Parlement. Quelles réponses institutionnelles et démocratiques pour les gilets jaunes ? Sur fond de crise de la démocratie représentative, beaucoup de gilets jaunes réclament la proportionnelle aux législatives et un référendum d’initiative citoyenne accessible. Marc Fesneau et Eliane Assassi répondent à nos questions.
Qu’est-ce que les gilets jaunes disent de l’état du pays ?
Eliane Assassi Parti de la hausse des taxes sur les carburants, ce mouvement a très vite mis en exergue la question du pouvoir d’achat, de la justice fiscale et sociale, et celle du manque de démocratie. Atypique dans sa forme de mobilisation, il permet de nourrir un débat nécessaire, car les citoyens n’en peuvent plus de subir des politiques injustes et ne supportent plus d’être mal représentés. Cela dit du pays, comme nous l’avons porté depuis de longs mois, qu’il y a un fossé entre les gouvernants et le peuple. Nos institutions sont gravement malades : il convient d’y apporter des remèdes au plus vite.
La réforme des institutions doit revenir en mars. Doit-elle être modifiée en fonction des revendications des gilets jaunes ?
Eliane Assassi Cette révision a du plomb dans l’aile. Quoi qu’il arrive, on ne pourra pas accepter d’en rediscuter à partir des textes originaux. Si la parole populaire est entendue dans le débat national, les textes devront inévitablement être modifiés. Ce projet a été repoussé cet été avec l’affaire Benalla, mais n’oublions pas que nous l’avons toujours combattu parce qu’il constitue en l’état un insupportable affaiblissement du Parlement afin de renforcer toujours plus le caractère monarchique de la Ve République. Il faut aujourd’hui l’abandonner pour laisser place à un autre chantier, qui puisse répondre aux attentes des gilets jaunes en redonnant le pouvoir au peuple. C’est le peuple qui est souverain : le pouvoir des citoyens doit s’exercer par le biais de représentants qui doivent fidèlement les représenter, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cela doit être fait au quotidien dans la cité, et dans l’entreprise.
Que pensez-vous de la proportionnelle intégrale aux législatives et du RIC ?
Eliane Assassi J’ai toujours été, tout comme la formation politique à laquelle j’appartiens, favorable à la proportionnelle intégrale, avec un cadre départemental pour maintenir un lien entre les élus, les collectivités et les territoires. Mais cela ne réglerait pas tout. Établir la proportionnelle sans modifier l’architecture des pouvoirs dans notre pays serait une sorte de coup d’épée dans l’eau. La seule issue possible, c’est de réécrire complètement la Constitution avec une Assemblée constituante. Nous avons besoin d’une VIe République. C’est ici qu’il faut pousser le débat. Macron, lui, veut une très faible dose de proportionnelle, tout en réduisant d’un tiers le nombre de parlementaires. Il s’agit d’une proposition démagogique et dangereuse, à travers laquelle il s’imagine en dialogue direct avec le peuple, sans interlocuteur. C’est pourquoi je suis également prudente au sujet du RIC. Cette demande montre l’exigence de démocratie directe dans le pays. Elle est légitime. Beaucoup de citoyens dénoncent la technocratie et le présidentialisme au pouvoir. C’est une réalité et je me félicite des mobilisations pour y remédier. Avec le RIC, le peuple veut reprendre le contrôle. Mais l’instaurer dans les conditions actuelles et dans le cadre d’une Ve République faisandée peut paradoxalement renforcer le pouvoir du président de la République, qui ne cherche qu’une chose : passer par-dessus les institutions, le Parlement, les partis politiques et les citoyens en gardant in fine le contrôle des questions et des réponses. Le RIC doit s’inscrire dans un combat plus large : celui d’un nouveau projet constitutionnel et d’une VIe République.
La suppression du Sénat est de plus en plus demandée. Macron, dans sa lettre ouverte aux Français, pose la question de l’avenir de cette chambre. Quel est votre avis ?
Eliane Assassi Il y a là un paradoxe, car supprimer le Sénat dans le cadre de la Ve République ne serait pas une bonne chose. Face au désastre démocratique constaté à l’Assemblée nationale et face à l’inversion du calendrier électoral, le Sénat intervient de plus en plus comme une chambre de débat pluraliste où le travail est approfondi. Cela a été notable sur plusieurs dossiers, dont l’affaire Benalla, le Sénat jouant ici un rôle positif en affirmant une indépendance relative. Cela dit, le Sénat est majoritairement à droite et a travaillé main dans la main avec Macron sur les grands dossiers économiques, des ordonnances sur le Code du travail à la réforme de la SNCF en passant par la loi logement. Il ne faut pas oublier non plus que le bicamérisme est une invention du Directoire pour calmer l’impétuosité de l’Assemblée nationale élue au suffrage universel direct. Cette Assemblée doit redevenir la représentante directe du peuple, être élue à la proportionnelle et garder une prééminence nette dans le cadre d’une légitimité revivifiée. C’est tout l’enjeu d’une Constituante et d’une VIe République.
Le Parlement est-il assez libre et démocratique ?
Eliane Assassi Nous assistons chaque semaine à une nouvelle étape de la longue perte de pouvoir du Parlement. C’est très parlant sur le budget : Bruxelles valide en amont le projet du gouvernement. Puis l’Assemblée et le Sénat en débattent pendant des semaines en ne pouvant changer qu’une virgule, et encore. Le droit d’amendement devient de plus en plus contraint : nous plions sous les irrecevabilités. N’importe quel prétexte vient justifier l’absence de lien avec les textes. Le gouvernement veut même que les amendements soient votés uniquement en commission. Les temps de parole et la place de l’opposition sont eux de plus en plus réduits. Nous sommes pourtant des porte-voix légitimes et nous savons être force de proposition. Je note aussi que le rythme législatif est de plus en plus rapide. Cette accélération et l’alourdissement des textes sont utilisés pour casser notre modèle social à grande vitesse. Il s’agit d’une forme d’abattage organisé par l’exécutif, qui au final maîtrise le travail parlementaire. Et les votes de loi de nuit ou en week-end sont à mes yeux inacceptables. Au final, nous faisons face à un marché roi et à un monde de la finance qui ne veulent plus de parlements parce qu’ils sont considérés comme des freins à l’expansion de la mondialisation libérale. C’est l’un des éléments de la crise que traversent les démocraties occidentales aujourd’hui. Il faut en prendre conscience.
Éliane Assassi
Présidente PCF du groupe CRCE au Sénat
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