des gilets jaunes a permis l’expression d’une colère légitime. Le gouvernement, avec beaucoup de retard, a enfin ouvert les portes du dialogue.

Nos organisations s’y engageront, chacune avec ses propres revendications et propositions, en commun chaque fois que cela sera possible. Les sujets du pouvoir d’achat, des salaires, du logement, des transports, de la présence et de l’accessibilité des services publics, de la fiscalité doivent trouver enfin des débouchés concrets, créant les conditions sociales d’une transition écologique efficace parce que juste.

Le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C’est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications.

La CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, la FSU appellent le gouvernement à garantir enfin de réelles négociations. Cela suppose qu’elles soient larges, ouvertes et transparentes, au niveau national comme dans les territoires.

Paris, 6 décembre 2018

Fin de monde ?

par Frédéric Lordon, 5 décembre 2018
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Egon Schiele — « Selbstbildnis in gelber Weste » (« Autoportrait en veste jaune »), 1914.

La chute d’un ordre de domination se reconnaît à la stupéfaction qui se lit sur les visages de ses desservants. Samedi, le spectacle n’était pas seulement dans la rue. Il était, et il dure toujours depuis, sur les faces ahuries de BFM, de CNews, de France 2, et d’à peu près tous les médias audiovisuels, frappées d’incompréhension radicale. Que la stupidité ait à voir avec la stupéfaction, c’est l’étymologie même qui le dit. Les voilà rendues au point d’indistinction, et leur spectacle commun se donne comme cette sorte particulière d’« information » : en continu.

Comme l’esprit se rend préférentiellement aux idées qui font sa satisfaction et là où il trouve du confort, les trompettistes du « nouveau monde » et du « macronisme révolutionnaire », sans faire l’économie d’une contradiction, retournent invariablement à l’écurie de leurs vieilles catégories, les catégories du vieux monde puisque c’est celui-là qui a fait leur situation, leurs émoluments et leur magistère (lire « Macron, le spasme du système »). Et les voilà qui divaguent entre l’ultradroite et l’extrême gauche, ou l’ultragauche et l’extrême droite, cherchent avec angoisse des « représentants » ou des « porte-parole » présentables, voudraient une liste circonstanciée de « revendications » qu’on puisse « négocier », n’en trouvent pas davantage, ni de « table » autour de laquelle se mettre. Alors, en désespoir de cause, on cherche frénétiquement avec le gouvernement au fond du magasin des accessoires : consultations des chefs de parti, débat à l’Assemblée, réunion avec les syndicats — l’espoir d’une « sortie de crise » accrochée à un moratoire sur la taxe gasoil ? un Grenelle de quelque chose peut-être ? C’est-à-dire pantomime avec tout ce qui est en train de tomber en ruine. Voilà où en sont les « élites » : incapables de seulement voir qu’il n’est plus temps, que c’est tout un monde qui est en train de partir en morceaux, le leur, qu’on ne tiendra pas pareille dislocation avec du report de taxe ou des taux minorés, bien content si les institutions politiques elles-mêmes ne sont pas prises dans l’effondrement général. Car il ne s’agit pas d’un « mouvement social » : il s’agit d’un soulèvement.

Car il ne s’agit pas d’un « mouvement social » : il s’agit d’un soulèvement.

Quand une domination approche de son point de renversement, ce sont toutes les institutions du régime, et notamment celles du gardiennage symbolique, qui se raidissent dans une incompréhension profonde de l’événement — l’ordre n’était-il pas le meilleur possible ? —, doublée d’un regain de hargne, mais aussi d’un commencement de panique quand la haine dont elles font l’objet éclate au grand jour et se découvre d’un coup à leurs yeux. Ceci d’autant plus que, comme il a été noté, la singularité de ce mouvement tient à ce qu’il porte désormais l’incendie là où il n’avait jamais été, et là où il doit être : chez les riches. Et sans doute bientôt, chez leurs collaborateurs.

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En regard, les parcours habituels des manifestations et celle des « gilets jaunes » les 24 novembre et 1er décembre 2018.

On lit que la directrice de BFM est restée interloquée d’entendre scander « BFM enculés » sur les Champs, et que le président de la société des journalistes a découvert, dans le même état, que « cela ne vient pas de militants mais de gens du quotidien ». Les pouvoirs de ce genre, ceux de la tyrannie des possédants et de leurs laquais, finissent toujours ainsi, dans la sidération et l’hébétude : « ils nous détestent donc tant que ça ». La réponse est oui, et pour les meilleures raisons du monde. Elle est aussi qu’après toutes ces décennies, le moment est venu de passer à la caisse et, disons-le leur dès maintenant, l’addition s’annonce salée. Car il y a trop d’arriérés et depuis trop longtemps.

Lire aussi Alexis Spire, « Aux sources de la colère contre l’impôt », Le Monde diplomatique, décembre 2018.

Depuis les grèves de 1995, la conscience de ce que les médias censément contre-pouvoirs sont des auxiliaires des pouvoirs, n’a cessé d’aller croissant. Du reste, ils ont œuvré sans discontinuer à donner plus de corps à cette accusation à mesure que le néolibéralisme s’approfondissait, mettait les populations sous des tensions de plus en plus insupportables, qui ne pouvaient être reprises que par un matraquage intensif des esprits, avant qu’on en vienne à celui des corps.

C’est à ce moment que, devenant ouvertement les supplétifs du ministère de l’intérieur en plus d’être ceux de la fortune, ils se sont mis à rendre des comptages de manifestants plus avantageux encore que ceux de la préfecture, puis à entreprendre de dissoudre tous les mouvements de contestation dans « la violence » — et par-là à indiquer clairement à qui et à quoi ils avaient partie liée.

C’est peut-être en ce lieu, la « violence », que la hargne des laquais trouve à se dégonder à proportion de ce qu’ils sentent la situation leur échapper. Au reste, « condamner » ayant toujours été le meilleur moyen de ne pas comprendre, à plus forte raison poussé par des intérêts si puissants à la cécité volontaire, « la violence des casseurs » a été érigée en dernière redoute de l’ordre néolibéral, en antidote définitif à toute contestation possible — sans par ailleurs voir le moins du monde le problème à célébrer le 14 juillet 1789 ou commémorer Mai 68 : folle inconséquence de l’Histoire embaumée, mise à distance, dévitalisée, et privée de tout enseignement concret pour le présent. Continuer la lecture de Fin de monde ?

Le Gouvernement s’attaque aux réserves des coopératives

L’UFAL relaie l’appel à la mobilisation de la Confédération générale des Scop(1) contre une disposition du Projet de loi de finances 2019 qui supprime purement et simplement la « provision pour investissement (PPI) ». Or ce dispositif fiscal permet à ces sociétés de faire des réserves en franchise d’impôts, et de les mobiliser pour leur développement et leur investissement. D’après la Confédération générale des Scop, c’est « 350 millions d’investissements productifs (…)  [qui]risquent de disparaître sur les cinq prochaines années ».

Non contente de détruire la République laïque et sociale partant de cadeaux faits aux plus riches, l’idéologie En Marche veut aussi la mort de toutes les alternatives à son projet néolibéral.

En effet, imaginons une société où le pouvoir serait partagé entre les salariés, où les bénéfices ne s’évaporeraient pas dans une bulle financière, mais seraient alloués prioritairement au maintien de l’emploi et à l’investissement… Une utopie ? Un rêve ? Non ! Ce sont les SCOP et les SCIC, en un mot les coopératives de l’économie Sociale et Solidaire.

Or, le gouvernement, jugeant « trop coûteux » le dispositif de PPI, a décidé de le supprimer à l’occasion du PLF 2019 sans aucune autre forme de procès !  Autant dire que c’est une grave menace pour les 2 400 sociétés coopératives et participatives, et leurs 51 000 salariés !

Seront-ils les victimes collatérales de la frénésie du Gouvernement de trouver des économies servant à transformer le CICE, dont le résultat en termes d’emplois est catastrophique, en baisse de cotisations sociales patronales, pour un coût exorbitant de 40 Mds € en 2019 ?

Pour ces raisons, l’UFAL demande l’abandon de cette mesure !